En hommage à Wayne Shorter, son dernier groupe se produit à la Seine Musicale avec un invité de marque, le saxophoniste Ravi Coltrane
Saxophonistes de légende, Wayne Shorter et John Coltrane se sont côtoyés entre la fin des années 1950 et la première moitié des années 1960. Plusieurs décennies plus tard, le dernier groupe du premier et le fils du second s'associent pour un hommage à Shorter, disparu en 2023.
/2025/03/25/efespeleven101932-67e2cd859def0265494347.jpg)
À l'aube du XXIe siècle, Wayne Shorter, compositeur et saxophoniste majeur de la scène jazz mondiale, pilier des Jazz Messengers à ses débuts, puis de Weather Report, ancien compagnon de route de Miles Davis (entre autres), formait un nouveau quartet haut de gamme. Autour de lui, des musiciens qui avaient l'âge d'être ses fils : le pianiste panaméen Danilo Pérez (né en 1966), le contrebassiste américain John Patitucci (né en 1959) et le batteur américain Brian Blade (né en 1970). Ces trois artistes allaient demeurer ses compagnons de route jusqu'à la mort de Shorter, à 89 ans, le 2 mars 2023. Deux ans après sa disparition, ils se reforment sous le nom Legacy of Wayne Shorter pour une tournée internationale avec un invité très spécial : Ravi Coltrane, 59 ans, saxophoniste comme Wayne Shorter, et fils du mythique John Coltrane (1926-1967), saxophoniste qui propulsa le jazz vers d'autres sphères. Cette formation hors norme est en tournée entre Europe et États-Unis, avec deux dates françaises au programme : vendredi 28 mars à la Seine Musicale à Boulogne-Billancourt, aux portes de Paris, puis jeudi 3 avril à Voiron (Isère), au Grand Angle.
Le dernier concert du Wayne Shorter Quartet en France fut donné le 29 novembre 2016, à la Philharmonie de Paris, et les heureux détenteurs d'un sésame s'en souviennent encore. Après la mort de Shorter, ses trois compagnons de route se sont parfois produits en trio. "Mais c'est la première fois qu'ils vont jouer avec un invité sur la thématique de l'héritage Wayne Shorter", souligne François Lacharme, responsable de la programmation jazz et musiques du monde à la Seine Musicale. Il répond à trois questions de Franceinfo Culture.
/2025/03/28/composite-ravi-2-67e6b36be6626267248591.jpg)
Franceinfo Culture : Qu'est-ce qui faisait la griffe et la force du quartet de Wayne Shorter ?
François Lacharme : Cette formation était beaucoup plus proche de l'improvisation libre à partir de quelques schémas, que d'une feuille de route bien établie, balisée et correspondant à la logique "thème, improvisation, retour au thème". Wayne Shorter a dépassé tout ça. Ce qui rappelle d'ailleurs furieusement ce que faisait Miles Davis avec ses propres musiciens collaborateurs – dont Shorter avait fait partie à une époque. Cette rythmique, qui a quelque chose de télépathique, a énormément grandi au contact de Wayne Shorter. Le bassiste John Patitucci a été révélé par Chick Corea : quand il est rentré dans son Acoustic et dans son Electric Band, c'était un virtuose qui en mettait partout [des notes], doué à la contrebasse, très doué à la basse électrique. Il rentrait bien dans le jeu de Chick Corea. Quant au batteur Brian Blade, je crois que la première fois que je l'ai vu, c'était au théâtre du Châtelet dans les années 2010. J'ai été sidéré par ce ballet – au sens chorégraphique du terme – qu'il menait avec ses baguettes, cette danse autour de ses cymbales, et surtout cette manière de projeter ses antennes dont ses baguettes semblaient être la projection... On voyait cette extraordinaire disponibilité aux autres, un peu comme quelqu'un qui va ponctuer, commenter, souligner, mais à un niveau très élevé, très stratosphérique. John Patitucci, Brian Blade et Danilo Pérez ont tous évolué, ils se sont tous enrichis au contact de Wayne Shorter. Parce que Shorter a dû sentir qu'ils étaient capables d'aller plus loin que leurs propres prés carrés. Et vous n'aviez pas le choix. Wayne Shorter vous forçait à aller plus loin dans les retranchements de votre imagination, plus loin dans l’écoute.
Vous avez reçu le quartet de Wayne Shorter par le passé au théâtre du Châtelet où vous assuriez la programmation jazz à une époque. Quel souvenir en gardez-vous ?
