"Il primo omicidio" de Scarlatti : Castellucci et Jacobs s'attaquent au premier meurtre de l'histoire
"Il primo omicidio", à l'Opéra Garnier, histoire du premier homicide mis en musique par Alessandro Scarlatti, était attendu. Pour le thème et pour l'œuvre, une découverte. Et surtout pour la réalisation, co-signée René Jacobs, chef baroque culte, et Romeo Castellucci, auteur de célèbres mises en scène polémiques. Le résultat est... inattendu. Et nous a en grande partie ravis. Jusqu'au 23 février.
/2021/12/14/61b8b993d5773_lorenzo-ciavarini-azzi.png)
/2019/04/12/bernd_uhlig_opera_national_de_paris-il-primo-omicidio-18.19-c-bernd-uhlig-onp-14-.jpg)
Soirée de première à l'Opéra Garnier, le 24 janvier, de "Il primo omicidio" de Alessandro Scarlatti donné pour la première fois à l'Opéra de Paris. Une soirée événement, dans laquelle deux noms s'imposent. Le premier est le chef d'orchestre René Jacobs. Une véritable "force tranquille" : discret, caché dans la fosse, quasi immobile avec sa baguette, le Belge aux boucles poivre et sel ne fait pas de vagues. Et pourtant son empreinte dans la musique est déjà profonde.
Un vrai duo Jacobs-Castellucci
C'est à ce génial archéologue de la musique baroque et classique qu'on doit la redécouverte de l'oratorio "Il primo omicidio" de Alessandro Scarlatti (de 1707) : attention, ne pas confondre ce compositeur avec son fils, Domenico Scarlatti, auteur de célèbres partitions pour clavecin. Alessandro, lui, a été éclipsé par deux autres génies arrivés sur le même créneau peu après lui, Vivaldi et Haendel.L'autre nom de la soirée est l'Italien Romeo Castellucci, qui signe à la fois la mise en scène, les décors, les costumes et la lumière. À l'inverse de Jacobs, lui est connu pour faire des vagues : provocateur pour les uns, iconoclaste ou visionnaire pour les autres, ses réalisations au théâtre ou à l'opéra déchaînent les passions ("Inferno", "Jeanne au bûcher", "Moses und Aron"…), quand elles n'attirent pas l'hostilité de groupuscules, notamment de catholiques fondamentalistes ("Sur le concept du visage de Dieu"…).
Rien de tel pour "Il primo omicidio". La pièce traite pourtant d'un sujet "touchy", que peu de compositeurs ont osé aborder dans l'histoire, le premier homicide, celui d'Abel par son frère aîné Caïn (les deux fils d'Adam et Eve) rapporté par l'Ancien Testament. Difficile d'assumer cette histoire de désir de meurtre qui serait à l'origine de l'humanité, sorte de malédiction pour le genre humain…
L'humanité de Caïn
Or, autant le dire d'emblée : ce n'est pas le récit d'une violence gratuite originelle qui ressort de ce spectacle, on est loin d'un "Eliogabalo" (présenté à Garnier en 2016), héros éminemment cruel de Cavalli (composé en 1667). Non, au contraire : Romeo Castellucci met en exergue l'humanité de Caïn et le rend même attachant. S'il tue, c'est par "l'angoisse née d'un manque de reconnaissance", explique le metteur en scène. "Sa jalousie est une forme d'amour. Elle est sincère."/2019/04/12/bernd_uhlig_opera_national_de_paris-il-primo-omicidio-18.19-c-bernd-uhlig-onp-13-.jpg)
La musique humble et douce de Scarlatti
Cette humanité fait écho aussi à la douceur avec laquelle Scarlatti traite de l'histoire. Rappelons que ce n'est pas un opéra mais un oratorio, donc une pièce religieuse. La musique est d'une grande beauté, raffinée harmoniquement, mais du coup elle se doit d'être dépouillée, humble. Certes, pour s'adapter aux dimensions du palais Garnier, René Jacobs a étoffé l'orchestre, enrichi le continuo et ajouté par exemple des instruments à vent pour lui donner plus de couleurs.Mais rien de claironnant. Une délicatesse vraiment appréciable. Et les voix sont au diapason, louange à Dieu oblige. Contenues, ce qui peut étonner de prime abord. Contenues, toutes, excepté la Voix de Lucifer, tonitruante et gentiment cruelle du baryton-basse canadien Robert Gleadow. Efficace par exemple dans son solo du 2e acte, "Imite Dieu dans sa puissance", où il se réjouit de l'assassinat. Mais ne courons pas.
