Printemps de Bourges 2025 : "C'est un peu comme l'Eurovision version française !". Les Inouïs fêtent leurs 40 ans

Manu Chao, Zebda, Gojira, Zaho de Sagazan, Eddy de Pretto ou Christine and the Queens… Vous les connaissez tous, mais saviez-vous que ces stars ont démarré par ce tremplin de musique émergente ?

Article rédigé par Paul Dubois
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 10min
Le groupe Exotica Lunatica sur la scène des Inouïs du Printemps de Bourges 2025. (AMELINE VILDAER)
Le groupe Exotica Lunatica sur la scène des Inouïs du Printemps de Bourges 2025. (AMELINE VILDAER)

"C'est un peu comme l'Eurovision à la française" : c'est ainsi qu'Elleana, membre du duo Exotica Lunatica – sélectionnées parmi les heureux élus des Inouïs – nous a offert la meilleure définition ce que représente ce que l'on peut considérer, sans exagérer, comme le plus grand tremplin musical de France.

Cette année, les Inouïs du Printemps de Bourges soufflent leurs quarante bougies – l'occasion rêvée pour 33 artistes émergents de présenter leur univers à un public mêlant curieux, passionnés… et, bien sûr, professionnels en repérage.

Une histoire empreinte d'engagement

Mais d'abord, un peu d'histoire. Les Inouïs ont vu le jour en 1985 à l'initiative des fondateurs du festival du Printemps de Bourges, Daniel Colling, Alain Meilland et Maurice Frot. Leur objectif ? Mettre en lumière une nouvelle génération d'artistes, en particulier les jeunes talents émergents venus des quatre coins de l'Hexagone.

À cette époque, le festival recevait de nombreuses cassettes audio d'artistes souhaitant se faire connaître, mais l'équipe de programmation ne savait pas comment les traiter. Pour y remédier, elle a sollicité des partenaires régionaux afin qu'ils écoutent ces enregistrements et opèrent une première sélection.

Depuis, et en quarante ans, les Inouïs, c'est ce palmarès de noms qui claquent – et pas des moindres. Petit moment name dropping : Manu Chao, Zebda, Gojira, Zaho de Sagazan, Eddy de Pretto, Feu! Chatterton, Christine and the Queens… rien que ça. Et pour la petite anecdote : dans la toute première promo de 1985, entre quelques artistes restés injustement dans l'ombre comme Jean-Michel Piton ou Jean-Jacques Boulet, toujours musiciens, certains Inouïs ont marqué leur époque, à l'image d'Allain Leprest, Nilda Fernandez ou encore l'Affaire Louis Trio. Pas mal, non ?

Mais aujourd'hui, pour devenir Inouïs, la concurrence est rude et le chemin est sinueux. "Chaque année, près de 4 000 artistes postulent. Après plusieurs étapes de sélection à travers la France, seuls 1% d'entre eux se produisent au Printemps de Bourges. C'est plus sélectif que médecine !", explique Rita Sa Rego, directrice du Réseau Printemps qui gère les Inouïs.

Maillage territorial

Le réseau des Inouïs du Printemps de Bourges, c'est avant tout une mécanique bien huilée, ancrée dans tout le territoire grâce à un maillage solide porté par de nombreuses associations musicales régionales. Chaque région dispose de son propre jury, comme c'est le cas en Limousin avec Fred Lomey, référent local de l'antenne Inouïs. "Les antennes sont des structures territoriales basées sur les anciennes régions, et c'était important de les garder", explique-t-il. "On travaille avec des relais – des structures impliquées localement comme les radios ou les Smac (Scène de musiques actuelles) – qui repèrent les artistes du territoire."

Le processus démarre dès octobre avec un appel à candidatures, qui permet d'avoir "une vision d'ensemble de ce qu'il se passe musicalement sur le territoire." Suit une journée d'écoute réunissant un jury régional, avant de passer la main à un comité artistique national composé de cinq conseillers pour toute la France. "Le premier support, c'est l'écoute", souligne Fred Lomey. Viennent ensuite les auditions en janvier, et enfin le jury final à Paris en février. Un parcours exigeant, mais essentiel pour détecter les talents de demain.

Diversité de la scène émergente

Les Inouïs de l'année présentent une programmation musicale résolument éclectique, avec des projets issus de tous les horizons. Parmi eux, une forte présence du rock, un genre qui semble revenir en force. Selon Rita Sa Rego : "Le rock est bien présent parmi les Inouïs. Nous avons même des formations rock féminines, ce qui est vraiment agréable à voir. Mais nous avons aussi de l'électro, du rap, de la pop et une grande diversité musicale, ce qui témoigne de la richesse de la scène émergente."

