Colère des agriculteurs : "On s'inscrit probablement à l'orée d'une nouvelle séquence de mobilisation qui va monter en puissance d'ici la fin de l'année", note Aurélie Catallo, directrice Agriculture France à l'IDDRI

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Article rédigé par franceinfo - Édité par l'agence 6Medias
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Se dirige-t-on vers une nouvelle séquence de colère du monde agricole, telle que celle qui a paralysé les routes en janvier 2024 ? Selon Aurélie Catallo, directrice Agriculture France à l'IDDRI, l'Institut du développement durable et des relations internationales, les manifestations prévues le 26 septembre sont la preuve de mécontentements qui couvent depuis bientôt deux ans.

Les agriculteurs se mobilisent à nouveau en cette fin septembre pour interpeller l'État. Syndicat central, la FNSEA appelle à manifester, et un mouvement se prépare notamment pour vendredi 26 septembre avec des blocages et des actions. Une colère qui devrait durer, confirme Aurélie Catallo, directrice Agriculture France à l'IDDRI, un think tank qui entend faciliter la transition vers le développement durable, invitée à décrypter les enjeux et les revendications du secteur agricole dans "La Matinale" du 25 septembre.

Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.


Jean-Baptiste Marteau : Revoilà donc les agriculteurs sur les ronds-points, et les raisons sont multiples. On a quand même l'impression que les choses n'ont pas vraiment changé depuis la grande mobilisation de janvier 2024. Est-ce que c'est le cas ?

Aurélie Catallo : C'est le cas. Je pense que les agriculteurs gardent des mécontentements qu'ils avaient déjà exprimés en 2024, et on s'inscrit aussi probablement à l'orée d'une nouvelle séquence de mobilisation qui va monter en puissance d'ici la fin de l'année, qui là aussi ressemblerait un peu à ce qu'on a connu en 2024.

Il y a plusieurs points de contestation, de colère. D'abord, le principal peut-être, dénoncé par le syndicat FNSEA, c'est ce flot d'importations internationales qui ne respectent pas les nôtres, avec évidemment le Mercosur qui est le bout mieux de la pièce.

Baptiste Morin : L'étendard, parce que, finalement, cet accord de libre-échange, si on revient dessus, il y a des quotas qui sont très limités. Quand on regarde par rapport à la production ou la consommation européenne, on se rend compte que c'est assez mineur. Mais il y a un risque derrière, à chaque fois, qui est pointé du doigt par les agriculteurs. Ne nous faites pas venir des produits qui seraient fabriqués, qui seraient produits, avec des normes qui ne sont pas les nôtres et avec des choses qui facilitent la production et qui font que les coûts, à l'arrivée, sont beaucoup moindres.

Jean-Baptiste Marteau : Ça, c'est une colère qu'on peut comprendre effectivement. On se dit, on importe des produits agricoles, c'est bien normal, on échange aussi avec d'autres pays, mais on se met des contraintes au pied en Europe, qu'on ne fait pas respecter aux pays qui nous fournissent des produits. Les agriculteurs, ils ne comprennent pas cette distorsion de concurrence.

Aurélie Catallo : Tout à fait. En fait, c'est une sorte de concurrence et je dirais qu'elle a des effets de nature politique et des effets de nature économique. C'est un peu ce que vous venez d'évoquer. Politiquement, c'est inaudible pour la majorité des agriculteurs français de se dire qu'on va faire entrer des produits qui ne respectent pas tout à fait les mêmes standards. En fait, ça a pour effet de rendre indiscutables les efforts de transition agroécologique qui sont requis chez nous. Mais, dès lors qu'il y a ces effets de distorsion de concurrence, ça devient inenvisageable de poursuivre ces efforts chez nous. Ça, ce sont les effets politiques. Les effets économiques, ça va être : est-ce que véritablement cet accord du Mercosur va engendrer des situations de faillite économique pour certaines filières agroalimentaires françaises ou européennes ? Ça, c'est peut-être à nuancer, c'est plus discutable, mais il n'en demeure pas moins que la peur politique prend le pas sur les conséquences économiques effectives. Et donc le résultat, c'est de bloquer un peu la possibilité de discussion sur les politiques agricoles de manière générale chez nous en France.

"Les conséquences d'un accord tel que le Mercosur ne seront pas les mêmes si on est un éleveur laitier ou si on est un éleveur de viande"

Les conséquences économiques, elles sont chiffrées, on arrive à savoir concrètement ce que va coûter, quelles vont être les conséquences directes pour les agriculteurs de cet accord avec le Mercosur ?

À date, c'est très difficile, et je ne me prononce pas pour le moment parce qu'on n'a pas accès au texte final de l'accord de libre-échange.

Il y a une nouvelle version qui a été proposée par l'Europe il n'y a pas longtemps.

Ça n'a pas été rendu public et dans les commentaires qu'on entend, on a vraiment des parties prenantes qui nous disent que ça va être une catastrophe pour certaines filières françaises et d'autres qui nous disent que c'est un accord très protecteur, tout ira bien. Et donc, à date, c'est très difficile de pouvoir se prononcer.

Baptiste Morin : Certains syndicats nous disent parfois que certaines mesures sont bonnes, et puis on a un autre syndicat qui va dire "non, non, il ne faut surtout pas mettre en place", typiquement, la loi Duplomb, avec la réinsertion de ce néonicotinoïde dans des proportions assez réduites. Certains nous disaient : "Bon bah, c'est du bon sens, il faut le remettre, en tout cas temporairement". Et puis vous avez d'autres représentants syndicaux qui vont dire : "Non surtout pas, il ne faut pas tomber là-dedans, il faut passer à l'agriculture de demain."

Jean-Baptiste Marteau : Là, le côté politique a vraiment pris le dessus, avec cette pétition contre la loi Duplomb qui a été extrêmement partagée et très populaire et qui a des conséquences politiques importantes.

Aurélie Catallo : Tout à fait. Mais en fait, vous avez raison, ça montre bien la complexité des enjeux agricoles. Ça va dépendre des syndicats et donc de la vision du modèle agricole souhaitable qui est portée. Ça dépend aussi des filières, des types de production dont on parle. Les conséquences d'un accord tel que le Mercosur, par exemple, ne seront pas les mêmes si on est un éleveur laitier ou si on est un éleveur de viande. Ce n'est pas non plus la même chose de savoir si on a une production qui a un marché très localisé, pour lequel nos clients ne vont pas vraiment changer, ou si on a un agriculteur qui s'insère plutôt dans des filières longues avec de l'importation et de l'exportation derrière.

Cliquez sur la vidéo pour regarder l'entretien en intégralité.

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