"Il n'y a pas de corps, mais tout y est" : au procès de Cédric Jubillar, les avocats de parties civiles livrent une série de plaidoiries percutantes

Article rédigé par Juliette Campion
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Pauline Rongier et Géraldine Vallat, dans la salle d'audience, au tribunal judiciaire d'Albi (Tarn), le 10 octobre 2025. (LIONEL BONAVENTURE / AFP)
Pauline Rongier et Géraldine Vallat, dans la salle d'audience, au tribunal judiciaire d'Albi (Tarn), le 10 octobre 2025. (LIONEL BONAVENTURE / AFP)

Devant la cour d'assises du Tarn, les robes noires représentant des proches de la victime sont revenues sur la relation entre l'accusé et son épouse, sur son attitude durant l'enquête sur sa disparition et sur les détails qui trahissent selon eux sa culpabilité dans le meurtre de l'infirmière.

En haut des escaliers du tribunal d'Albi, sous un soleil éclatant, Nadine Fabre, la mère de Cédric Jubillar, pleure discrètement, cigarette à la main, un sourire de soulagement sur le visage. Les mots de son avocate, Géraldine Vallat, résonnaient quelques minutes avant dans la salle d'audience, mardi 14 octobre, face à la cour d'assises du Tarn dans une plaidoirie éclair d'un quart d'heure, avec un seul objectif : réhabiliter sa cliente, critiquée de toutes parts. Pourtant, souligne l'avocate, la quinquagénaire "ne s'est jamais dérobée, pas une seule des dépositions de cette audience ne lui a échappé".

"Le 22 septembre, elle a revu son fils Cédric pour la première fois depuis plus de quatre ans, dans un box vitré, accusé d'avoir tué sa belle-fille Delphine et d'avoir fait disparaître son corps", rappelle Géraldine Vallat. Sa constitution en tant que partie civile en a choqué plus d'un. Nadine Fabre ne l'a pas fait en tant que mère de l'accusé, mais comme "grand-mère, pour Louis et Elyah, qui n'ont rien demandé", avait-elle tenu à préciser lors de son témoignage à la barre, le 8 octobre. "Elle est sur le banc des victimes, c'est à l'image de sa vie", pointe son avocate, qui rappelle qu'elle a été traitée de "mauvaise mère, mauvaise belle-mère, mauvaise grand-mère".

Géraldine Vallat déplore que l'on ait dit de cette "mère adolescente carencée" qu'elle était "abandonnique" et décoche au passage une flèche en direction de la défense, qui affirmait dans les médias que la quinquagénaire "n'a jamais été une mère"

"Quelle violence supplémentaire pour elle ! Comme si, finalement, être la mère de Cédric la conditionnait à être assise sur les bancs de la défense."

Géraldine Vallat, avocate de Nadine Fabre

lors de sa plaidoirie

Nadine Fabre regrette que "le caractère impulsif de son fils" ne lui ait jamais permis "d'installer une relation belle-mère-belle-fille" : selon elle, "jamais une seule occasion ne lui a été donnée de connaître vraiment" Delphine Aussaguel. "Evidemment que cette grand-mère a besoin de savoir comment cette mère a disparu !" tonne Géraldine Vallat, martelant que "Nadine Fabre n'a rien à gagner de ce procès, strictement rien". "Elle sortira de toute façon de cette cour d'assises avec un verdict qui sera une vérité judiciaire, le point de départ d'un renouveau, pour elle et ses petits-enfants. Une autre vie, mais toujours à leurs côtés", conclut la robe noire.

"Une grande difficulté à condamner sans corps" 

Avant elle, l'avocate Pauline Rongier a choisi d'axer sa plaidoirie d'une trentaine de minutes sur le continuum de violences qui a précédé le 15 décembre 2020. Elle constate : "Si cette affaire est devenue l'affaire Jubillar, plutôt que le féminicide de Delphine, c'est qu'il y a une grande difficulté à accepter que l'on puisse condamner sans corps." "Il n'y a pas de corps, mais tout y est", estime pourtant Pauline Rongier, qui représente Emeline, amie de Delphine Aussaguel. 

