"Révélation" à la Colline : l’Afrique de Léonora Miano en version japonaise
Le titre complet qu’on ne comprend pas très bien, est "Révélation. Red in blue trilogy". La romancière Léonora Miano, qui, ces dernières années, a accumulé les prix littéraires (Fémina, Goncourt des lycéens) nous propose sa première pièce, sur l’Afrique et les offenses qui ont été faites à ses enfants. Au Théâtre de la Colline à Paris.
Il arrive d’habitude que les mises en scène desservent un texte. Mais il est rare qu’une mise en scène ait une telle présence qu’elle dévie, sinon le sens même d’une pièce, du moins la force qu’a voulu lui donner l’auteur. Expliquons-nous.
Léonora Miano nous parle du "commerce triangulaire", vu du point de vue de l’Afrique, encore qu’elle déteste qu’on parle de l’"Afrique" ou des "Africains qui est le nom que nous portons depuis que d’autres nous ont désignés ainsi, le nom de notre assujettissement et de notre aliénation". Pas Africain mais Camerounais ou Ghanéen ou du Congo : sur ce point on lui donnera cent fois raison.
Tribunal divin
Ces méfaits, ce sont les complicités qu’ils ont montrées avec les barbares, les hommes blancs "venus de l’autre côté des eaux". Ne rêvons pas (ou ne soyons pas ironique) : on ne parle pas ici des crimes de tous les tyranneaux qui ont dévasté l’Afrique depuis son indépendance. Dans ce pays Premier, on remonte aux crimes premiers. Et, après une partie symbolique un peu lente, on entre enfin dans le vif du sujet (la pièce dure deux heures et demie, c’est trop), l’audition de quatre Ombres damnées, Makaba, Damel Bigue, Janae Big Chief, Rascal. Tous, si l’on comprend bien, avaient des responsabilités de tribu ou de peuple dont ils étaient les chefs ou les rois.
Une cinquième ombre, une femme, Ofiri, l’imprécatrice, se joint à ce groupe qui porte des masques. La langue de Miano est limpide et belle, sans trop de discours théorique, toujours au plus près du style des légendes malgré parfois un certain didactisme. Mais le problème pour cette langue, c’est qu’elle est mise en scène…
L’Afrique vue par un Japonais
La rencontre s’est faite par le directeur de la Colline, Wajdi Mouawad, qui avait échangé des spectacles avec un des plus grands metteurs en scène japonais, Satoshi Miyagi. Or, quand il s’est agi de monter la pièce de Miano, c’est Miyagi lui-même qu’a suggéré l’auteure. L’Afrique vue par un Japonais, ce pouvait être une formidable idée, reprenant la théorie de Georges Dumézil selon laquelle des constructions mythologiques semblables passaient aux temps très anciens de civilisation en civilisation. Le monde africain des vivants et des morts trouverait ainsi des correspondances dans le shintoïsme. Et de fait…Voici une femme âgée qui, sous un puits de lumière sonne une cloche, pendant qu’apparaît au fond de la scène une forme sombre glissant vers nous. Des musiciens noyés d’ombre jouent en avant-scène une musique de tambours et de percussions, des draps lancés à travers l’espace, font un miroir moiré où s’agenouille la vieille femme, comme si c’était un tapis d’argent. "La voilà, la zone blanche" crie-t-elle (en japonais) La forme, là-bas, est devenue une femme, princesse ou divinité. Elle porte une crinoline… japonaise. Elle ressemble, en ses moindres gestes, à un culbuto.
Et voici Kalunga : "Je peux promettre la remontée de ces âmes damnées. " Kalunga est le "gardien des passages". Il est joué avec une autorité et un humour délicieux par Kazunori Abe qui, avec un art confondant, marche de biais en glissant à travers la scène, comme un danseur ivre et souple. La cloche sera bientôt remplacée par une sorte de gong tranchant, telle une lune argentée qui a tourné sur elle-même. Les Ombres non damnées apparaissent : elles ont des coiffures insensées, boules dorées suspendues à des corolles : on dirait qu’elles portent un gingko sur la tête. Elles sont vêtues des robes dorées qui partent de biais.
Au moment du procès, chacun des chefs parle derrière un grand masque découpé qui pourrait être précolombien… L’un, Makuba, explique que lui-même a été victime, comme son peuple, des envahisseurs ; le second, Bigue, que ses villages étaient déjà incendiés quand il a eu la force de la révolte. Le troisième assume, puisque, déjà, les peuples qui lui étaient soumis, il les considérait comme des inférieurs.
Le quatrième ne voyait qu’une chose, devenir riche et en faire profiter les survivants. Et l’un des quatre, dans sa hâte à se justifier de manière si misérable (car cela n’en sauvera aucun, Inyi et Katunga resteront de marbre), dit bien ce qui est le discours de tous les grands criminels : "J’attends ce moment (de m’expliquer) depuis mon injuste damnation."
La mise en scène au détriment du texte
Mais nous, malgré l’intérêt de ce qui nous est dit (surtout à ce moment-là), on a déjà décroché ou plutôt on est concentré depuis deux heures sur autre chose : ce grand spectacle japonais, nô peut-être, qui nous est conté par Miyagi et sa troupe, la vieille Haruyo Suzuki, la raisonneuse Miki Takii, et tous les autres, et les musiciens, et le costumier si inventif (Yumiko Komai) et la coiffeuse, Kyoko Kajita, qui a inventé les chignons des hommes-Ombres ornées de planètes noires en forme de grains de raisin géants.Cette histoire qui est devenue une grande histoire basée dans l’archipel et non plus en Afrique, où, sans doute, il y a eu comme cela, des assauts de tribus et des massacres et des peuples soumis. Un grand spectacle japonais dont il nous reste de magnifiques images et une magnifique IMPRESSION japonaise. Nous faisant oublier l’insulte faite par nos ancêtres aux peuples africains, à la terre d’Afrique. L’insulte et bien plus que l’insulte.
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