Conférence de l'ONU sur l'océan : menacés par le réchauffement climatique, les coraux dévoilent toujours plus de potentiels pour la santé humaine
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Les avancées scientifiques réalisées à partir de coraux se heurtent à la grande barrière du réel : la difficulté à produire des molécules à l'échelle industrielle à partir d'organismes à l'agonie.
Garde-manger géants, barrières de protection contre les tempêtes, champions du stockage de carbone... En plus de décorer les fonds marins, les coraux rendent à l'humanité de précieux services. Pour les scientifiques qui les observent et les étudient depuis des décennies, ces organismes hauts en couleurs pourraient en faire encore plus : soigner des cancers, combattre le virus du sida, guérir la peau...
Mais, alors que la troisième Conférence de l'ONU sur l'océan se tient du lundi 9 au vendredi 13 juin à Nice, ce potentiel médical est entravé par la menace qui pèse sur ces créatures indispensables à la bonne santé de la biodiversité marine. Ces deux dernières années, la hausse de la température des océans a provoqué le blanchissement de près de 84% des récifs coralliens. Pire, la quasi-totalité de ces organismes pourraient disparaître si la planète se réchauffe de 2°C par rapport à l'ère pré-industrielle, en raison de nos émissions de gaz à effet de serre.
Des vertus médicinales connues
Eponges, algues, vers marins... La recherche médicale puise abondamment dans les ressources de la vie marine pour développer des médicaments et autres applications médicales. Pourtant, "pendant très longtemps, il n'y a pas eu de recherches biomédicales sur les coraux", explique Denis Allemand, ancien directeur du Centre scientifique de Monaco. Et pour cause, "pour produire un médicament, il faut que la ressource soit accessible et disponible en grandes quantités", poursuit-il.
Si l'on retrouve mention de l'utilisation de coraux en tant que médicament dans la médecine traditionnelle chinoise dès le XVIIe siècle pour "améliorer la vue, tranquilliser l'esprit et traiter l'épilepsie", les possibilités pharmacologiques et médicales du corail ont surtout été explorées par la recherche médicale à partir de la deuxième moitié du XXe siècle. Au point d'être souvent qualifié d'"armoire à pharmacie du XXIe siècle".
La biodiversité pour nous sauver ?
Mais si les coraux souffrent aujourd'hui d'un réchauffement climatique trop rapide pour qu'ils puissent s'adapter, ces organismes et les écosystèmes qu'ils abritent ont fait face, pendant 250 millions d'années, "à des changements constants (variations dans la température de l'eau, dans la salinité, l'acidité...) sans pouvoir se déplacer. Ils ont donc créé au fil du temps des systèmes de défense très puissants", explique Denis Allemand qui, avant de prendre sa retraite cette année, a œuvré à développer des cultures de coraux en laboratoire afin d'en conserver des souches en vue notamment de restaurer les milieux dégradés.
Au-delà du corail en lui-même, une partie de la biodiversité qui peuple ces récifs présente des propriétés tout aussi intéressantes, abonde Pascale Joannot, présidente du conseil scientifique de la Fondation de la mer et ancienne directrice des expéditions au Muséum national d'histoire naturelle. "On a trouvé dans des éponges ou des ascidies – des petits animaux sans pattes, qui ne peuvent pas se sauver face à un danger et développent des molécules leur permettant de se protéger – des antitumoraux, des antileucémiques, des anticancéreux, etc", liste-t-elle.
"Il n'y a presque pas un mois qui passe sans qu'un laboratoire – de biologie marine ou autre – n'observe, dans sa boîte de pétrie, une molécule qui, par exemple, arrête la prolifération de cellule cancéreuse", abonde Rachid Benchaouir, fondateur de la start-up monégasque Coraliotech, qui développe des ingrédients issus du corail pour l'industrie cosmétique. Mais entre ces découvertes qui enthousiasment le grand public, et la mise sur le marché d'un médicament, il existe un monde. Voire des abysses.