"Un féminicide n'est jamais un acte ponctuel", commence par rappeler l'avocate. Dans le cas des époux Jubillar, c'est la rencontre d'un homme "très sûr de lui" et d'une femme "peu sûre d'elle, pleine d'émotion, pleine d'empathie". "Une relation qui s'installe avec un ascendant, une domination sourde, et parfois invisible", détaille-t-elle, mettant en avant "le dénigrement" que subissait la victime, "bien sûr entrecoupé de messages d'amour, qui font qu'une femme dans une relation de violence va supporter de plus en plus de violence".

"Il l'a vidée de son énergie, de sa confiance en elle, de son estime."

Pauline Rongier, avocate d'une amie de Delphine Aussaguel

lors de sa plaidoirie

Et puis, à l'été 2020, Delphine Aussaguel "a un sursaut de vie, une volonté d'en échapper". Elle rencontre Donat-Jean M. sur internet, qui deviendra son amant. Elle annonce à Cédric Jubillar sa volonté de divorcer. "Financièrement, elle essaye de couper les amarres", pointe Pauline Rongier, glissant au passage : "Il y a souvent l'idée qu'il y aurait forcément une dépendance économique" des femmes violentées, "mais on sait aujourd'hui que, souvent, c'est la femme qui gagne l'argent et le conjoint violent qui le dépense".

"Ce crime est plein d'erreurs" 

Au cours des mois précédant la disparition de la mère de famille, en 2020, Cédric Jubillar "essaye de la géolocaliser, consulte ses comptes bancaires, l'épie, la questionne". Delphine, elle, "commence à avoir peur". Son mari serait alors passé l'acte et l'aurait tuée, selon son raisonnement. "On se met à parler du crime parfait, mais ce crime est plein d'erreurs", conteste Pauline Rongier. Elle cite entre autres les lunettes de Delphine Aussaguel retrouvées cassées, le téléphone de l'accusé inhabituellement hors tension cette nuit-là et le témoignage de Louis, le fils du couple, qui affirme avoir entendu une dispute le soir du 15 décembre, contrairement à ce qu'affirme son père.

"Il n'y a pas de corps, mais la paternité du crime est encore plus forte que dans plein d'affaires où il y a un corps."

Pauline Rongier, avocate d'une amie de Delphine Aussaguel

lors de sa plaidoirie

Elle revient sur le comportement de l'accusé après la disparition : "la disqualification de Delphine qui continue, ce dénigrement qui continue", relève-t-elle, notant que lors de sa première audition, "il est déjà en train de la critiquer" et que dans son box, "il n'est pas capable de dire une chose positive sur elle"

Pauline Rongier regrette que la défense tende à "considérer qu'une femme sans bleus n'est pas forcément une femme violentée". Lors de sa plaidoirie, l'avocate rappelle que "le féminicide est, dans plus de la majorité des cas, le premier acte de violence physique" et que dans "80% de cas", il intervient au moment de la séparation. Et d'ajouter : "Dans 100% des cas, il est précédé d'un contrôle coercitif : c'est cette prison de laquelle Delphine essaye de s'échapper." Selon elle, l'absence de corps est "le paroxysme du féminicide : la destruction, l'anéantissement total de la victime".

"Sa théorie est simple : sortez de chez moi !"

Mourad Battikh, qui représente plusieurs membres de la famille de Delphine Aussaguel – oncles, tantes et cousins – clôture la matinée dans une longue plaidoirie de 45 minutes, particulièrement efficace. Depuis la salle d'audience, il prend les jurés par la main pour les guider dans la maison des Jubillar, où s'est déroulée la scène de crime, selon lui.

