: Vrai ou faux La programmation pluriannuelle de l'énergie va-t-elle "augmenter de 100% les factures des consommateurs", comme l'affirme Marine Le Pen ?
C'est ce qu'a déclaré la cheffe de file des députés RN, début avril, dans une interview au magazine "L'Hémicycle". En réalité, elle reprend une prévision floue d'André Merlin, ancien directeur de RTE, calculée en l'absence de nombreuses données.
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Les factures d'électricité vont-elles doubler en dix ans ? C'est ce qu'a affirmé Marine Le Pen dans une interview au magazine L'Hémicycle, début avril, alors qu'elle était interrogée sur la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), la feuille de route énergétique de la France pour les dix prochaines années. Un texte qui détaille l'évolution de la part du nucléaire et de celle des énergies renouvelables. "Laisser passer une programmation pluriannuelle qui va augmenter de 100% les factures des consommateurs, et de 30% les factures énergétiques pour les entreprises, il n'en est pas question", a déclaré la présidente des députés RN, évoquant le risque d'une censure du gouvernement.
Alors que le Premier ministre, François Bayrou, a fait, lundi, un geste en direction, notamment, du Rassemblement national en reportant "d'ici à la fin de l'été" le décret sur la PPE, franceinfo se penche sur la fiabilité de cette prévision avancée par l'ancienne candidate d'extrême droite à la présidentielle.
Un calcul d'un ancien directeur de RTE
D'où vient ce chiffre ? Le calcul n'émane pas du RN. Marine Le Pen l'emprunte à André Merlin, qui a été directeur de RTE, le gestionnaire du réseau de transport d'électricité, entre 2000 et 2007. Selon lui, si la France devait respecter la PPE, qui doit mettre le pays sur la voie de la neutralité carbone en 2050, les factures flamberaient. "Le prix de l'électricité en 2035 pour les particuliers, ça va doubler", a-t-il affirmé le 1er avril au palais du Luxembourg, rapporte Public Sénat. Il l'a répété auprès du Point, dans un article publié le 3 avril : "D'ici à 2035, le prix doublera pour les particuliers, et il grimpera de 30% pour les industriels."
D'après l'ancien dirigeant de RTE, la note augmentera en raison des prix d'achat élevés des renouvelables garantis par l'Etat et par le tarif d'utilisation du réseau public d'électricité (Turpe), qui est fixé par la Commission de régulation de l'énergie (CRE). La première raison concerne un mécanisme dans lequel l'Etat garantit un prix minimal de rachat de l'électricité aux producteurs d'énergies renouvelables. La seconde touche au Turpe, qui sert à couvrir les coûts de développement, de maintenance et d'exploitation supportés par les gestionnaires du réseau de transport (RTE) et de distribution (Enedis).
Plusieurs variables inconnues
Sollicité par franceinfo, RTE juge "complexe de définir le prix de l'électricité à une échéance de dix ans". En effet, ce prix dépend de plusieurs éléments, dont le marché (la rencontre de l'offre et de la demande), les coûts de production d'électricité, les coûts liés à l'exploitation des réseaux de distribution et de transport, et enfin les taxes. Autant de facteurs qui peuvent largement varier d'ici 2035.
S'aventurer à prévoir le prix de l'électricité dans dix ans revient à lire dans une "boule de cristal", cingle auprès de franceinfo Mattias Vandenbulcke, délégué général adjoint à la stratégie de France Renouvelables, l'association porte-parole des énergies renouvelables électriques en France. "C'est un exercice au mieux très hasardeux, au pire malhonnête", juge-t-il, ajoutant que cela n'a qu'"un seul objectif : polariser le débat". Ce qui a payé pour l'extrême droite, selon lui, puisque François Bayrou a reculé en annonçant le report à la fin de l'été du décret sur la PPE.
La Commission de régulation de l'énergie a réalisé des travaux ici ou là évoquant l'évolution des prix de l'électricité sur le long terme, mais elle se montre "extrêmement précautionneuse", insiste Mattias Vandenbulcke. Selon Le Point, la CRE n'a pas encore mené d'étude prospective sur l'évolution du tarif d'utilisation du réseau public d'électricité. L'instance n'a pas répondu aux sollicitations de franceinfo.
Une hausse des factures est néanmoins plausible
Dans le détail, tout n'est pas totalement flou. "Nous savons qu'il y aura [dans les factures] une part liée au réseau électrique qui va augmenter, mais de combien exactement d'ici 2035 ? On ne sait pas vraiment", résume auprès de franceinfo Nicolas Goldberg, expert énergie chez Colombus Consulting. "Toutefois, on ne peut pas dire que cela va faire doubler les factures", souligne-t-il. De plus, "cette hausse n'est pas liée qu'à la transition énergétique. Elle concerne en grande partie l'adaptation au réchauffement climatique et au renouvellement des réseaux électriques." Il est nécessaire de revoir "des installations qui ont parfois près de 90 ans", appuie Mattias Vandenbulcke. En clair, des investissements sont nécessaires pour les mettre à niveau et les préparer pour l'avenir, mais ces dépenses ne vont pas causer une multiplication par deux de la note. Actuellement, environ un tiers d'une facture d'électricité touche à l'entretien des réseaux, souligne RTE auprès de franceinfo.
En définitive, "il est plausible que les prix de l'électricité puissent augmenter d'ici 2035", ajoute Mattias Vandenbulcke, sans pouvoir apporter davantage de précision. Les choix fiscaux dépendront des arbitrages politiques du moment et toute cette incertitude se retrouve multipliée si les soubresauts géopolitiques sont intégrés à l'équation. "Si le Kazakhstan et le Nigeria changeaient brutalement de régime, quelles seraient les conséquences pour le prix de l'uranium ?", s'interroge Mattias Vandenbulcke. Il était difficile de prévoir la guerre en Ukraine et l'envol des prix de l'énergie.
En voyant un peu plus loin, un rapport sénatorial de juillet 2024 sur "l'électricité aux horizons 2035 et 2050" estime que "le plus probable est une alternance de crises plus ou moins aiguës et de périodes de marché bas, mettant en difficulté alternativement les consommateurs et le producteur EDF, et rendant très difficile toute décision rationnelle d'investissement". Il est donc ardu de réaliser des projections robustes dans un contexte international aussi instable.
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