Ce concert a eu lieu le 26 octobre 2010. Je me souviens d'avoir discuté avec lui après le concert. Il se reposait, il était content. Je lui ai dit : "Wayne, le concert a duré 1h30 et j'ai chronométré, vous n'avez joué que 16 minutes." Bien sûr, je lui ai dit cela sur le ton de la galéjade ! Il l'a d'ailleurs très bien compris parce que c'est quelqu'un qui avait un humour très subtil. Il a réfléchi. Puis il a pris son petit regard un peu malicieux et il m'a répondu : "Toute note supplémentaire aurait été inutile." Pendant ce concert, je me souviens qu'il était totalement imprévisible. De temps en temps, il formait une sorte de contrepoint avec ses musiciens, il les laissait donc se parler entre eux, se "challenger". C'était toujours très subtil, comme s'ils avaient sorti toutes leurs antennes... Et lui, il intervenait ici et là, un peu comme un commentateur. De temps en temps, il posait son saxophone sur son trépied. Parfois, il le reprenait, il ajustait le bec, il portait son saxophone à la bouche, il écoutait avant de pondre la moindre note... Puis finalement, il décidait que ce n'était pas le bon moment, il reposait son saxophone. Il exhortait sa rythmique à être libre. Un jour, il avait employé une image qui me plaisait assez : il fallait qu'ils retrouvent la fraîcheur de leur enfance un peu comme des gamins qui discutent dans une cour de récréation, qui s'envoient des défis, qui peuvent éventuellement se chamailler tout en se respectant, s'agissant de musiciens de cette trempe... Ce qui est très important dans le jazz, c'est sa qualité conversationnelle. Le jazz pour moi, c'est une conversation.
Le dernier groupe de Wayne Shorter et Ravi Coltrane, c'est un sacré défi ! Que pouvez-vous nous dire du fils de John Coltrane ?
Ravi Coltrane est un saxophoniste qu'on voit assez peu. Déjà, il s'appelle Ravi, comme Ravi Shankar que ses parents ont connu, ça crée un tropisme. Ensuite, il a très peu connu son père [Il n'avait pas 2 ans quand John Coltrane est mort]. Certes, sa mère Alice, musicienne, pèse son poids d'histoire, mais dans une niche particulière. Je pense que Ravi n'a pas été nécessairement biberonné uniquement à la musique de son père. Ensuite, ce qui est intéressant chez lui, me semble-t-il, c'est qu’il a été adoubé par des gens qui jouaient autrefois avec John Coltrane. C'est peut-être la clé de son développement. Un de ses premiers employeurs, c'était le batteur Elvin Jones. Après, je sais qu'il a joué avec le pianiste McCoy Tyner [Ce sont deux compagnons de route emblématiques de John Coltrane]. Puis, plus tard, il a joué avec Herbie Hancock, avec Wayne Shorter, sachant que celui-ci et son père s'appréciaient. Quand on déroule les noms qui ont jalonné son parcours, on s'aperçoit que c'est quand même un Who's Who ? du jazz des quarante dernières années. Ravi Coltrane s'est détaché de l'héritage, de l'image tutélaire de son père – et tant mieux. Il n'en arrive pas moins avec une double charge sur l'épaule. Le trio qu'il rejoint pour cette tournée va jouer dans l'esprit de Shorter, ils vont interpréter essentiellement ses compositions. Ravi Coltrane se retrouve avec une rythmique qui est restée pendant dix-huit ans celle de Wayne Shorter. Le mieux pour lui, c'est peut-être de ne pas trop y penser...
À regarder
-
Une finale en or : "C'est une famille qui a gagné"
-
Laurent Nuñez, Jean-Pierre Farandou... La liste des ministres du gouvernement Lecornu II
-
Cookie, burger : le croissant à toutes les sauces
-
Sauvetage spectaculaire : hélitreuillé depuis l'Arc de triomphe
-
Retour de S. Lecornu : peut-il tenir ?
-
"Je ne l'ai pas tuée" : Cédric Jubillar réaffirme son innocence
-
Oeufs, à consommer sans modération ?
-
Ours : ils attaquent même dans les villes
-
Ce radar surveille le ciel français
-
On a enfin réussi à observer un électron !
-
"Manifestation des diplômés chômeurs, un concept marocain !"
-
Crise politique : "La dernière solution, c'est la démission du président de la République"
-
Le loup fait taire la Fête de la science
-
Les tentatives de suic*de en hausse chez les adolescentes
-
Défi chips : alerte dans un collège
-
Quand tu récupères ton tel à la fin des cours
-
Ukraine : le traumatisme dans la peau
-
Teddy Riner s'engage pour sensibiliser sur la santé mentale
-
Suspension de la réforme des retraites : les gagnants et les perdants
-
Ukraine : le traumatisme dans la peau
-
L'espoir renaît à Gaza après l'accord de cessez-le-feu
-
Une école pour se soigner et réussir
-
Taux immobiliers : est-ce le moment d'acheter ?
-
La panthéonisation de Robert Badinter
-
Cancer : des patientes de plus en plus jeunes
-
"Le Bétharram breton" : 3 établissements catholiques dénoncés par d'anciens élèves
-
Cessez-le-feu à Gaza : un premier pas vers la paix
-
Quand t'as cours au milieu des arbres
-
Il gravit la tour Eiffel en VTT et en 12 min
-
Pourquoi on parle de Robert Badinter aujourd'hui ?
Commentaires
Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.
Déjà un compte ? Se connecter