: Reportage "Rendre l'impossible possible" : la réalité virtuelle réinvente la découverte de l'art et du patrimoine
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De nombreux musées et lieux culturels en France adoptent ces nouvelles technologies, comme à Rouen durant cet été, où la Cité immersive viking permet de se plonger dans la peau de ce fameux guerrier du Nord.
À Rouen, les touristes affluent par milliers pour admirer la cathédrale Notre-Dame, immortalisée à de nombreuses reprises par Claude Monet dans ses jeux de lumière. Non loin de là, d'autres se pressent sous l'arche du Gros-Horloge, chef-d'œuvre d'horlogerie de la Renaissance qui bat toujours le temps au cœur de la ville. Chaque maison à colombages du centre historique semble murmurer les échos du passé, des redoutables Vikings aux flammes du bûcher de Jeanne d'Arc.
C'est à partir de 841 que les guerriers du Nord pénétrèrent pour la première fois dans la vallée de la Seine, avant que Rouen ne tombe, en 876, aux mains du chef danois Rollon, marquant le chapitre fondateur de l'histoire normande. Pour s'imaginer et visualiser ce qu'était la société à cette époque, la Cité immersive viking de Rouen a ouvert ses portes au printemps 2024 sur les quais de la Seine.
"Décloisonner" le musée
Sous l'immense verrière baignée de lumière, un parcours immersif conte, salle après salle, la fabuleuse épopée de Rollon, premier duc de Normandie, et des tout premiers Vikings. Une mise en scène sensorielle qui mêle jeux de sons et de lumières, écrans panoramiques à 360 degrés et capsules vidéo didactiques, habilement racontées par le vidéaste Nota Bene. L'histoire s'incarne, palpite et captive.
"Beaucoup de Français ne se rendent pas régulièrement ou pas au musée. Les catégories socioprofessionnelles des visiteurs n'ont pas évolué ces quarante dernières années, explique à franceinfo Culture Jean Vergès, directeur de la Cité immersive. Nous souhaitons décloisonner cette institution, en proposant plus de loisirs, plus de divertissement, plus d'hybridation aussi avec d'autres genres comme la production du visuel, le spectacle vivant, la réalité virtuelle, les parcs d'attractions, les nouvelles technologies ou encore les escape games."
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C'est dans cet esprit d'ouverture et d'innovation qu'une nouvelle animation est venue enrichir l'expérience estivale sur le parvis de la Cité : un atelier de réalité virtuelle, proposé en partenariat avec The Viking Planet, centre norvégien réputé pour ses expériences immersives basé à Oslo.
Équipés d'un casque et de deux manettes, nous sommes plongés au IXe siècle, dans la peau d'un guerrier viking lancé dans une quête de vengeance après le saccage brutal de son village. En sortant du petit hangar qui abrite l'animation, Chloé et Augustin, deux jeunes d'une dizaine d'années, ont des étoiles plein les yeux.
"C'était bluffant de réalisme. On peut se battre à l'épée et tirer des flèches avec une grande précision, tout en naviguant sur un bateau."
Augustin et Chloé, visiteurs de l'expositionà franceinfo Culture
"Ça donne envie de s'intéresser à l'histoire des Vikings", se réjouissent le frère et la sœur, rejoignant leur grand-père qui n'a, lui, pas voulu essayer la nouvelle technologie, de peur "d'avoir mal au cœur, comme sur un bateau". La réalité virtuelle s'immisce pourtant de plus en plus dans le monde culturel.
Selon le baromètre des pratiques culturelles 2025, réalisé par le groupe Test et l'Institut Gece, "65% des visiteurs" trouvent que les dispositifs d'intelligence artificielle (que l'on retrouve dans la réalité virtuelle) pourraient compléter utilement les outils traditionnels (papier, audioguides classiques, etc.). Bien que cette technologie existe depuis les années 1950, son usage s'est largement répandu ces dernières années grâce à deux événements majeurs : la démocratisation de la réalité virtuelle avec la sortie sur le marché de casques et les périodes de confinement dues à la pandémie du covid-19.
Une technologie tendance dans le secteur culturel
"La réalité virtuelle est vieille en ce qui concerne la recherche, mais récente pour le grand public avec l'apparition de casques plus accessibles comme l'Oculus Rift ou Meta Quest, sortis respectivement en 2016 et 2019 sur le marché", confie à franceinfo Culture Michaël Schyns, professeur de marketing digital à HEC Liège, en Belgique. Des outils qui ont notamment pu être utilisés lors des périodes de confinement liées à la crise du covid-19. "À ce moment-là, la réalité virtuelle n'était plus un simple complément, mais un véritable substitut aux visites physiques", résume Laurence Dessart, professeure en marketing digital à l'université de Liège.
Elle s'est presque banalisée aujourd'hui. On ne compte plus le nombre d'expositions, de musées ou d'événements qui intègrent ces ateliers immersifs à leur programmation. "La réalité virtuelle n'a pas la part belle dans tous les secteurs économiques, mais dans le tourisme et la culture, elle connaît une croissance incontestable à l'échelle mondiale", note Laurence Dessart.
"La culture est un des secteurs qui mobilise très fortement ces technologies."