Mais depuis 2021, les choses ont changé avec l'air du temps : "Les Inouïs ne sont plus présentés par esthétique musicale", précise-t-elle. Cette évolution a permis une meilleure découverte des artistes, tant pour le public que pour les professionnels, en favorisant les croisements de genres. "Cela a permis de mélanger des genres comme la chanson, le rock et le rap, ce qui fonctionne très bien", ajoute-t-elle. Un choix qui semble non seulement enrichir la programmation, mais aussi offrir une nouvelle dynamique à la scène musicale émergente.

Des univers variés

Parmi les ovnis musicaux qui sortent clairement des sentiers battus, le duo Exotica Lunatica, originaire de Strasbourg, ne passe pas inaperçu. Né de la rencontre entre Eleanna, chanteuse d'opéra grecque, et Daphné, compositrice de musiques contemporaines, ce projet singulier propose un univers audacieux qu'elles décrivent comme un "opéra tribal transpolyphonique". Oui, c'est pointu, mais ça vaut le détour. Leur approche artistique, qui puise dans l'héritage des racines et célèbre la force féminine, nous transporte dans un univers mystique et envoûtant, où se rencontrent musiques traditionnelles et sonorités modernes.

Leur aventure a véritablement pris son envol grâce à une reconnaissance régionale. "On a été repérées par le dispositif d'émergence Music&lles en région Grand Est, et ensuite, de fil en aiguille, on a été accompagnées par une Smac et l'Espace Django de Strasbourg, et puis petit à petit, les Inouïs sont devenus une suite logique dans la continuité de notre projet", explique Daphné. Une trajectoire qui prouve que la singularité peut parfaitement trouver sa place dans les dispositifs d'accompagnement de la scène musicale actuelle.

Les Inouïs, c'est l'attribution de trois prix : le prix du Printemps, le prix du jury et le prix du public. Cette année, un grand nom du passé des Inouïs sera présent en personne pour remettre les prix : Eddy de Pretto. Inouï en 2017, il revient cette année en tant que président du jury pour la sélection 2025. Lauréat du prix Printemps de Bourges, Eddy de Pretto incarne parfaitement l'esprit des Inouïs, mêlant talent, reconnaissance et engagement envers la scène musicale.

Au-delà de la compétition et des récompenses, un élément fait l'unanimité : les Inouïs représentent avant tout une exceptionnelle occasion de rencontres. Comme le souligne Eva, chanteuse du bouillonnant quintet post-punk Ménades, venu de l'antenne d'Île-de-France : "C'est un step à passer, pas forcément obligé, mais c'est un accélérateur. Et puis, c'est sympa, il y a la Classe verte pendant une semaine et ça permet de faire des rencontres d'autres artistes, on se fait des copains, on apprend des choses, c'est enrichissant."

Découverte et échanges

C'est le moment idéal pour les jeunes artistes de faire découvrir leur travail. Plusieurs événements sont organisés à cet effet, dont le Rendez-vous des antennes, un grand raout où l'objectif est clair : serrer des mains, nouer des contacts, le tout dans un jardin peuplé d'une nuée de producteurs, managers, attachés de presse et, bien sûr, artistes.

Certains l'admettent, l'exercice n'est pas évident. "Quand on est timide, c'est difficile de se lancer seul dans ce genre de situations. Heureusement, il y a des visages familiers, ce qui facilite les échanges", expliquent les membres du groupe Web, originaire de Bordeaux.

Pour Chloé alias Tatie Dee, le Printemps de Bourges marque un tournant décisif. Violoniste de formation et DJ originaire d'Île-de-France, elle s'est produite en live pour la toute première fois lors des auditions des Inouïs. "J'ai fait deux lives dans ma vie : les auditions des Inouïs… aujourd'hui !", confie-t-elle avec enthousiasme. Son univers mêle une house très marquée par le disco 90's, aux accents de deep, acid et trance. Depuis 2025, elle se consacre au live, sans ordinateur, avec un setup composé uniquement de synthés.

Poussée par son manager à candidater aux Inouïs à la dernière minute, elle découvre un écosystème qu'elle ne soupçonnait pas : "Je ne connaissais même pas le dispositif, je savais juste que c'était un tremplin où plein d'artistes débutaient." Aujourd'hui, elle savoure chaque instant et les rencontres artistiques qui en découlent. "Je participe à une sorte de classe verte géante avec plein d'artistes de styles différents. Il y a une vraie énergie de partage… pourquoi pas faire des prods hip-hop ?" Et la suite s'annonce tout aussi encourageante. Son troisième live aura lieu aux arènes de Nîmes au côté de... Cassius. Rien que ça. Le cru 2025 des Inouïs s'annonce donc tout aussi prometteur que les précédents par la diversité des artistes qui en sortent.

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