Bleu, vert, rouge
La première partie du spectacle raconte ce qui précède l'homicide, et en particulier le chant d'Adam et Eve qui dit leur culpabilité d'avoir succombé au péché de la chair.Émouvant notamment l'air du "Sommo Dio", prière presque susurrée d'Eve, la soprano norvégienne Birgitte Christensen. Pour calmer la colère de Dieu, Caïn (agriculteur) propose le sacrifice de ses récoltes, mais c'est l'agneau de son frère Abel (éleveur) qui est préféré. D'où la jalousie de l'aîné. Très bel air solo, moment suspendu : la Voix de Dieu, surgie d'une corbeille de Garnier, du très convaincant Benno Schachtner évoque justement sa préférence pour le sacrifice d'Abel.
/2019/04/12/bernd_uhlig_opera_national_de_paris-il-primo-omicidio-18.19-c-bernd-uhlig-onp-6-.jpg)
Les personnages évoluent sur le plateau comme des silhouettes à la Bob Wilson, postures hiératiques au mouvement ralenti, décomposé, souvent répété. Derrière elles, un univers visuel surprenant, comme une ouverture à tous les possibles et qui met intelligemment la musique en valeur : de grands aplats de couleur lumineux, apparaissent, d'abord dans un flou troublant, puis par touches géométriques ciblées. Prédominants le bleu pour le ciel, le vert pour la terre, mais aussi le rouge du sang sacrificiel et pléthore de nuances. La référence aux toiles contemplatives de Mark Rothko est claire, mais on y voit également l'influence d'un Sujimoto : lignes horizontales et verticales, puissance lumineuse du blanc, présence de l'éclair.
Enfance(s)
Changement radical dans le 2e acte, l'univers d'abstrait et clair devient figuratif (c'est un grand champ, on imagine celui de Caïn) et nocturne. Surtout, la perspective sur la réalité est bouleversée, tous les personnages sont désormais joués par des enfants qui articulent le texte sans chanter. À peine visibles dans la fosse, les adultes assurent les voix. Etonnant. D'autant que cet acte regorge de jolis airs : celui de "La paix amicale et fraternelle" qui précède l'assassinat par exemple est un très beau duo qui réunit Kristina Hammarström dans le rôle de Caïn et la très prometteuse Olivia Vermeulen (que nous avions repérée dans "Kein Licht" à l'Opéra comique en 2017) dans celui d'Abel. On est séduit aussi par cet autre air de cette dernière, cette fois solo, venu des hauteurs, "Ne pleurez pas le fils tué", à l'adresse de ses parents Adam et Eve./2019/04/12/bernd_uhlig_opera_national_de_paris-il-primo-omicidio-18.19-c-bernd-uhlig-onp-32-.jpg)
À regarder
-
"Je ne l'ai pas tuée" : Cédric Jubillar réaffirme son innocence
-
Oeufs, à consommer sans modération ?
-
Ours : ils attaquent même dans les villes
-
Ce radar surveille le ciel français
-
On a enfin réussi à observer un électron !
-
"Manifestation des diplômés chômeurs, un concept marocain !"
-
Crise politique : "La dernière solution, c'est la démission du président de la République"
-
Le loup fait taire la Fête de la science
-
Les tentatives de suic*de en hausse chez les adolescentes
-
Défi chips : alerte dans un collège
-
Quand tu récupères ton tel à la fin des cours
-
Ukraine : le traumatisme dans la peau
-
Teddy Riner s'engage pour sensibiliser sur la santé mentale
-
Suspension de la réforme des retraites : les gagnants et les perdants
-
Ukraine : le traumatisme dans la peau
-
L'espoir renaît à Gaza après l'accord de cessez-le-feu
-
Une école pour se soigner et réussir
-
Taux immobiliers : est-ce le moment d'acheter ?
-
La panthéonisation de Robert Badinter
-
Cancer : des patientes de plus en plus jeunes
-
"Le Bétharram breton" : 3 établissements catholiques dénoncés par d'anciens élèves
-
Cessez-le-feu à Gaza : un premier pas vers la paix
-
Quand t'as cours au milieu des arbres
-
Il gravit la tour Eiffel en VTT et en 12 min
-
Pourquoi on parle de Robert Badinter aujourd'hui ?
-
Robert Badinter : une vie de combats
-
La tombe de Robert Badinter profanée à Bagneux
-
Accord Hamas-Israël, la joie et l’espoir
-
"Qu’on rende universelle l'abolition de la peine de mort !"
-
Guerre à Gaza : Donald Trump annonce qu'Israël et le Hamas ont accepté la première phase de son plan
Commentaires
Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.
Déjà un compte ? Se connecter