"Bérénice" de Roméo Castellucci avec Isabelle Huppert : le chaos et la solitude d'une amoureuse abandonnée
/2021/12/14/61b8b98a721f3_christophe-airaud.png)
/2024/03/14/berenice-romeo-castellucci-c-couresy-alex-majoli-1-65f2b562a23f7775564375.jpg)
Au Théâtre de la Ville à Paris, nouvellement rouvert et rebaptisé Théâtre Sarah Bernhardt, Romeo Castellucci met en scène un "Bérénice" de Racine revu et adapté avec Isabelle Huppert à l'affiche. C'était le rendez-vous théâtral de cette rentrée 2024. Une pointe de déception accompagne cette création.
Sur le grand plateau du rénové Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, Isabelle Huppert sera seule ou presque. Elle est une Bérénice affrontant son désarroi face au miroir, un voyage en solitaire d’une amoureuse désespérée.
Romeo Castellucci propose le texte de Racine comme une longue plainte de femme abandonnée. Car Isabelle Huppert ne dit que le texte de Berénice. Les mots, les répliques de Titus et d'Antioche et des autres ont disparu et sont "une parole fantôme" comme dit le metteur en scène italien. Résultat : le monologue tragique d'une femme qui voit son amour se détourner et disparaître. Bérénice, d'après Racine, au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, jusqu'au 28 mars.
Le "Bérénice" de Racine ou de Castellucci ?
Chez Racine, c'est un trio. Bérénice aime Titus, Titus aime Berenice mais Antioche aussi aime Bérénice et Titus. Rome en décide autrement, le politique s'en mêle et ne veut pas de reine étrangère, alors chacun repart bredouille avec son amour détruit. Dans sa version, le metteur en scène italien a fait table rase des hommes. Cheikh Kébé (Titus) et Giovanni Manzo (Antioche) n'auront pas le droit à la parole, les hommes aimants de Bérénice dansent, s'affrontent, s'éloignent. Le Sénat s'agite en coulisse derrière les rideaux ouatés.
Chez Racine, la langue jaillit et ses fulgurances tétanisent. "Non, je n'écoute rien. Me voilà résolue. Je veux partir. Pourquoi vous montrer à ma vue ? Pourquoi venir encore aigrir mon désespoir ? N'êtes-vous pas content ? Je ne veux plus vous voir", finit par concéder Bérénice à bout de forces.
Castellucci détourne la voix d'Huppert par le vocodeur. Elle parle seule, même sa voix ne lui appartient plus. La comédienne durant 1 heure 40 parcourt le plateau, uniquement protégée par le voile qui obstrue le quatrième mur. Elle revendique, elle titube, elle craque, elle se révolte encore et finit quand le rideau s'ouvre, par s'enfuir en hurlant "Ne me regardez pas... Ne me regardez pas". Trop tard, l'impudeur du désespoir est dévoilée.
Succès ou scandale
Dans le public et auprès de la critique, l'attente était forte. Castellucci, Huppert et Racine, le trio est séduisant. Le premier est le réputé metteur en scène italien, plasticien, qui fait du plateau, un espace d'images envoûtantes et fascinantes. La seconde, une star du cinéma qui à chaque échappée sur les planches du théâtre, travaille avec des créateurs ambitieux et novateurs, et le troisième, la statue du commandeur de la tragédie, dont le Bérénice est un texte sacré du théâtre français par son style aiguisé et incisif.
Ajoutons pour la beauté de ses costumes, une quatrième source d'intérêt, Iris Van Herpen, la créatrice de mode habituée de la Fashion Week (actuellement exposée au musée des Arts Decoratifs) qui mêle design, nature et avant-garde. Les trois apparats de la garde-robe de Bérénice sont magnifiques. Une robe de princesse quand l'amour pourrait encore être sauvé, une robe de bure pour traîner le désespoir. Et surtout la dernière, ce dahlia rouge qui en contrepoint dans le décor fane et finit par s'effondrer.
