Le musicien brésilien Hermeto Pascoal, "sorcier" multi-instrumentiste, est mort à 89 ans

Magicien du son aux airs de Merlin l'enchanteur, il transformait tout en instrument de musique, de l'eau d'un lac aux théières qui faisaient partie de son foisonnant attirail de scène.

Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 7min
Le musicien brésilien Hermeto Pascoal et son équipement de percussions, sur scène à Huesca le 21 juillet 2018, lors du Pirineos Sur Festival. (JAVIER CEBOLLADA / EFE / SIPA)
Le musicien brésilien Hermeto Pascoal et son équipement de percussions, sur scène à Huesca le 21 juillet 2018, lors du Pirineos Sur Festival. (JAVIER CEBOLLADA / EFE / SIPA)

La mort d'Hermeto Pascoal a été annoncée par ses proches sur ses comptes de réseaux sociaux, dont Instagram (voir post en bas de page), dans la nuit de samedi à dimanche (heure française) : "Avec sérénité et amour, nous vous annonçons que Hermeto Pascoal a fait son passage au plan spirituel, entouré de membres de sa famille et d'amis musiciens. Au moment exact du passage, son Grupo [le nom du groupe qui l'accompagnait] était sur scène, comme il aurait aimé : faire du son et de la musique. Comme il nous l'a toujours appris, ne laissons pas la tristesse prendre le dessus : écouter le vent, le chant des oiseaux, le verre d'eau, la cascade, la musique universelle continue de vivre."

Compositeur, musicien et improvisateur de génie, personnage joyeux et exubérant à la chevelure foisonnante, Hermeto Pascoal, surnommé le "Sorcier" ("Bruxo") du son, a fasciné et inspiré des générations d'artistes, tant dans son pays que dans le monde du jazz. Son champ d'expérimentation englobait les musiques improvisées, le rock ainsi que les rythmes et thèmes traditionnels de sa région natale du Nordeste, son éternelle source d'inspiration. Il s'est éteint à Rio de Janeiro où il s'était établi depuis des décennies. Souffrant de complications d'une fibrose pulmonaire, il était hospitalisé depuis la fin du mois d'août. Son ultime tournée l'a conduit une dernière fois sur une scène de France - où il se produisait assez régulièrement -, en l'occurrence à Jazz in Marciac où il était apparu très diminué.

Musicien autodidacte fou de son


Hermeto Pascoal, né le 22 juin 1936 à Arapiraca, dans l'État d'Alagoas (nord-est du Brésil, dit "Nordeste"), commence dès l'enfance à jouer de l'accordéon, de la flûte et des percussions. Comme il est atteint d'albinisme et de strabisme, sa santé l'empêche de travailler des heures durant sous le soleil dans les champs. Il se plonge dans la musique en autodidacte et explore de nombreux instruments, mais aussi tout ce qui peut émettre du son. Il a "appris à l'écoute de tous les sons de la nature environnante : les oiseaux, les vaches, les volailles... Une symphonie !", confiera-t-il, cité par Libération .

Le garçon boulimique de son, curieux de tout, fait ses premières armes dans les bals populaires et traditionnels. Il prend peu à peu son envol comme musicien. Il s'installe à Recife avec sa famille en 1950, puis il part à Rio en 1958, puis quelque temps à São Paulo... Son équipement musical : les instruments de sa jeunesse comme l'accordéon, ceux - nombreux - qu'il étudie en cours de route comme le piano et le saxophone, mais aussi toutes sortes de fabrications artisanales dont il fera sa griffe : fifres faits maison pour imiter les oiseaux, théières, tasses, chaudrons... Dans les années 80, il est filmé dans l'eau, muni d'une flûte et de récipients qu'il immerge généreusement tout en jouant, entouré de compagnons soufflant dans des bouteilles... Sa Musique de la lagune, devenue un document culte, est particulièrement représentative de la créativité, la poésie et la fantaisie de l'artiste.



