Zone de libre-échange, clause de sauvegarde, quotas... Ce que contient l'accord controversé entre l'UE et le Mercosur, approuvé par la Commission européenne

L'exécutif européen a adopté mercredi l'accord commercial avec plusieurs pays d'Amérique du Sud, malgré les réticences de plusieurs Etats membres. Il va désormais devoir être validé par le Parlement européen et les Vingt-Sept.

Article rédigé par Fabien Jannic-Cherbonnel - avec AFP
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Un champ de soja à Firmat (Argentine), le 7 avril 2024. (PATRICIO MURPHY / ZUMA PRESS / MAXPPP)
Un champ de soja à Firmat (Argentine), le 7 avril 2024. (PATRICIO MURPHY / ZUMA PRESS / MAXPPP)

Après des années de discussions, il est finalisé. La Commission européenne a approuvé, mercredi 3 septembre, l'accord commercial avec les pays latino-américains du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay et Bolivie), dont les discussions ont débuté en 2000. "Ce moment est très important, pas juste pour la politique commerciale de l'UE, mais aussi pour notre futur", a lancé Maros Sefcovic, commissaire européen en charge du Commerce, lors d'une conférence de presse à Bruxelles.

Cet accord est censé permettre à l'Union européenne (UE) d'exporter davantage de voitures, de machines et de spiritueux vers l'Amérique du Sud. En retour, il facilitera l'entrée de viande, sucre, riz, miel ou soja sud-américains, au risque de fragiliser certaines filières agricoles européennes. Une perspective qui inquiète de nombreux acteurs du monde agricole, particulièrement en France. Longtemps opposé au texte, Paris pourrait-il finalement l'approuver ? L'exécutif européen met en avant l'ajout d'une clause de sauvegarde pour préserver l'agriculture du Vieux Continent et la mise en place d'un fond de soutien aux agriculteurs. Voici ce que contient cet accord.

La fin des taxes sur de nombreux produits

Une première version du texte conclu entre l'UE et le Mercosur avait été finalisée en 2019, avant d'être renégociée. Fin 2024, la Commission, seule habilitée à négocier les accords commerciaux pour les Etats membres, avait finalisé cet accord à Montevideo (Uruguay). Il vise à supprimer les taxes sur une majorité de produits et à créer "la plus grande zone de libre-échange du monde", selon l'exécutif européen. Il s'agit même du "plus grand accord commercial jamais signé", a insisté Maros Sefcovic.

Selon la Commission européenne, il permettra de supprimer plus de 4 milliards d'euros de droits de douane par an sur les exportations européennes vers l'Amérique du Sud. "Il réduira les droits de douane du Mercosur, souvent prohibitifs, sur les exportations de l'UE, notamment sur les produits industriels clés, tels que les voitures (actuellement 35%), les machines (14 à 20%) et les produits pharmaceutiques (jusqu'à 14%)", détaille la Commission.

En échange, l'UE va ouvrir davantage son marché aux produits du Mercosur, notamment agroalimentaires, comme le bœuf, le sucre ou la volaille. Cet "accès au marché" européen sera "très limité" grâce à des "quotas mis en place de façon graduée", assure la Commission.

L'accord ne s'intéresse pas qu'aux questions commerciales et s'accompagne d'un autre volet, plus politique. L'UE affirme que le texte va renforcer "le dialogue politique et accroître la coopération dans des domaines tels que la migration, l'économie numérique, la recherche et l'éducation, les droits de l'homme". Des protections liées au respect de l'accord de Paris sur la lutte contre le réchauffement climatique ont ainsi été intégrées.

L'instauration d'une clause de sauvegarde en cas de "préjudice grave"

Face à la colère des agriculteurs dans plusieurs Etats membres, dont la France, qui craignent une concurrence déloyale des pays sud-américains, la Commission a annoncé l'instauration d'un mécanisme de "clause de sauvegarde" dans le cas où "l'augmentation des importations en provenance du Mercosur cause – ou menace de causer – un préjudice grave aux secteurs concernés de l'UE".  "Nous avons entendu les agriculteurs", a affirmé Maros Sefcovic. L'exécutif européen s'est engagé à intervenir pour limiter les importations en cas d'impacts négatifs sur certaines filières, comme le bœuf, la volaille, le sucre et l'éthanol.

"Nous ne rouvrirons pas les négociations", a cependant prévenu le commissaire européen au Commerce, précisant que ces dispositions seraient adoptées via "un acte légal" européen. Reste à savoir comment les partenaires latino-américains de l'UE réagiront à cette annonce. La mesure, négociée depuis des mois, a été immédiatement saluée à Paris. La porte-parole du gouvernement, Sophie Primas, s'est réjouie que l'UE "ait entendu les réserves" françaises.

Un fonds d'aide et des quotas pour rassurer les agriculteurs

L'UE "accordera un accès très limité à son marché aux importations de produits agroalimentaires", a tenté de rassurer la Commission, alors que plusieurs organisations, dont la Confédération paysanne en France, ont réagi avec indignation à l'annonce d'un accord final. Des quotas seront ainsi mis en place sur les importations alimentaires : sur le bœuf, 99 000 tonnes par an seront taxées à 7,5% de droits de douane. Un volume "qui représente 1,5% de la production de bœuf européen". Au-delà, des droits de douane très élevés s'imposeront, a précisé la Commission.

L'un des autres sujets sensibles concerne les normes sanitaires et environnementales. Les agriculteurs européens accusent leurs concurrents latino-américains de ne pas respecter les normes de l'UE. "Nos normes de santé et de sécurité alimentaire continueront de s'appliquer à tous les produits sur le marché de l'UE", répond la Commission, qui affirme qu'elle renforcera ses contrôles sur les produits importés. L'exécutif européen compte également mettre en place un Fonds de réserve européen pour aider les agriculteurs en cas de difficulté, un "filet de sécurité" à hauteur de 6,3 milliards d'euros tirés du budget européen 2027-2032.

Un texte coupé en deux pour faciliter son adoption

Bruxelles cherche à aller vite et espère un accord avant la fin 2025, tant que le président brésilien, Lula, occupe la présidence tournante du Mercosur. Afin de faciliter son adoption et de le faire entrer en vigueur au début de l'année 2026, la Commission européenne a décidé de scinder l'accord en deux. Si le projet avait été présenté dans son ensemble, il aurait dû être adopté à l'unanimité par les Etats membres et ratifié par les Parlements nationaux. "Si vous négociez un accord et que la ratification intervient des années plus tard, l'accord devient caduc", s'est ainsi défendu Maros Sefcovic.

La partie qui concerne les questions commerciales – compétence exclusive de l'UE – sera ainsi présentée d'ici la fin de l'année au Parlement européen et au Conseil européen, au sein duquel une majorité qualifiée (15 Etats membres sur 27) sera suffisante pour son adoption. La France ou la Pologne, longtemps opposées à l'accord, ne pourront donc pas l'empêcher. Un deuxième texte sera présenté aux Etats membres dans les prochaines semaines. Il portera sur la partie politique de l'accord, qui recouvre notamment des questions liées à des compétences nationales comme les investissements. Sur ce texte, l'adoption du Conseil européen ne pourra se faire qu'à l'unanimité.

Reste que les deux textes doivent de toute façon encore passer l'obstacle du Parlement européen, où l'accord sur le Mercosur est loin d'avoir une majorité acquise pour être adopté. L'eurodéputé centriste Pascal Canfin promet ainsi une initiative transpartisane pour tenter de "suspendre l'adoption" de l'accord, "en l'absence de transparence et de garanties claires".

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