Procès de Joël Le Scouarnec : comment Vannes se prépare à juger l'ex-chirurgien pour des viols et agressions sexuelles sur près de 300 victimes
Son procès pour viols et agressions sexuelles aggravées doit durer quatre mois. Pour préparer ces audiences hors normes, des aménagements ont été nécessaires, pour un coût estimé entre 2,7 et 3 millions d'euros.
La petite juridiction de Vannes s'apprête à vivre pendant quatre mois dans la frénésie du plus grand procès pédocriminel de l'histoire judiciaire française, qui s'ouvre lundi 24 février. Dans le box des accusés, un seul homme est attendu : Joël Le Scouarnec. Cet ex-chirurgien est poursuivi pour viols et agressions sexuelles aggravées. Agé de 74 ans, il est soupçonné d'avoir fait, à lui seul, 299 victimes entre 1986 et 2014. Pour leur écrasante majorité, elles étaient mineures et avaient 11 ans en moyenne. Le médecin, spécialiste de chirurgie digestive, est suspecté d'avoir sévi dans différents hôpitaux et cliniques de l'ouest de la France, au gré de ses affectations. Il se décrit lui-même dans ses journaux intimes comme "un grand pervers".
Face à l'immense traumatisme suscité par la révélation des faits des années après, certaines victimes – hommes comme femmes – ont choisi de ne pas assister au procès. D'autres ont bien l'intention de témoigner à la barre de la cour criminelle départementale du Morbihan. Leurs prises de paroles doivent s'étaler sur dix semaines et le verdict est attendu autour du 20 juin. Avec sa petite centaine de places, la salle habituelle de la cour d'assises de Vannes n'est pas calibrée pour accueillir autant de victimes, dont plusieurs seront accompagnées de leurs familles, qui se sont elles aussi constitué parties civiles. Sans compter la presse, qui devrait être largement au rendez-vous : à ce jour, 467 journalistes et dessinateurs de presse sont accrédités, représentant environ 110 médias dont 40 médias étrangers.
A la recherche d'un lieu assez grand
Dès l'été 2022, alors que l'instruction du titanesque dossier était encore loin d'être achevée, un comité de pilotage a été mis en place, avec pour mission d'identifier un lieu adéquat pour accueillir le gigantesque procès venir. Grâce à l'obtention de la labellisation "procès hors normes" par le ministère de la Justice, une première enveloppe de 700 000 euros a été octroyée début 2023. "On s'est alors lancés dans une très vaste prospective de lieux", relate Ronan Le Clerc, secrétaire général du parquet général de Rennes, à la tête des opérations.
Une vingtaine de collectivités territoriales ont été démarchées, à proximité de Vannes. "On a sollicité des salles de spectacle, et tous les établissements à forte capacité d'accueil", détaille-t-il. Plusieurs parcs des expositions ont été un temps envisagés. "Mais tous nous ont dit que ça bloquerait l'activité de leur structure pendant deux ans", rapporte Ronan Le Clerc, car "il fallait tabler sur au moins huit mois de travaux pour réaménager les locaux, prévoir des geôles, construire davantage de sanitaires, créer un espace pour les parties civiles et la soixantaine d'avocats qui les représentent..." Et démonter l'ensemble à la fin du procès.
L'ancienne fac de droit mise à disposition
Dans l'impasse, les services judiciaires ont même songé à faire sortir de terre un bâtiment de 3 500 à 4 000 m2. "Mais les travaux auraient été encore plus longs et complexes", argue le coordinateur des travaux. La solution finit par venir de la ville de Vannes, qui propose à titre gracieux la mise à disposition des locaux de l'ancienne faculté de droit, située "à 300 m à pied" du tribunal judiciaire. L'idée étant de maintenir la cour d'assises de Vannes comme lieu des débats, mais de retransmettre les échanges en vidéo au sein de la faculté.
Les travaux ont débuté à l'automne 2023, après une phase d'étude par un architecte, et se sont poursuivis toute l'année 2024. L'amphithéâtre universitaire de 450 places, qui servait aux cours magistraux, a été aménagé pour les parties civiles et leurs avocats, tandis qu'une autre salle sera dédiée au public, avec une centaine de places assises. Les deux sont équipées d'un écran géant raccordé à la salle d'audience. La presse disposera elle d'un local de 111 places et pourra également suivre les débats à distance.
