Au procès de Joël Le Scouarnec, l'enquête "hors norme" des gendarmes sous le feu des critiques d'avocats qui déplorent une procédure "traumatisante"
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Le colonel Cyrille Martin a exposé jeudi la manière dont la section de recherche de Poitiers a mené les investigations dans ce dossier "complexe", reconnaissant "quelques loupés" et "des maladresses".
Le dossier "a profondément marqué tous les enquêteurs". C'est par ces mots que le colonel Cyrille Martin conclut son exposé détaillé résumant les investigations d'une enquête "hors norme", face à la cour criminelle du Morbihan, à Vannes, jeudi 27 février. Le gendarme, képi posé sur le pupitre, fait partie des quatre enquêteurs de la section de recherche (SR) de Poitiers (Vienne) qui ont travaillé sur la titanesque affaire Joël Le Scouarnec.
Un "travail complexe et méticuleux", débuté lors de l'enquête préliminaire, en juin 2018, sur saisie du juge d'instruction. Soit un peu plus d'un an après l'arrestation du chirurgien par les gendarmes, à son domicile de Jonzac (Charente-Maritime), le 2 mai 2017, après le viol de sa petite voisine de 6 ans. La perquisition des lieux a abouti à la saisie de 410 fichiers : les journaux intimes numériques de l'accusé. A l'intérieur, les noms, prénoms, dates de naissance et adresses postales de patients et patientes sont méticuleusement répertoriés. Et, pour chacun – essentiellement, des enfants ou adolescents – des récits de viols et agressions sexuelles, parfois détaillés sur plusieurs pages.
"Il a d'abord fallu établir si les faits relevaient de fantasmes où s'il s'agissait de faits réels", relate le gendarme. Au total, 250 victimes sont identifiées, dont 223 auditionnées "sur tout le territoire national", de mai à septembre 2019, par des enquêteurs de gendarmeries locales, "qui savent faire preuve d'empathie", assure Cyrille Martin. La majorité d'entre elles vivant dans le Morbihan et le Finistère, deux départements bretons, c'est le parquet de Lorient qui récupère le dossier, fin 2019. Les enquêteurs de Poitiers reçoivent alors l'appui de deux gendarmes de la brigade de recherche de Vannes pour poursuivre leurs investigations.
Dès lors, l'équipe s'attaque "au parcours professionnel" de Joël Le Scouarnec et auditionne 71 professionnels de santé : "des anesthésistes, des chirurgiens, des infirmiers, des directeurs d'établissements...", énumère le colonel. Le 13 octobre 2020, Joël Le Scouarnec est extrait de la maison d'arrêt de Saintes (il a ensuite été incarcéré à Lorient) et placé en garde à vue. Il est mis en examen dans la foulée pour des faits commis au préjudice de 312 victimes. Le parquet en retient finalement 299, notamment en raison des prescriptions.
"Aucune méthode n'aurait été la bonne"
Une méthodologie "atypique par la démarche d'investigation", car c'est "une enquête à rebours", où il s'agit d'aller de l'accusé vers les victimes et non l'inverse. "Est-ce qu'on n'allait pas engendrer davantage de traumatismes à révéler des faits à des victimes qui n'avaient pas conscience de ce qu'il s'est passé ? Est-ce que ça n'avait pas plus de préjudice que de ne rien dire ?", l'interroge la présidente, Aude Burési. La plupart n'avaient pas ou peu de souvenirs de ce qu'elles avaient subi, parce qu'elles étaient très jeunes, sous anesthésie au moment des faits ou sous les effets d'une amnésie post-traumatique. "Bien sûr, on s'est posé la question", répond le gendarme, évoquant un "débat éthique". La magistrate pointe l'absence d'accompagnement psychologique lors des échanges avec les victimes.
"Trouver un psychologue dans des procédures [judiciaires] où ils sont obligatoires, c'est déjà compliqué… On n'aurait pas tenu des délais d'investigation raisonnables."
Cyrille Martin, colonel de gendarmerie qui a enquêté sur l'affaire Le Scouarnecdevant la cour criminelle du Morbihan
Une explication qui ne convainc pas les avocats de parties civiles. Ils déplorent le fait qu'"aucun process, aucun protocole" n'aient été mis en place dans la manière d'annoncer les choses. Certaines victimes ont reçu un coup de téléphone, d'autres une visite des gendarmes, directement à leur domicile. "Trente minutes devant les gendarmes, cinq ou six questions, avec une trame bien rôdée, puis : 'Tenez, lisez ça'. 'Voulez-vous déposer plainte ?' et c'est fini", rapporte Gwendoline Tenier. "Ça a été extrêmement traumatisant : certaines victimes ont été obligées d'entendre la partie du carnet les concernant", regrette Louise Aubret-Lebas, rapportant que l'une de ses clientes "a dû insister pour qu'on ne lui lise pas".
Beaucoup sont par ailleurs convaincus que les victimes sont bien plus nombreuses que ce qu'a établi l'enquête, notamment parce qu'il manque des carnets entre 1994 et 1995 : l'un d'eux regrette qu'il n'y ait pas eu d'investigations plus poussées concernant ces deux années, en sollicitant par exemple "une communication de l'intégralité des actes de Joël Le Scouarnec auprès des caisses primaires d'assurance-maladie".
L'avocate Marie Grimaud, qui conclut les questions, est encore plus frontale, avouant ne pas comprendre pourquoi l'affaire n'a pas été investiguée par l'Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP) "habitué aux investigations complexes". "Est-ce que ça n'aurait pas été pertinent que, pour le 'dossier du siècle', comme l'a rebaptisé la presse, on transmette à cet office-là ?", questionne-t-elle, soupçonnant "une guéguerre" entre gendarmerie et police.
Le colonel consent des lacunes, reconnaissant "quelques loupés", "des maladresses" et assurant que ces défaillances le touchent "profondément". Mais, ajoute-t-il, "dans une enquête comme ça, aucune méthode n'aurait été la bonne".
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