Pollution au chlordécone : l’Etat doit indemniser les victimes qui démontrent un "préjudice d'anxiété", tranche la cour administrative d'appel de Paris

Près de 1 300 habitants de Guadeloupe et de Martinique réclamaient une indemnisation après avoir été exposés au chlordécone, pesticide hautement toxique qui a contaminé les départements d'outre-mer.

Article rédigé par franceinfo
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Une bananeraie en Guadeloupe, le 19 septembre 2007. (GILLES MOREL / SIMAX / SIPA)
Une bananeraie en Guadeloupe, le 19 septembre 2007. (GILLES MOREL / SIMAX / SIPA)

L'Etat mis en cause dans le scandale du chlordécone. La cour administrative d'appel de Paris a confirmé que "l'Etat a commis des fautes en accordant des autorisations de vente d'insecticides à base de chlordécone", un pesticide hautement toxique, en Guadeloupe et en Martinique entre 1972 et 1993, dans une décision rendue mardi 11 mars.

La cour estime également que "l'Etat doit réparer, lorsqu'il est démontré, le préjudice moral d'anxiété des personnes durablement exposées à cette pollution". Un groupe de 1 286 plaignants de Guadeloupe et de Martinique réclamaient une indemnisation au titre d'un "préjudice d'anxiété", après avoir été exposés à ce pesticide toxique.

En revanche, la cour administrative d'appel estime que seule "une dizaine de personnes" ont présenté des "éléments suffisants" pour établir leur "exposition effective", "tels que des dosages sanguins, le cas échéant corroborés par des analyses de sols". La cour administrative d'appel "rappelle que la seule invocation d'une exposition au chlordécone, indépendamment de ses conséquences personnelles et en l'absence de justification les étayant de façon individuelle, ne permet pas de justifier d'un préjudice réparable".

Des demandes d'indemnisation rejetées en première instance

Le chlordécone a été utilisé de 1972 à 1993 comme pesticide dans les bananeraies de la Martinique et de la Guadeloupe, dont il a contaminé durablement l'eau et le sol. Cette substance a des effets néfastes sur le système nerveux, la reproduction, le système hormonal et le fonctionnement de certains organes, selon l'Anses.

En juin 2022, le tribunal administratif avait reconnu en première instance les "négligences fautives" des services de l'Etat, qui ont interdit la mise sur le marché du pesticide en 1990 mais accordé des dérogations pour les départements d'outre-mer jusqu'en 1993. La cour administrative d'appel maintient ce constat, et déclare que "l'Etat a commis des fautes en renouvelant" ces autorisations provisoires "sans disposer des études précédemment demandées portant sur la toxicité du produit et s'assurer de son innocuité". Elle estime également que l'Etat a "tardé à prendre les mesures permettant d'éliminer les stocks de l'insecticide après son interdiction" et "manqué de célérité dans la recherche globale de traces de chlordécone dans l'environnement" ou "dans la mise en œuvre de mesures d'information et de protection de la population".

Des réactions mitigées

"Cette décision est une victoire", salue dans un communiqué Christophe Lèguevaques, un des avocats des plaignants. "Avec cette jurisprudence, toutes les victimes, et en premier lieu les ouvrières et les ouvriers des bananeraies, pourront obtenir réparation de leur préjudice corporel", estime l'avocat, qui pointe cependant une décision "décevante" du point de vue de la reconnaissance du préjudice d'anxiété. "Si la jurisprudence française n'évolue pas, nous irons devant la Cour de Strasbourg afin que justice soit faite", ajoute l'avocat.

Cette décision de justice était très attendue dans les Antilles, où le chlordécone a été détecté chez plus de 90% des individus, dans le cadre d'une étude réalisée en 2013 et 2014 par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) et Santé publique France. Le taux d'incidence du cancer de la prostate y est également parmi les plus élevés au monde.

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