"Elles incarnent une sorte de miracle social" : face aux plans de licenciements, les Scop sont-elles l'avenir des entreprises ?
Duralex, Bergère de France, La Meusienne… Plusieurs sociétés en difficulté ont récemment rebondi sous forme de coopératives que les salariés possèdent et contrôlent. Mais en dépit de leur bonne santé, les Scop restent des exceptions difficilement transposables aux 4,5 millions d'entreprises tricolores.
Quelque 159 emplois menacés sur le site Bonduelle de Saint-Mihiel, 124 à la papeterie de Stenay et presque autant au supermarché Auchan de Bar-Le-Duc... La Meuse n'échappe pas aux plans sociaux qui s'accumulent en France. Mais au milieu de ce maelström de suppressions d'emplois, deux bonnes nouvelles ont rompu avec la grisaille ambiante dans ce département rural. En quelques mois, deux entreprises en difficulté ont été reprises par leurs salariés sous forme de sociétés coopératives et participatives, plus connues sous le nom de Scop.
La Meusienne, spécialisée dans la fabrication de tubes en acier inoxydable, a été rachetée par 41 salariés à Ancerville. A Bar-le-Duc, 57 salariés ont repris la fabrique de laine Bergère de France, une entreprise historique du département. "Dans la Meuse, une commune vit avec son entreprise, alors lorsqu'une usine disparaît, ça pèse", reconnaît Jean-Michel Nicolas, directeur général de la Scop Bergère de France. L'homme à l'origine de la reprise est maintenant à la tête d'une entreprise d'une cinquantaine de salariés-associés, où chacun est un peu plus qu'un employé. "Hier, les gens partaient en laissant la lumière allumée, maintenant ils font plus attention car c'est chez eux", schématise-t-il pour expliquer le nouveau fonctionnement de l'usine.
"Au départ, il faut y croire"
Chez Bergère de France, les salariés sont les associés majoritaires, comme dans les autres Scop de France – 2 697 en 2023 pour 60 056 salariés, selon la Confédération générale des Scop. Ils détiennent 51% du capital social et 65% des droits de vote. Et tout le monde dispose d'une voix, quels que soient son statut, son ancienneté et le montant du capital investi. "Les salariés ont le droit de s'exprimer, peu importe leur niveau. Avant, ce n'était pas le cas", rappelle Jean-Michel Nicolas.
Les salariés de Bergère de France, qui avaient déjà voulu reprendre la fabrique de laine sous forme de Scop en 2015, lors du placement en redressement judiciaire, ont finalement eu gain de cause à leur deuxième tentative, fin octobre. Le tribunal de commerce de Bar-le-Duc a préféré leur offre à celle d'une entreprise concurrente, qui voulait délocaliser la production dans le nord de la France. Et préserver seulement 12 emplois. "Mais au départ, il faut y croire. Il faut monter un projet, séduire les salariés, trouver des financements. Il faut avoir envie, mais surtout, il faut un projet qui tienne la route", explique Jean-Michel Nicolas.
Duralex, "dossier hors norme" mais "motif d'espoir"
Une autre entreprise emblématique a rebondi sous forme de Scop quelques mois plus tôt : Duralex. La mythique verrerie a été reprise par ses 228 salariés fin juillet grâce à une importante mobilisation populaire et politique. Elle est devenue le symbole des Scop. "Duralex, c'est un dossier hors norme et vertigineux vu le nombre de salariés. C'est un motif d'espoir pour les entreprises en difficulté", explique Fatima Bellaredj. La déléguée générale de la Confédération générale des Scop, qui accompagne au quotidien des coopératives, voit dans cette reprise "une belle histoire dans la morosité ambiante".
A Gémenos, dans les Bouches-du-Rhône, la belle histoire dure depuis plus de dix ans. En 2014, après 1 336 jours de combat contre la multinationale de l'agroalimentaire Unilever et sa volonté de délocaliser l'activité en Pologne, les salariés de Fralib signent un protocole de sortie de conflit et créent Scop-Ti. Ils passent de 182 salariés avant la grève à 32 employés (et une trentaine de coopérateurs). Le chiffre 1 336 est, lui, devenu le nom de leur marque de thés et d'infusions. Cette année, l'entreprise, présidée par l'ancien délégué CGT Olivier Leberquier, s'apprête à réaliser son meilleur chiffre d'affaires et atteindre la rentabilité.