Soigner la peau ou des cancers
Dès les années 2010, une entreprise française, Coral Biome, a ambitionné de fabriquer un traitement contre des cancers grâce à des molécules produites par un type de corail. Aux Etats-Unis, des chercheurs de l'université du Michigan ont suscité l'espoir d'un moyen de freiner le virus du sida grâce à une bactérie vivant en symbiose avec un de ces organismes. D'autres chercheurs ont obtenu des résultats prometteurs avec une protéine issue de coraux. Une fois la molécule trouvée, "le plus difficile est de la synthétiser en quantité. C'est tout le processus de fabrication du médicament", poursuit Pascale Joannot. "Aller sur place pour casser du corail et en extraire les molécules, c'est impossible à imaginer", confirme Rachid Benchaouir.
Pour éviter cet écueil, la start-up monégasque ne travaille pas sur le corail lui-même, mais sur son ADN, explique l'entrepreneur. Dans une base de données génétiques qui contient des milliers de séquences, "on identifie celles qui présentent un intérêt en termes d'application thérapeutique ou cosmétique, avant de les synthétiser et de les introduire au sein de cultures cellulaires qui produisent pour nous la molécule corallienne", résume Rachid Benchaouir. Aujourd'hui, Coraliotech "peut produire en grande quantité des molécules, des antioxydants d'origine coralliennes par exemple, qui ont des effets antirides très puissants et peuvent donc servir à l'industrie cosmétique", assure-t-il.
Or, les applications ne se limitent pas à l'esthétique : il y a aussi la dermatologie, "qui est une suite logique de la cosmétique", avec des molécules capables d'agir "sur la cicatrisation ou dans la lutte contre certaines maladies de peau, comme le psoriasis", et la médecine. "Nous avons aujourd'hui à notre disposition tout un panel de molécules qui répondent à des problématiques rencontrées en oncologie [le traitement des cancers], mais aussi certaines qui ont une action sur des toxines, sur des inflammations, ou pour combattre des bactéries, des virus, des champignons, etc.", liste Rachid Benchaouir.
Des récifs en grand danger
Mais le temps presse. "Quand l'écosystème corallien meurt, c'est tout un écosystème qui disparaît. Il emporte avec lui des espèces qui seraient potentiellement intéressantes et que nous ne connaissons pas encore", alerte Pascale Joannot. "On ne connaît finalement pas grand-chose sur l'océan et l’on découvre chaque année de nouvelles espèces d’organismes marins", assure l'océanographe qui cite en guise d'exemples les nudibranches ou limaces de mer ("des merveilles de la nature !") découverts dans les récifs coralliens. Lors d'une expédition à Ouvéa, en Nouvelle-Calédonie, en janvier 2024, "on a découvert plus de 90 espèces nouvelles pour l'archipel et 60 espèces tout à fait nouvelles pour la science".
Même lorsqu'ils sont connus et étudiés, "seuls 10 à 15% des coraux sont séquencés génétiquement", continue Rachid Benchaouir, qui ambitionne de "séquencer des coraux rares, méconnus génétiquement, endémiques, résilients". L'objectif est de "comprendre pourquoi ils sont capables de résister à des stress aussi extrêmes". Avec peut-être, à la clé, un remède pour ces précieux écosystèmes.
"Il y a beaucoup de raisons de préserver les coraux. La raison médicale qui nous intéresse ici est finalement assez minime comparée aux autres services rendus par les coraux", conclut Denis Allemand. "Entre 500 millions et un milliard de personnes en vivent, d'une manière ou d'une autre, par la pêche, le tourisme, etc. Sans les coraux, les îles du Pacifique sont condamnées, n'étant plus protégées face aux tempêtes en augmentation et à la hausse du niveau de la mer. Sans compter les impacts économiques". Leur santé est donc aussi un peu la nôtre.
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