L'avocat se glisse dans la peau de l'accusé, face aux enquêteurs. "La piste de l'amant ne tient pas ? Mince, allez sur la piste du rôdeur alors ! Bon, pour que le rôdeur tienne, il faut que Delphine soit sortie... Tiens, les chiens ! C'est sa passion, c'est une histoire d'amour ! Elle adoooore sortir les chiens la nuit dans le noir en pyjama et sans lunettes !" lance-t-il avec ironie, dans un numéro d'acteur qui fait mouche, alors qu'une trentaine de proches et témoins ont souligné de Delphine Aussaguel ne sortait quasiment jamais ses deux Shar-Peï, et encore moins le soir.

Il poursuit, tentant de montrer l'incohérence des explications de l'accusé au cours de ses auditions, reprenant successivement les déclarations de Cédric Jubillar et les questions des gendarmes. 

"Et l'abandon familial, vous y avez pensé ?

– Ben oui Monsieur Jubillar, on a y pensé, mais sortir en pleine nuit, sans sa carte bancaire, sans lunettes, et sans voiture, ça ne fonctionne pas des masses.

– Sauf si elle s'est radicalisée.

– Mais elle serait radicalisée comment Monsieur Jubillar ? 

– Islam, témoins de Jéhovah... Piochez ce que vous voulez ! 

– Mais vous avez des éléments à nous donner là-dessus ? Une ficelle qu'on pourrait tirer ? 

– Heuuu... Oui, elle priait ! 

– Mais comment Monsieur Jubillar ? 

– Heuu... A genoux, sur le canapé, les mains vers le ciel", déroule l'avocat, suscitant des rires dans le public. "Ça pourrait être drôle si l'issue n'était pas dramatique", reprend l'avocat. "Sa théorie est simple : pas de scène de crime chez moi, c'est le calme absolu, on dort. Piochez toutes les pistes que vous voulez, mais sortez de chez moi !", résume Mourad Battikh.

"C'est dur le mensonge"

Pourtant, dans cette maison, il y a "des caméras partout", qui prouvent, selon l'avocat, que le crime y a bien été commis. "On a plein d'angles de vue. On a une maison qui vit, qui bouge, qui rugit et qui gémit", déroule-t-il, évoquant, comme Pauline Rongier, le témoignage capital de Louis et les lunettes cassées.

Il revient sur "les cris continus d'une femme, qui donnait l'impression que la personne essayait de reprendre son souffle", entendus par les voisines, ou encore la machine à laver que Cédric Jubillar remplit à 4h50, le 16 décembre, sous les yeux des gendarmes primo-intervenantes.

"Dans une maison qui est un taudis, où c'est le chaos partout, il veut ranger quatre chaussettes en pleine nuit ? De qui se moque-t-on ?"

Mourad Battikh, avocat de parties civiles

lors de sa plaidoirie

La robe noire rappelle également que le téléphone portable de Delphine Aussaguel a activé le relais de la maison jusqu'à 7h48, le 16 décembre, signe selon lui que "Cédric a gardé le téléphone de Delphine", avant de s'en débarrasser par la suite.

"En réalité, la maison ne dort pas : elle témoigne."

Mourad Battikh, avocat de parties civiles

lors de sa plaidoirie

Tout au long du procès, l'accusé a livré "des réponses courtes : 'oui', 'non', 'peut-être', 'je ne sais pas', 'je ne sais plus', 'affirmatif'", déroule Mourad Battikh, relevant que c'est "le meilleur moyen de ne pas se contredire". "Chaque fois qu'il a fait des réponses longues, il s'est pris les pieds dans le tapis", observe-t-il. "C'est dur le mensonge : accroché à la barre, il transpirait, il tremblait. Quand on ne dit pas la vérité, c'est un exercice qui demande beaucoup d'énergie, beaucoup de concentration. On l'a vu, on l'a lu sur Cédric", considère l'avocat. Dans son box, l'intéressé, livide, ne le lâche pas du regard, assis jambes croisées. Il ne manifeste aucune réaction. Jeudi, la parole ira à ses deux avocats, qui ont prévu de plaider toute la journée.

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