Au bout du rouleau, les "dames pipi" en grève vont devoir attendre la décision des prud'hommes
Depuis le 10 juillet, elles ne touchent plus de salaires, car elles n'ont pas été reprises par la nouvelle société chargée de gérer six points de toilettes publiques de la capitale. Le tribunal des prud'hommes, qui devait rendre son verdict jeudi, a renvoyé sa décision au 8 septembre
Dans une salle des locaux de Force ouvrière, à Paris, six femmes attendent, silencieuses. Dehors, une autre, juriste du syndicat, traverse la cour au pas de course, sous la pluie. Elle porte le verdict tant attendu, rendu jeudi 27 août par le tribunal des prud'hommes. Ces femmes sont des "dames pipi", des employées (traditionnellement, la profession est largement féminine) chargées de l'entretien des toilettes publiques. En grève, elles n'ont pas touché de salaire depuis le 10 juillet.
Quand la société Sarivo PointWC, filiale du Néerlandais 2theloo (pour "to the loo", "aux toilettes", en anglais) a repris la gestion de six sanitaires installés dans des quartiers touristiques de la capitale, aucune des onze employées de la Stemp, l'ancien gestionnaire, n'a été réembauchée par le nouveau venu, en dépit de la convention collective qui régit le secteur de la propreté. Car le repreneur, qui invite les usagers à faire du shopping entre deux envies pressentes, en installant des boutiques à deux pas des cabinets, se défend en expliquant qu'il n'évolue pas dans ce secteur.
Ni licenciées, ni reprises, elles attendent beaucoup de cette audience, survenue la veille. Mais la juriste du syndicat, Hortense Betare, n'apporte pas de bonnes nouvelles : "C'est un renvoi", annonce-t-elle, "émue" et "surprise par cette décision". "Les deux juges ne sont pas parvenus à trancher et ont estimé qu'il fallait faire appel à un juge professionnel", explique-t-elle. Autour de la table, les plaignantes réagissent discrètement, se prenant la tête entre les mains tout en laissant échapper un "ah !" d'exaspération. Le tribunal se prononcera le 8 septembre, à 10 heures. Soit onze jours de plus à patienter, sans salaire.
"On a reçu un coup de fil nous disant de ne pas venir travailler le lendemain"
Clémentine Codjia se souvient du moment où elle a compris qu'elle ne reprendrait pas le travail. "A la fin juin, après une journée de travail, vers 17h30, on a reçu un coup de fil nous disant de ne pas venir travailler le lendemain, que des gens de la nouvelle société allaient venir faire des travaux", explique cette mère de trois grands enfants. Sans nouvelles au bout de quelques jours, elle s'est rendu à Lamarck, au pied de la butte Montmartre, où les "dames pipi" travaillaient. "On avait embarqué nos affaires. Il n'y avait pas de travaux, mais deux hommes qui faisaient notre travail : un qui encaissait et l'autre qui nettoyait. Avec nos produits !", enrage-t-elle.
Depuis, les "dames pipi" sont restées tous les jours devant ces sanitaires du 18e arrondissement, en signe de protestation, épaulées par des syndicalistes de FO. "Sous un soleil de plomb, ou sous la pluie, on est restées là tous les jours depuis le 22 juillet. C'est éprouvant physiquement et moralement", confie Mahliya Fiokouna, 45 ans, la benjamine du groupe. La nuit qui a précédé ce verdict, elle assure ne pas avoir fermé l'œil. "Mes trois enfants ne sont pas partis en vacances, avec la rentrée, impossible de leur acheter toutes leurs fournitures et de nouveaux vêtements, soupire-t-elle. On a besoin de travailler. Il le faut." Pour cela, elle compte sur la mairie de Paris.
"Je demande à la maire de Paris de prendre ses responsabilités et d'apporter une aide, y compris financière, à ces femmes sans ressource", déclare Jean Hédou, secrétaire général de la fédération équipement, environnement, transports et services de FO. Parce qu'elle a choisi la société Sarivo PointWC pour répondre à son appel d'offre, la mairie est, selon le syndicat, sommée de trouver une issue pour les "dames pipi". "Il y a bien quelque chose à faire ? Il y a des crèches, du nettoyage... On peut bien faire quelque chose", poursuit Mahliya Fiokouna.
Toilettes ou "palais pour les fesses" ?
A l'audience, l'avocat de la société, Paul Coëffard, a indiqué que Sarivo PointWC offrait une prestation proche de la "conciergerie de luxe". Plus que de simples toilettes, les sanitaires en question peuvent être équipés de boutiques très chics, vendant des brosses de toilettes pouvant aller jusqu'à 1 000 euros, a-t-il plaidé.
Le discours est mal passé chez les plaignantes et leurs soutiens. "Si on nous dit que le luxe c'est d'accompagner les gens jusque dans les chiottes, il y a quand même des limites à ne pas franchir", s'agace Jean Hédou. "On nous parle des riches, du luxe. Mais pour nous, les pauvres, qu'est-ce qu'on fait ?", se lamente Mahliya Fiokouna.
Une simple recherche Google témoigne des ambiguïtés que doit éclaircir le tribunal des prud'hommes. Le Point WC du Louvre est répertorié comme étant un "magasin de design", par le moteur de recherche ("un paradis pour les fesses", s'enthousiasme même un commentateur). Celui des Champs-Elysées est présenté dans la rubrique "Décoration intérieure", tandis qu'à Cluny Sorbonne et dans le centre commercial Italie-2, les sanitaires de Point WC sont bien qualifiés comme étant des "toilettes publiques".
Pour Hortense Bétare, il existe également une confusion entre Sarivo PointWC et WC Toilet, les deux entités filières de 2theloo. Un point qu'elle soulèvera à l'audience du 8 septembre. En attendant, les "dames pipi" assurent qu'elles ne vont pas se décourager. "Nous n'avons pas le choix", soufflent-elles tour à tour. En attendant, le syndicat annonce une action devant les toilettes publiques de Notre-Dame, le 1er septembre, en plein cœur de la capitale.
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