"Dans l'esprit des banques, on allait se casser la gueule, mais maintenant, on nous regarde un peu plus sérieusement."
Olivier Leberquier, président de Scop-Tià franceinfo
Les premières années ont pourtant été déficitaires. La Scop n'avait pas pu conserver la marque Eléphant, et elle avait fait le choix de salarier tous les employés encore présents à la fin du conflit. "En deux ans, on avait utilisé deux des trois millions d'euros obtenus par Unilever lors de l'accord. Et là, tout est devenu plus compliqué", se remémore Olivier Leberquier. La société provençale, qui avait atteint un premier point d'équilibre en 2020 avant les années Covid, a aussi consenti à quelques sacrifices, comme l'abandon de la prime vacances ou du treizième mois.
La politique salariale a fait l'objet d'un vote "majoritaire, mais pas unanime", avec un salaire unique par catégorie professionnelle. "A l'époque, l'écart de salaire allait de 1 à 220 avec le PDG, maintenant c'est 1 à 1,25", se satisfait Olivier Leberquier. Si les bons résultats se confirment, les salariés devraient toucher un treizième mois pour la première fois. "Mais on le décidera collectivement", précise le président de Scop-Ti. Ce n'est pas simple tous les jours, reconnaît Olivier Leberquier : "Cela peut fonctionner quand une majorité des gens s'impliquent." L'ex-leader syndical voit dans sa coopérative une "lutte de l'intérieur contre le capitalisme" afin de "faire fonctionner une entreprise différemment du modèle dominant".
Un fonctionnement démocratique qui favorise l'implication
Avec succès, selon l'Insee, qui a calculé en 2023 que le taux de pérennité des Scop (79%) au bout de cinq ans était supérieur à celui de l'ensemble des entreprises françaises (61%). "Cela s'explique par la sélection au départ [tous les dossiers déposés pour des créations de Scop n'aboutissent pas], la notion de collectif fort due à l'engagement des salariés et la gestion de l'entreprise", juge Anne-Catherine Wagner, sociologue et autrice de Coopérer. Les Scop et la fabrique de l'intérêt collectif (CNRS Editions). "Ces entreprises ne sont pas gérées dans une logique purement financière, donc elles peuvent développer une gestion à long terme, sans chercher immédiatement du profit."
"Lors d'une récession, les Scop sont enclines à préserver les emplois et à baisser les salaires tandis que les entreprises conventionnelles préservent les salaires et réduisent l'emploi", note de son côté l'économiste Thibault Mirabel. Interrogé par Alternatives économiques, l'auteur d'une thèse sur les Scop estime également que "la gouvernance démocratique des Scop permet une plus grande implication des travailleurs dans l'entreprise", mais aussi une plus grande productivité.
Un modèle encore marginal
Les Scop représentent toutefois une goutte d'eau parmi les 4,5 millions d'entreprises en France : moins de 1%. Et parmi les sociétés de ce type créées en 2023, seules 8% étaient des reprises d'entreprises en difficulté, selon la Confédération générale des Scop. "Elles sont les plus médiatisées car elles incarnent une sorte de miracle social, et c'est parce qu'elles sont rares qu'elles sont médiatisées", rappelle Anne-Catherine Wagner. Selon les acteurs interrogés, les difficultés pour les entreprises conventionnelles à renaître sous forme de Scop s'expliquent par plusieurs facteurs : une Scop nécessite un capital financier de départ ainsi que des salariés prêts à beaucoup s'investir.
"Il faut des salariés qui puissent se muer en gestionnaires et un collectif", énumère Anne-Catherine Wagner, qui estime aussi que la formule Scop manque encore de notoriété dans le monde de l'entreprise. "La vraie limite est capitalistique. Une entreprise [placée en liquidation judiciaire] a quelques mois pour faire une offre, et c'est un temps extrêmement court pour étudier le marché, réunir un noyau dur de salariés et trouver des financements", complète Fatima Bellaredj, dont la Confédération générale des Scop qu'elle représente accompagne une vingtaine de dossiers chaque année. Un chiffre relativement faible, afin d'assurer le bon développement de ces Scop. "Mais dans dix ans, on aura cent dossiers", ambitionne-t-elle.
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