Laurence Dessart, professeure à l'université de Liègeà franceinfo Culture
Ces nouveaux outils ont un avenir prometteur auquel la France et l'Europe entendent prendre part activement. En juillet 2023, la Commission européenne a adopté une nouvelle "stratégie sur le web 4.0 et les mondes virtuels afin d'accompagner la prochaine transition technologique". Dans de nombreux musées et lieux culturels, ces nouvelles technologies trouvent peu à peu leur place. Par exemple, depuis 2025, le Louvre propose une visite guidée immersive retraçant l'histoire du musée le plus connu du monde. Jusqu'en septembre 2025, l'expérience Éternelle Notre-Dame invite à un voyage de 850 ans sur l'histoire de la cathédrale, dans un espace de 500 m2 où les visiteurs deviennent acteurs de cette grande fresque historique.
Dans certains cas, la réalité virtuelle remplace totalement la visite physique. "Pour des personnes à mobilité réduite, en situation de handicap, ou simplement pour celles qui ne peuvent pas se déplacer en raison de la distance ou de l'inaccessibilité des lieux, la réalité virtuelle est une solution", note Laurence Dessart. Elle permet aussi de répondre à des contraintes financières : entre 2010 et 2020, les tarifs d'entrée des musées nationaux ont augmenté en moyenne de 37% pour les billets pleins et de 41% pour les tarifs réduits, rappelle l'étude Patrimostat citée par Le Quotidien de l'art.
Mémorable, encore coûteuse et parfois inconfortable
Utiliser les nouvelles technologies réinvente notre manière de consommer de l'art et d'explorer le patrimoine. Les expériences de réalité virtuelle "forment des souvenirs forts, qu'ils soient épisodiques (liés aux événements autobiographiques, l'expérience personnelle et sa séquence) ou sémantiques (liés au contenu de l'information présentée)", indiquent quatre spécialistes des questions digitales dans un article publié sur The Conversation. C'est une expérience active, qui permet, en comparaison avec d'autres médiums, plus d'interactivité. "On est immergé dans la 3D : c'est bluffant, beaucoup plus impressionnant et très engageant", se réjouit Laurence Dessart, l'une des autrices du texte.
Mais des limites subsistent encore. Comme le craignait le grand-père de Chloé et Augustin à Rouen, des problèmes comme le cyber-malaise (nausées déclenchées par la visualisation de contenus numériques en mouvement sur des appareils) sont des enjeux pour les producteurs, même s'ils sont de mieux en mieux maîtrisés. Un inconfort qui touche surtout les personnes âgées, à la différence des jeunes, plus habitués à ces outils. "Les jeunes, qui peuvent avoir un peu plus d'appétence parce qu'ils jouent aux jeux vidéo et appréhendent un petit peu mieux la technologie, ont un petit peu plus l'habitude de la pratiquer, admet l'universitaire. Mais il y a une diminution des barrières à l'entrée, et les personnes âgées qui s'en servent sont de moins en moins réticentes et gardent un bon souvenir de leur expérience."
Le frein principal reste le prix. Du matériel, tout d'abord, qui est fragile et qui doit être renouvelé au gré des nouveautés et évolutions. Mais aussi le prix du développement des environnements 3D que les visiteurs visualisent, qui nécessitent énormément de ressources.
"Les coûts de production sont assez élevés, admet Jean Vergès, directeur de la Cité immersive de Rouen. Aujourd'hui, on n'a pas l'intention de produire de contenu en réalité virtuelle. En revanche, on serait ravi de continuer à explorer des logiques de partenariat ou de coproduction avec des acteurs qui ont déjà fait des choses merveilleuses."
"Je ne crois pas à un musée 100% virtuel "
Alors, quelles seront les futures évolutions ? Allons-nous plonger dans un monde 100% digital, où les musées et lieux culturels seront disponibles chez nous, depuis notre canapé, à travers la simple utilisation d'un casque pas cher ? Les musées vont-ils fermer leurs portes ? Il y a fort à parier que le marché de la réalité virtuelle va s'étendre, et que de nombreux secteurs vont de plus en plus l'utiliser. Selon MarketsandMarkets, le secteur de la réalité virtuelle et augmentée en France devrait enregistrer un taux de croissance annuel de 23,6% entre 2022 et 2027.
Si l'utilisation de casques reste une niche, le marché mondial devrait connaître une croissance annuelle moyenne de 38,6% entre 2025 et 2029, selon l'International Data Corporation (IDC), une institution américaine spécialisée dans les technologies informatiques. Une croissance qui dépend en grande partie des innovations, notamment de la part du groupe américain Meta (Facebook, Instagram et WhatsApp) devenu incontournable dans le secteur. Il renforce ses parts de marché et ses investissements dans le domaine.
La réalité virtuelle s'installera-t-elle bientôt dans tous les foyers ? "Je ne parierai pas dessus, répond Laurence Dessart. Même si je pense que les technologies vont devenir de plus en plus abordables en termes de prix et que le nombre d'utilisateurs va augmenter."
Davantage d'utilisateurs, mais pas au point de sonner la fin des musées. Si des initiatives comme Google Arts & Culture, qui propose des visites de musées à 360 degrés, sont de plus en plus consultées, la visite physique garde encore de l'intérêt. "La réalité virtuelle ne remplacera jamais la réalité ! Je ne crois pas à un musée 100% virtuel, surtout à la place de musées réels. Et ce serait extrêmement triste. L'intérêt de cet outil est de permettre de simuler des choses que l'on ne peut pas faire ou faire facilement dans le réel, de rendre l'impossible possible", insiste Michaël Schyns. La cohabitation entre technologie et lieux physiques devrait encore perdurer.
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