"L'Autre fille" d'Annie Ernaux, seul en scène intime et incisif au Off d'Avignon
Publié en 2011, "L’Autre fille" est un court texte écrit sous forme de lettre dans laquelle la romancière Annie Ernaux s’adresse à sa sœur Ginette. Une soeur morte avant qu’elle naisse et dont elle apprend par hasard l’existence à l’âge de 10 ans. Adapté au théâtre par Nadia Rémita, ce texte plein de colère, de vie et de délicatesse est incarné par Laurence Mongeaud à l’Arthéphile à Avignon.
Quand on pénètre dans la petite salle de l’Arthéphile à Avignon, le regard est d’emblée attiré par une série de lettres, séparées les unes des autres et qui se détachent sur le fond du décor : G-E-N-TI-LL-E… "Gentille", un mot banal, passe-partout mais qui va être le fil conducteur de toute la pièce, un mot qui va prendre toute la place comme il l’a pris dans la vie d’Annie Ernaux, un dimanche d’été, alors qu’elle avait 10 ans.
Ce jour-là, elle surprend une conversation entre sa mère et une autre femme. Et cette phrase : "Elle était plus GENTILLE que celle-là "...
"Elle", c’est Ginette, sa sœur, décédée en 1938, à l’âge de 6 ans, des suites de la dipthérie. "Celle-là", c'est Annie, née deux ans plus tard, et qui n’avait jusqu'alors jamais entendue parler de cette aînée. Cette sœur invisible, absente, pénètre d’un seul coup dans sa vie, auréolée d’un statut de sainte. Et pour cause : elle est morte un Jeudi Saint et ses derniers mots évoquaient sa joie de rejoindre "le petit Jésus".
"L'enfant du ciel" vs "la déplaisante"
"L’Autre fille" du titre, ce n'est donc pas Ginette mais bien Annie Ernaux, qui, dès lors qu’elle découvre qu’elle n’est pas une enfant unique (dans tous les sens du terme), va se construire en opposition à cette sœur trop parfaite. D’un côté la gentille, "l’enfant du ciel", de l’autre "l’intrépide", la "goulue", la "déplaisante", la rebelle à la religion…"Entre eux et moi" écrit Annie Ernaux, "il y a toi"…Je suis repoussée dans l’ombre et toi dans la lumière éternelle."Les adeptes de Freud et de psychanalyse se régaleront des interprétations possibles devant ce lourd secret qu’Annie ne partagera jamais avec ses parents. Jamais elle ne leur dira qu’elle sait, jamais elle ne leur posera de questions sur cette sœur qu’elle ne considère pas comme telle. Ce serait la faire exister.Pour être, il a fallu que je te nie".
Orgueil et de culpabilité
Exister. Vivre. La voilà la revanche de la petite Annie. Sa sœur Ginette est morte de la diphtérie ? Annie va survivre au tétanos, contractée après s'être écorchée le genou avec un vieux clou rouillé (dans la pièce, l'auteure souligne que ni l’une ni l’autre n’étaient vaccinées pour ces maladies). A partir de là, elle se sent une héroïne : "la bonne fille", la "petite sainte" n’a pas été sauvée alors qu’elle, "la démon" a été "choisie pour vivre".Ce mélange d’orgueil et de culpabilité débouche sur une question : pourquoi sa sœur a-t-elle été "sacrifiée" ? Et la réponse dit tout : pour qu'Annie écrive !
"Je n’écris pas parce que tu es morte. Tu es morte pour que j’écrive ! ".
Gentille-Ginette
Et quelle écriture ! Les mots d’Annie Ernaux sont terriblement justes, à la fois délicats et rugueux, caressants et violents. La mise en scène de Nadia Rémita et la scénographie signée Pierre Pannetier les fontt vivre avec une ingénieuse simplicité. Il y a ces fameuses lettres qui se détachent, installées sur des sortes de piquets ornés à leur pied d'une fleur. Chaque lettre pivote pour laisser apparaitre à son dos une photo en noir et blanc de la sœur défunte, qui d’un seul coup devient plus réelle, comme si la pellicule était la seule capable d’offrir une preuve tangible de son existence.Autre trouvaille : transformer les lettres de "Gentille" pour écrire Ginette par un tour de passe-passe visuel…Quant aux livres éparpillés sur la scène, ils sont à tour à tour album qu’on feuillète, marche-pied qui va permettre à la petite Annie d’exister et de vivre pleinement et enfin pierre tombale, celle de Ginette et de ses parents.
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