Au cours de sa foisonnante carrière, Hermeto Pascoal collabore avec des figures de la musique brésilienne comme le batteur Airto Moreira qui l'intègre dans son Quarteto Novo. Il joue avec les chanteurs Geraldo Vandré, Edu Lobo, Elis Regina et Flora Purim, épouse et partenaire en musique de Moreira. Grâce à Airto Moreira, il rencontre le trompettiste américain Miles Davis qui, fasciné par son art et sa créativité, l'invite à participer à son album Live-Evil en 1970. Quelques années plus tard, Pascoal part en tournée avec un autre géant du jazz, le trompettiste Dizzy Gillespie, en Amérique du Sud.

En 1979, Hermeto Pascoal donne un concert d'anthologie avec son groupe à Montreux, en Suisse, une performance libre, folle et inclassable à son image, qui fait l'objet d'une captation vidéo et d'un album, Ao Vivo Montreux Jazz Festival (extrait ci-dessous).



La France l'invite régulièrement à se produire notamment sur les scènes de festivals comme Jazz sous les Pommiers, Jazz à Vienne, Sons d'Hiver, Jazz in Marciac... Ses concerts au New Morning, à Paris, ont laissé également de grands souvenirs, comme celui de juillet 2013 auquel nous avions assisté.

Parmi ses enregistrements les plus emblématiques, figure A Música Livre de Hermeto Pascoal [traduction : la musique libre d'Hermeto Pascoal], album paru en 1973 dans lequel on trouve l'un des classiques du Sorcier, Bebê, mais aussi Slaves Mass (1977), Cerébro Magnético (1980)... Sur le tard, en 2019, il reçoit un Grammy Latino pour son disque Hermeto Pascoal e Sua Visão Original do Forró.



En août dernier, pour clôturer avec brio son édition 2025 en pleine saison Brésil en France, Jazz in Marciac avait programmé deux géants, vétérans légendaires du jazz instrumental brésilien, et deux brillants cadets en première partie (dont le mandoliniste Hamilton de Holanda), pour les deux dernières soirées. D'abord, Egberto Gismonti, 77 ans, rarissime en France, le 6 août. Puis, pour la clôture le 7, Hermeto Pascoal, 89 ans. Ce dernier est arrivé sur scène très affaibli, en fauteuil roulant, aidé par un assistant et relié à une bouteille d'oxygène par des tuyaux. Il a passé le reste de son séjour à l'abri de sa chambre d'hôtel. Gismonti misait sur Marciac pour des retrouvailles avec son vieil ami, a relaté Télérama . Il est reparti au Brésil sans l'avoir revu.

Le final de Marciac 2025 conservera à jamais une impression crépusculaire. Mais d'Hermeto Pascoal, on préférera garder le souvenir du débonnaire sorcier débordant d'imagination, bavard (en portugais !) et intenable, se promenant d'un bout à l'autre de la scène pour interagir avec ses compagnons dont il ne manquait jamais de saluer le talent et la fidélité en amitié.


Un document émouvant à (re)voir après le départ du Sorcier : sur la scène de Montreux en 1979, Hermeto Pascoal et Elis Regina s'offrent une jam informelle, une joute clavier-voix le temps de quelques chansons. À la fin de l'extrait ci-dessous, Elis chante quelques paroles de Asa Branca (grand classique de Luis Gonzaga) et modifie le texte pour l'adresser au musicien : "Alors, j'ai dit : au revoir, Hermeto, gardez auprès de vous tout mon cœur..."



À écouter : Hommage à Hermeto Pascoal dans l'émission "Au cœur du jazz" sur France Musique (15 septembre 2025)

À écouter : Hermeto Pascoal à Antibes en juillet 1986, dans l'émission "Les légendes du jazz" sur France Musique, partie 1 et partie 2


À voir : la musique aquatique d'Hermeto Pascoal, vidéo France Musique / Culture Prime (février 2021)

À lire : Hermeto Pascoal : "La musique est ma respiration", interview sur le site de Fip (juillet 2018)


À voir : interview d'Hermeto Pascoal en novembre 2011, à l'occasion d'un de ses passages au New Morning, par Micmag.net

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