Mastectomie préventive : "C'est marche ou crève, on n'a pas le choix"
Après la tribune d'Angelina Jolie, francetv info a recueilli le témoignage de Karine, 41 ans, qui a subi l'ablation de ses deux seins entre novembre 2008 et octobre 2009.
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"Moi, porteuse du gène BRC1"… A peine l’ablation des seins d’Angelina Jolie dévoilée, mardi 14 mai, Karine n’a pas hésité. Elle poste un message Facebook sur sa page pour saluer le geste de l’actrice américaine. Elle espère qu'il "donnera de la force et du courage à toutes celles qui partagent [leur] sort". "C'est génial", confie à francetv info Karine, qui a subi une mastectomie prophylactique des deux seins et qui, quatre ans plus tard, n’en est pas tout à fait remise.
"Votre mère n’a rien, vous n’aurez rien"
La dynamique quadra, secrétaire à Toulon (Var), fait tout pour dédramatiser son histoire, qui commence par un arbre généalogique chargé. "Ma grand-mère a eu 17 enfants, dont 11 filles, et parmi elles, la moitié ont eu des cancers", débite Karine, fins cheveux bruns mi-longs, grands yeux gris sous des sourcils dessinés au crayon. "Ça repousse mal depuis la chimio." Un premier dépistage est proposé à sa famille entière après le décès de sa tante en 1998, mais personne ne réagit.
Quelques mois plus tard, son gynécologue lui suggère un suivi rapproché, avec mammographie et échographie tous les ans. "A l'hôpital, tout le monde me dévisageait avec de la compassion plein le regard en pensant 'la pauvre, si jeune'", se souvient-elle.
En 2002, Karine déménage à Toulon. Son nouveau spécialiste est catégorique : "Votre mère n’a rien, vous n’aurez rien, le suivi ne sert à rien." La jeune femme insiste un peu, puis abandonne devant tant de certitudes. Quatre ans plus tard, tout bascule au cours de vacances à Paris. Souffrant d’une petite déchirure musculaire à la poitrine, Karine consulte un généraliste. Et en profite pour lui montrer une ridule sur le sein gauche. Inquiet, le praticien lui recommande de se rendre à l’hôpital pour une biopsie.
Sur place, le cancérologue ne prend pas de pincette. "Il m’a dit : 'même sans biopsie, je peux vous dire que vous avez un cancer'", se souvient la frêle jeune femme. Elle raconte le long moment qui a suivi, cette impression de ne plus avoir les pieds sur terre, des personnes qui lui parlent mais qu’elle n’entend que lointainement, et une série d'examens dont elle est à peine consciente. Le même jour, on lui propose une consultation d’oncogénétique, qui permet de détecter l’existence de la variation du gène favorisant l’apparition des cancers du sein, des ovaires mais aussi du foie et du pancréas notamment.
"Je voulais que ça aille vite"
Après six mois de chimio, elle est opérée pour retirer la tumeur. A la sortie du bloc, l'équipe médicale, devenue "sa deuxième famille", lui apprend les résultats du dépistage génétique effectué six mois plus tôt : elle est porteuse d'une mutation du gène BRCA1, qui prédispose à la maladie.
"Il faut vous enlever les deux seins et les ovaires", lui annonce le chef de service. "J’ai dit : 'ok, on fait ça quand ?'" Une réaction qui surprend l'équipe médicale, plus habituée aux suppliques de patientes désireuses de garder leur poitrine. "Je voulais que ça aille vite", se souvient Karine, déjà éprouvée par des mois de traitement, réfugiée seule chez elle à jouer au tarot sur internet et à surfer sur les forums spécialisés pour échanger avec "des filles qui vivaient la même chose".
"Je pensais : mon sein va finir à la poubelle"
Son sein droit peut subir une ablation suivie d'une reconstruction mais pas le gauche, trop abîmé par les rayons. Sa reconstruction pourrait prendre un an, le temps que les tissus se reforment. Un an sans sein gauche, Karine refuse, mais souhaite qu’on opère l’autre sein et les ovaires. Là, ce sont les médecins qui freinent : ils veulent lui laisser la possibilité d’avoir des enfants. "Je ne voyais pas l’intérêt, je n’avais plus de cheveux, bientôt plus de seins, je me disais 'je vais rester célibataire toute ma vie.'"
"Je faisais la maligne, la fière, je voulais qu’on enlève tout et qu’on n’en parle plus", confie Karine, une note d’émotion dans la voix. Et de préciser : "Mon cancérologue ne m’a vu pleurer qu’une seule fois, la veille de l’intervention au sein droit." Toute seule dans sa chambre, elle lui dit au revoir. "Je pensais, il va finir à la poubelle." Pour assurer la symétrie de sa poitrine, les chirurgiens choisissent de remettre une prothèse mais d’attendre l’opération du second sein, quasi un an plus tard, pour reconstituer le téton et le mamelon.
Avec un sein droit partiel donc, et une cicatrice de 10 cm en travers, Karine se renferme encore un peu plus dans sa bulle. C’est après la dernière opération, en octobre 2009, qu’elle s’effondre dans les bras de son père, venu la chercher : "Jusque-là, je vivais au rythme des visites, des rendez-vous des examens et là, hop, du jour au lendemain, j’étais face à moi-même, plus rien."
"Ce n'est pas moi, ce ne sont pas mes seins"
Quand ses proches saluent son courage, elle rétorque : "C’est marche ou crève, on n’a pas le choix". Et tente de convaincre sa mère et sa sœur, elles aussi porteuses d'une mutation du gène BRC1. Mais elles refusent toute opération. "Elles peuvent éviter ce que j’ai vécu, la chimio, la perte des cheveux, mais je parle à des murs", explique-t-elle.
Sortie des forums, auxquels elle ne participe plus, elle continue cependant de se rendre sur quelques blogs. Quand elle évoque les témoignages dans lesquels elle reconnaît sa difficulté de se projeter dans l’avenir notamment, sa voix tremble. Quatre ans après, et malgré les compliments de tous ceux à qui elle les a montrés, médecins, famille et amis, Karine n’aime toujours pas ses seins. Elle les regarde "le moins possible" et se sent obligée de prévenir les hommes avec qui elle a des relations, de peur qu’un jour "il y en ait un qui dise un grand 'ah!' de rejet". "Ce n’est pas moi, ce ne sont pas mes seins, explique-t-elle. Ça reste des seins mutilés, même si je mesure la chance que j’ai d’avoir quelque chose."
Toujours suivie par un cancérologue, à raison d’un rendez-vous tous les six mois, Karine doit encore se faire retirer les ovaires. Mais elle attend 43 ans, âge de la fin de la prise en charge de la procréation médicalement assistée en France. Non pas qu’elle ait un projet d’enfant, mais le caractère définitif d’une telle ablation lui fait peur. "Je me laisse un peu de répit", lâche-t-elle dans un sourire, avide, en revanche, d’accompagner toutes celles qui vivent le même traumatisme.
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