Jean-Christophe Spinosi met en "Miroirs" Bach et Chostakovitch
Son premier disque depuis six ans, « Orlando » de Haendel dans le sublime écrin de l’Opéra de Versailles et, dès janvier, son cher Rossini à Paris, au théâtre du Châtelet : triple actualité pour le « trublion du baroque ».
C’est facile d’agacer dans le milieu du classique: il suffit d’être inclassable, bavard, séduisant et un peu roublard (comme savent l’être les meilleurs acteurs), mais sincère aussi, d’aimer parler, échanger, convaincre, dire ce que l’on pense et qui ne plait pas toujours, de partir dans des digressions qui vous emmènent à des lieues (mais passionnantes !) de votre sujet. De raconter qu’on a entraîné sa chanteuse (Malena Ernman) au festival des « Vieilles Charrues », évidemment pas le territoire d’un amoureux du classique. Et surtout d’avoir fait sa réputation sur des opéras de Vivaldi, ce baroque trop aimé pour être honnête, et qu’il dirige tambour battant, de manière enthousiaste et volubile : « J’ai fait les opéras de Vivaldi parce qu’ils n’étaient jamais programmés et qu’il me paraissait important de les faire connaître ».
Réponse simple et limpide d’un homme qui réfute aussi son image de musicien baroque, rappelle sa formation classique de violoniste, son amour de Rossini ou Bellini. Et montre comme preuve (entretemps on lui parle de son itinéraire de Corse tombé amoureux de Brest (et s’y trouvant bien depuis tant d’années) et si juvénile à l’approche de la cinquantaine (et ça, c’est vraiment très agaçant) son disque, « Miroirs ». Son disque. Et celui de son ensemble Matheus; et de Malena Ernman.
Titre un peu passe-partout : « Les œuvres se répondent. Voilà pourquoi Miroirs ». Mais encore : « Ce sont des lamentos, des œuvres de lamentations. C’est parti de la découverte, il y a une dizaine d’années, d’un air de Jean Christoph Bach, un oncle lointain de Jean-Sébastien. Je l’ai dirigé dans une petite chapelle de Plougastel, il était chanté par un tout jeune homme pas très connu, Philippe Jaroussky. Je trouvais cet air à la fois si intemporel et si moderne, c’est de la fin du XVIIe siècle mais ce pourrait être de la musique pour Lars von Trier. Peu après j’ai croisé Nicolas Bacri et je lui ai passé commande : tu reprends le texte, le même type de voix, même durée, mais tu fais du Bacri. Et Bacri adore Chostakovitch… ».
Et voilà « Miroirs » : l’air de l’oncle (avec un violoniste émouvant et douloureux, Spinosi lui-même), un autre du neveu, Jean-Sébastien (de la cantate BWV 170, sublime, forcément), le « Lamento » de Bacri (de belle facture mais qui souffre un peu d’être au côté de ces deux merveilles), la voix étrange, sombre et magique de Malena Ernman. La « Symphonie de chambre » de Chostakovitch, dirigée très différemment des Russes, Spinosi insistant sur son inspiration yiddish, sur la nostalgie d’un monde disparu dans l’horreur, l’exacte puissance d’un lamento, tout de violence et de sombre clarté. Le célèbre « Adagio » de Barber, trop lent, qui sombre dans l’emphase, est moins heureux. Mais au final ces « Miroirs », traversée du XVIIe au XXe siècle, méritent vraiment qu’on s’y contemple. Dirigeant Orlando de Haendel à l'Opéra de Versailles
Spinosi dirigeant. On est à l’Opéra Royal de Versailles, merveilleux écrin inauguré en 1770 pour le mariage du dauphin et de la jeune Marie-Antoinette. Peint en bleu et or mais, en-dessous, du bois et une acoustique de rêve. C’est l’ «Orlando » de Haendel : Orlando amoureux d’Angelica, qui aime Medoro. Dorinda amoureuse de Medoro, qui aime Angelica. Les deux amants déçus ne se trouveront pas, Orlando, « furieux d’amour » tue Medoro et s’apprête à tuer Angelica mais le dieu Zoroastre intervient : il ressuscite tout le monde, il a fait la preuve qu’il faut toujours « choisir la gloire au détriment de l’amour ».
L’Orlando (asiatique) du contre-ténor David DQ Lee est un peu court de voix au début mais son jeu somnambulique se fera de plus en plus prenant, culminant dans une « scène de la folie », sous des lumières rouge et or, où les changements de registre donnent superbement la mesure d’un personnage manipulé par l’amour et par l’acharnement d’un dieu. Eric Vigner, malgré quelques tentations de « théâtre dans le théâtre », signe surtout une mise en scène de « direction d’acteurs », ce qui n’est pas plus mal.
A la fin le « bis » (délicieux) nous fait entendre que le contre-ténor est, au naturel, un vrai baryton, et capable de transformer un air de Haendel en… tube rock’n roll. Spinosi dit quelques mots (il aime tellement ça!) et l’on rentre chez soi tout content, laissant derrière soi le fantôme d’Orlando et celui de Louis XIV dialoguer dans la nuit versaillaise.
"Miroirs" de Jean-Christophe Spinosi, ensemble Matheus-Malena Ernman (Deutsche Grammophon)
"Orlando" de Haendel à l'Opéra de Versailles , les 21, 22, 24 novembre 2013
"La Pietra del Paragone" au théâtre du Châtelet en janvier 2014
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