"Il a fallu installer des caméras dans toute la salle d'audience et un système de sonorisation très abouti, pour que chaque prise de parole, d'où qu'elle soit, puisse être entendue", expose Ronan Le Clerc. Un régisseur sera présent chaque jour, de février à juin, pour gérer ce dispositif. La cour d'appel de Rennes a par ailleurs fourni des renforts, déléguant six magistrats supplémentaires du siège et un magistrat du parquet, ainsi que deux greffiers et un directeur de greffe. L'ordonnance de mise en accusation, délivrée par la juge d'instruction de Lorient, compte à elle seule 745 pages.
Des affaires jugées en amont
L'essentiel des travaux de l'ancienne faculté s'est achevé en octobre 2024. Le coût total des aménagements est estimé entre 2,7 et 3 millions d'euros. "Mais d'autres frais vont s'ajouter", prévient Ronan Le Clerc, à commencer par "l'aide juridictionnelle des avocats", financée par l'Etat pour les personnes aux faibles ressources. Il faudra également "payer les salaires des agents de sécurité, des vacataires chargés d'orienter les victimes, des policiers réservistes appelés en renforts, et des coûts de l'électricité, de l'eau..." énumère le secrétaire général.
Des aménagements ont par ailleurs été réalisés dans d'autres salles du tribunal judiciaire de Vannes, afin de juger les procès qui avaient habituellement lieu dans la salle d’assises, laquelle sera entièrement consacrée à l'affaire pendant les prochains mois. Le but étant de ne pas accumuler de retard dans les autres dossiers qui incombent à la juridiction. Le tribunal de Vannes a aussi dû faire ces derniers mois "un effort très important" pour juger un maximum d'affaires en amont du procès de Joël Le Scouarnec, souligne Ronan Le Clerc, afin de "respecter les délais" légaux en matière de jugement de personnes détenues.
Chiens et psychologues en soutien
Le bien-être des parties civiles est "central" pour les organisateurs, insiste Ronan Le Clerc, qui souhaite "éviter toute tension inutile dans un procès où l'affect et l'émotionnel seront déjà très présents". Son équipe s'est donc inspirée du fonctionnement du procès des attentats du 13-Novembre. Un code couleur associé aux badges des parties civiles sera ainsi mis en place : des tours de cou verts pour celles qui acceptent d’être interrogées et filmées par la presse et des tours de cou rouges pour celles qui refusent.
Pour prendre en charge les parties civiles, l'association France Victime prévoit qu'une juriste et une psychologue soient présentes en permanence sur le site. "Le reste du dispositif dépendra des subventions accordées par le ministère de la Justice", glisse Noëmie Bertomeu Bianco-Dolino, responsable de la communication et des relations publiques de France Victimes. Elle espère que d'autres psychologues seront mobilisés.
Par ailleurs, des chiens d'assistance judiciaire seront déployés sur les temps forts du procès, notamment au moment des dépositions des parties civiles. Ils pourront même les accompagner à la barre, si elles en font la demande. L'ex-ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, avait demandé à généraliser leur présence dans tous les tribunaux. Quatre chiens seront présents au total, "dont trois viendront en renfort de Saint-Lo, Angers et Saint-Malo", précise Noëmie Bertomeu Bianco-Dolino.
Une organisation "très satisfaisante"
L'ensemble des parties civiles ne témoigneront pas publiquement. Une petite partie s'exprimera à huis clos, comme le prévoit le Code de procédure pénale pour toutes les victimes de violences sexuelles. Les débats publics seront regroupés les mêmes semaines, pour faciliter les déplacements de la presse.
L'organisation du procès est "globalement très satisfaisante", estime Myriam Guedj Benayoun, avocate de deux parties civiles, soulignant que "tout a été pensé et étudié pour le bien de toutes les parties : les victimes et la défense". Elle regrette toutefois que l'enceinte du tribunal judiciaire de Vannes ne soit accessible qu'à une infime minorité de victimes. La salle d'audience où siégera la cour criminelle contiendra essentiellement les 65 avocats des parties civiles, qui sont prioritaires, ainsi que l'équipe de défense représentant Joël Le Scouarnec. Ce à quoi il faut ajouter une dizaine de journalistes.
L'essentiel des victimes suivra donc les débats dans l'amphithéâtre de l'ancienne faculté de droit. Romane Codou, qui représente quinze parties civiles, ne cache pas son inquiétude. "Pour un avocat, c'est inédit de ne pas être à côté de nos clients : nous avons besoin de les soutenir, de leur expliquer telle ou telle posture de la défense", fait-elle valoir. Elle déplore que les victimes doivent "assister à leur procès à travers un écran". L'avocate se demande "quelle sera l'énergie" de la salle de retransmission, redoutant une atmosphère "anxiogène" parmi les victimes. "J'espère qu'un espace de solidarité se créera entre elles", glisse-t-elle.
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