"Je l’aime, je le fuis : Titus m’aime, il me quitte "
Jean Racine Bérénice. Acte V, Scéne VII
Les invités au sacre de Titus et Bérenice étaient peut-être trop prestigieux pour ne pas entraîner la déception. À la fin du spectacle, quelques sièges claquent, cela sonne comme un réflexe des années du passé quand le Théâtre de la Ville vivait ses heures de batailles rangées. Quelques spectateurs sans grande conviction hurlent des bravos pour contrer la fronde. Et puis tout le monde s'en va... Ni scandale, ni fascination, Bérénice est bien seule dans son désamour.
Si Romeo Castellucci crée comme à son habitude, des images magnifiques, comme ce rideau noir qui emprisonne l'espace et une atmosphère sonore pesante créée par Scott Gibbons, autour de l'actrice, Isabelle Huppert affronte le destin de son héroïne sur le fil d'une interprétation entre colère et sanglots. Mais parfois elle semble perdue dans cette immensité, la solitude n'est pas aisée dans la tragédie de Racine.
/2024/03/14/berenice-romeo-castellucci-c-couresy-alex-majoli-10-65f3281dac343481009725.jpg)
Au Théatre de la Ville- Sarah Bernhardt du 5 au 28 Mars 2024 en semaine à 20H / Dimanche 15H
Durée : 1H40
Conception et mise en scène Romeo Castellucci
Musique Scott Gibbons
Costumes Iris van Herpen
Avec Isabelle Huppert Bérénice
Cheikh Kébé Titus
Giovanni Manzo Antiochus
Sénateurs romains Guillaume Durieux, Marc Grezes-Rueff,
Tony Iannone, Andrew Isar, Karl Philippe Jagorel, Simon Legré,
Charles Leplomb, Jean-Max Mayer, Sébastien Peyrucq,
Nicolas Rappo, Gilles Renaud, Jimmy Roure
À regarder
-
Otages israéliens : révélations sur leur détention
-
Réforme des retraites : suspendue pour 3,5 millions de Français
-
Gouvernement de Sébastien Lecornu : censure ou pas censure ?
-
Coup d'envoi de la vaccination contre la grippe
-
Skai Isyourgod, le phénomène du rap chinois
-
Délit de fuite : la vie brisée de Marion
-
Disparition des coraux : une menace pour l'humanité
-
Bac de maths en 1ère, une bonne nouvelle ?
-
Une minute de silence en hommage à ces profs tués
-
IA : des paysages touristiques trop beaux pour être vrais ?
-
Sébastien Lecornu annonce la suspension de la réforme des retraites jusqu'à l'élection présidentielle
-
Pourquoi ton lycée pro est en grève aujourd’hui
-
La joie des Palestiniens libérés des prisons israéliennes
-
Le prix Nobel d'économie est pour la suspension de la réforme des retraites
-
François-Xavier Bellamy défend la posture de Bruno Retailleau qui chute dans les sondages
-
Lecornu II : des nominations surprises
-
Enquête après la mort de Sara, 9 ans
-
Madagascar : le président contesté écarte toute démission
-
Le gouvernement Lecornu II face à la réforme des retraites.
-
"Mange mon cul noir", Yseult (encore) en clash
-
"Ce n'était plus ma femme" : l'ultime interrogatoire de Cédric Jubillar avant le verdict
-
"Il faut suspendre la réforme des retraites jusqu'à la présidentielle"
-
M0rt d'une fillette : un nouveau drame du harcèlement ?
-
Nicolas Sarkozy : il connaît sa date d'emprisonnement
-
Comment Discord est devenu un outil de mobilisation politique pour la jeunesse
-
Immense joie sur la Place des Otages à Tel-Aviv
-
Elle défend Billie Eilish et perce sur les réseaux
-
A Auray dans le Morbihan, les cantines sont alimentées par une ferme municipale
-
Une fillette de 9 ans retrouvée morte à son domicile en Moselle
-
Les dates à retenir pour Parcoursup
Commentaires
Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.
Déjà un compte ? Se connecter