Mort de Souheil El Khalfaoui : ce que l'on sait de la perte des pièces à conviction par le parquet de Marseille

Dans l'enquête sur le décès du jeune homme de 19 ans, tué par un policier à Marseille en 2021, des scellés ont disparu. Gérald Darmanin a annoncé saisir l'Inspection générale de la justice.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Temps de lecture : 7min
Des policiers français se tiennent à l'extérieur de la gare de Marseille-Saint-Charles, avec la basilique Notre-Dame de la Garde en arrière-plan, le 24 avril 2025. (CLEMENT MAHOUDEAU / AFP)
Des policiers français se tiennent à l'extérieur de la gare de Marseille-Saint-Charles, avec la basilique Notre-Dame de la Garde en arrière-plan, le 24 avril 2025. (CLEMENT MAHOUDEAU / AFP)

Plus de trois ans après la mort de Souheil El Khalfaoui, tué à 19 ans par un policier lors d'un contrôle à Marseille en août 2021, l'enquête connaît un nouveau rebondissement. Mardi 4 juin, Gérald Darmanin a annoncé saisir l'Inspection générale de la justice (IGJ) après la disparition de plusieurs pièces essentielles du dossier. Cette décision intervient après la révélation par Mediapart d'un courrier de la juge d'instruction Cassandra Vial, informant l'avocat de la famille que plusieurs éléments essentiels du dossier sont désormais "introuvables". Les proches du jeune homme dénoncent, eux, des dysfonctionnements graves. Franceinfo revient sur ce que l'on sait de la disparition des scellés.

Neuf pièces sous scellés sont "introuvables"

Le 4 août 2021, dans le quartier de La Belle de mai à Marseille, Souheil El Khalfaoui, 19 ans, est tué par balle par un policier. Selon la version initiale des forces de l'ordre, le jeune homme aurait tenté de fuir un contrôle routier et percuté un agent. Une version immédiatement contestée par sa famille, qui met en doute la légitimité du tir. Quelques mois plus tard, en janvier 2022, le parquet classe l'affaire sans suite. Les proches de Souheil portent alors plainte avec constitution de partie civile pour homicide volontaire, ce qui permet de rouvrir l'enquête.

Mais dans un courrier daté du 4 juin, que Mediapart a révélé, la juge d'instruction chargée du dossier informe les avocats de la famille que "neuf scellés (...) demeurent introuvables", et ce malgré "plusieurs mois de recherches"Parmi les éléments disparus figurent notamment une vidéo de surveillance de la banque Caisse d'Epargne, l'audition filmée du policier auteur du tir, ainsi que la balle extraite du corps de Souheil El Khalfaoui. D'autres pièces manquent également, comme les enregistrements d'appels aux pompiers et à la police. Ces pièces avaient été extraites du service de stockage début 2022, mais n'ont, selon la magistrate, "jamais été restituées au greffe des scellés".

Le parquet réfute toute "intention de dissimulation"

La famille de Souheil El Khalfaoui a décidé de porter plainte pour "détournement de scellés" contre Dominique Laurens, procureure de la République à Marseille jusqu'en 2023. Selon un rapport du greffe consulté par l'AFP, c'est elle qui a décidé en avril 2022 de récupérer le dossier ainsi que les scellés. Interrogée, Dominique Laurens a affirmé que ces éléments étaient conservés dans son bureau.

Selon Mediapart, ces éléments du dossier d'instruction ont été cherchés "dans les bureaux", "dans les armoires fortes" ou encore "dans différents services du greffe où [ces pièces] auraient pu être mal rangées". Mais "rien n'a été retrouvé", selon le rapport du greffe, et "toutes les diligences entreprises pour les retrouver ont échoué", d'après le courrier de la juge d'instruction.

De son côté, le parquet de Marseille a ouvert une enquête, en réfutant toute "intention de dissimulation". Ce dernier estime également que la disparition des scellés "ne devrait pas nuire à l'instruction", chaque pièce ayant fait l'objet d'un procès-verbal. La juge a de son côté demandé à la partie civile de transmettre les copies de quatre scellés dont elle dispose sur les neuf manquants.

Gérald Darmanin saisit l'Inspection générale de la justice

Face à ces incohérences, Gérald Darmanin, le ministre de la Justice, a annoncé mardi à l'Assemblée nationale qu'il allait saisir l'Inspection générale de la justice (IGJ) "d'ici mercredi soir" si les scellés liés à la mort de Souheil El Khalfaoui n'étaient pas retrouvés. Le garde des Sceaux a justifié cette décision, "non seulement les retrouver, ce qui est légitime pour la manifestation de la vérité, mais également retrouver les responsabilités, s'il devait y en avoir, dans l'organisation des scellés".

Ministre de la Justice depuis 2024, Gérald Darmanin occupait le poste de ministre de l'Intérieur lorsque Souheil El Khalfaoui a été tué par un policier à Marseille en 2021. "Darmanin calme le jeu médiatique, mais derrière, il ne se passe rien", a réagi le père de la victime, Issam El Khalfaoui, se disant "méfiant". Pour Arié Alimi, l'avocat de la famille, "le politique s'en saisit, c'est le signe d'une dérive grave".

La famille dénonce la "violence institutionnelle"

Issam El Khalfaoui s'est aussi exprimé, mardi, à l'Assemblée nationale, lors d'une conférence de presse organisée par les partis de gauche. "Ma vie est suspendue à une promesse que la République nous a faite à tous, celle de la justice. Et depuis ce jour, cette promesse est piétinée chaque semaine", a-t-il lancé face aux députés présents. Il a aussi dénoncé la "violence institutionnelle" et répété que ce combat n'était pas seulement pour son fils, mais "pour toutes les familles à qui on refuse la justice".

"Au fur et à mesure que les pièces disparaissent, il reste quoi à la fin ? Les dires des policiers. Au fur et à mesure, c'est la vérité qui se dilue."

Issam El Khalfaoui, père de la victime

lors d'une conférence de presse

Dans un communiqué, la famille de Souheil El Khalfaoui et ses avocats ont dénoncé "des pratiques (...) visant à étouffer la vérité sur un crime policier". Des propos réitérés auprès d'ICI Provence. "C'est plutôt des disparitions qu'on trouve dans des dossiers mafieux, pas dans des affaires où la police est impliquée", a taclé Issam El Khalfaoui. "Il est fréquent, dans les affaires de violences policières, que des éléments disparaissent", a aussi estimé Arié Alimi. 

L'affaire a suscité l'indignation de la gauche. "La famille de Souheil El Khalfaoui doit-elle considérer qu'une enquête sérieuse n'est pas possible dans une affaire mettant en cause un policier ?", interrogeait ainsi le député insoumis Manuel Bompard à l'Assemblée mardi. Des députés communistes, socialistes, écologistes et insoumis ont aussi exprimé leur "satisfaction" après l'annonce de saisir l'Inspection générale de la justice par Gérald Darmanin, tout en insistant sur leur "vigilance".

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