"Détournements idéologiques", "règlement de comptes" : on vous explique la polémique entre Wikipédia et le magazine "Le Point"
Après des modifications sur sa fiche, l'hebdomadaire français accuse l'encyclopédie collaborative de désinformation. Ses contributeurs, eux, se défendent de toute partialité.
D'un côté, un hebdomadaire qui dénonce des campagnes de désinformation venant de l'encyclopédie en ligne la plus influente au monde. De l'autre, des collaborateurs de cette plateforme qui estiment être la cible de pressions injustifiées et inadmissibles. Entre Le Point et Wikipédia, les tensions sont vives depuis mardi 18 février. Et elles ont pris un tour médiatique : tribunes, lettres ouvertes, articles dénonciateurs... Le magazine accuse les contributeurs du site de "détournements idéologiques", quand Wikipédia se dit victime d'un "règlement de compte".
Le contentieux naît après une mise à jour de la fiche Wikipédia de l'hebdomadaire. Celle-ci suggère que le journal a pris un tournant "populiste" et que sa ligne éditoriale est de plus en plus proche de la droite identitaire. Un journaliste du Point, Erwan Seznec, écrit alors, le 15 février, à l'auteur de ces modifications, qui contribue à Wikipédia sous le pseudonyme FredD, selon les informations de France Culture.
Wikipédia dénonce des "courriels d'intimidation"
Dénonçant des "courriels d'intimidation", des bénévoles contribuant à Wikipédia publient une lettre ouverte, le 17 février, pour apporter leur "plein soutien à [leur] pair". Ces utilisateurs affirment que le journaliste du Point a menacé FredD de divulguer des informations personnelles à son sujet. "Nous allons faire un article sur vous, sur notre site, en donnant votre identité, votre fonction, en sollicitant une réaction officielle" de l'employeur du contributeur, aurait écrit Erwan Seznec, selon cette lettre ouverte. "Le même journaliste a également obtenu le numéro de téléphone personnel de FredD et l'a contacté par ce biais", ajoutent les auteurs.
Selon les soutiens de FredD, ces procédés "ne relèvent pas de la libre critique", mais "du règlement de comptes ou de l'intimidation". "L'encyclopédie n'est pas parfaite. (...) Mais son fonctionnement et ses règles garantissent son indépendance de tous les pouvoirs", écrivent aussi les auteurs de la lettre ouverte.
Le journaliste Erwan Seznec, contacté par France Culture, défend une démarche journalistique d'interroger le contributeur et assure n'avoir formulé aucune menace. "Je dis juste que 'le ciel est menaçant'", précise-t-il. "Quand on en vient à dire que Le Point a une dérive trumpiste trois ans avant Trump, je pense effectivement qu'on est en droit de demander des corrections", estime le journaliste.
Le Point reproche "l'absence de contradictoire"
Au-delà des critiques adressés à FredD, Erwan Seznec considère que l'hebdomadaire fait l'objet d'une "campagne de dénigrement". Dans un article publié par Le Point mardi, il dresse une longue liste de reproches à Wikipédia : "Entre-soi, absence totale de contradictoire, sélection partiale des données, inversion accusatoire, effet de meute, élimination arbitraire des informations discordantes". Pour le journaliste, son magazine est ainsi présenté de manière biaisée, voire fausse, par les contributeurs de Wikipédia, notamment au sujet d'une supposée proximité avec "la droite dure et la mouvance complotiste".
Auparavant, Erwan Seznec avait déjà consacré des articles à la plateforme collaborative. En décembre, il avait publié dans Le Point une enquête intitulée "Wikipédia, plongée dans la fabrique d'une manipulation", dans laquelle il assurait que "des militants tentent désormais d'y imposer leurs contre-vérités en multipliant les cibles".
La direction du magazine, sollicitée par France Culture, soutient Erwan Seznec et fustige une "suite d'actes malveillants". Aux yeux d'Etienne Gernelle, directeur du Point interrogé par France Inter, les contributeurs de Wikipédia agissent comme "travaillent les trolls sur les réseaux sociaux, en masquant leur identité et en racontant n'importe quoi".
Des "démarches juridiques" engagées
Cette polémique a, depuis, pris une dimension politique, avec le lancement par Le Point d'une pétition, signée par plus de 80 personnalités de renom, parmi lesquelles les anciens ministres Jean-Michel Blanquer et Eric Dupond-Moretti, le député PS Jérôme Guedj et la philosophe Elisabeth Badinter. Les auteurs plaident "pour une encyclopédie vraiment participative, responsable, transparente, neutre et équitable". Vendredi puis samedi, Le Point a aussi respectivement publié le témoignage de l'essayiste Pierre-Henri Tavoillot, qui rapporte ses propres difficultés pour modifier sa page Wikipédia, et un entretien avec la chercheuse en communication Sandrine Boudana sur les "détournements" de l'encyclopédie.
L'affaire ne va pas s'arrêter là. "Des démarches juridiques sont engagées", a prévenu Erwan Seznec dans son article de mardi. D'après les informations du Monde et de Marianne, les avocats du magazine ont adressé une mise en demeure à la fondation Wikimédia, qui finance et héberge Wikipédia.
La lettre ouverte en défense de la plateforme et de ses contributeurs avait, elle, été signée par plus de 900 contributeurs du site, dimanche. FredD, interrogé par Le Parisien, raconte avoir été contacté par l'Américain Jimmy Wales, fondateur du site, qui a relayé l'affaire aux Etats-Unis.
Il explique aussi à France Culture que le journaliste Erwan Seznec aurait pu "contester la suffisance de la source" du passage incriminé sur la notice du Point à travers les outils internes de Wikipédia, comme le font régulièrement les utilisateurs. "Le paragraphe disparaissait en 10 minutes", assure-t-il. Pour le contributeur, les "menaces" du Point s'inscrivent "dans le contexte des appels d'Elon Musk à tuer Wikipédia". Le patron de X accuse régulièrement la plateforme d'être un outil de propagande et milite pour son boycott.
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