Aux Bouffes du Nord, "L'Orfeo" de Monteverdi revisité par le duo Achache/Candel : décalé, jouissif
Au théâtre des Bouffes du Nord, à Paris, une quinzaine de comédiens-musiciens-chanteurs se réapproprient "L’Orfeo" de Monteverdi, le premier opéra de l’histoire, sous la houlette peu orthodoxe du duo Achache/Candel. Entre théâtre de l’absurde, chansons et grands airs lyriques de toute beauté, bienvenue dans un "artisanat furieux", bouillonnant et poétique !
Théâtre des Bouffes du Nord. Quelques musiciens prennent place sur le plateau, tâtonnant avec leurs instruments à cordes. Parmi eux une femme, trempée, dégouline, comme sortie d’une douche tout habillée... Des larmes de désespoir, car cette femme, qui entonne son chant avec "ses doux accents", n’est autre que la Musique, annonciatrice du drame de "L’Orfeo" de Monteverdi.
Le triomphe de l’Homme
La première scène de "Orfeo. Je suis mort en Arcadie" a de quoi étonner. Mais pas quand on sait que c’est l’œuvre du duo de metteurs en scène Samuel Achache et Jeanne Candel flanqués de leur acolyte, Florent Hubert, directeur musical du projet. Le trio avait déjà commis il y a quatre ans un "Didon et Enée" de Purcell, décalé et jazzy, "Le crocodile trompeur". Salué de partout, y compris chez les baroqueux. Florent Hubert a remis le couvert il y a quelques mois avec "Traviata, vous méritez un avenir meilleur" d’après Verdi (la mise en scène était de Benjamin Lazar), poétique, drôle et superbement portée par Judith Chemla. Cette fois-ci, c’est donc au mythe du musicien charmeur des dieux qu’on s’attaque, à partir de l’œuvre de Monteverdi.
"L’Orfeo" n’est pas n’importe quel opéra. C’est sans doute le premier opéra de l’histoire. En soi, cela ne fait pas une révolution. Mais en 1607, année de sa création, Monteverdi est depuis quelques années déjà l’un des artisans d’une grande mutation en cours dans la musique qui voit l’éclosion de la parole et du sentiment que traduit la poésie. En gros, Monteverdi s’affranchit des règles polyphoniques de la Renaissance pour libérer le texte : ce n’est pas rien ! Le texte, le sentiment humain, c’est l’Homme ! Pour être clair, ce que la Renaissance a apporté aux beaux-arts, le baroque naissant, et notamment avec ce premier opéra qu’est "L’Orfeo", l’apporte à la musique. Très justement, Samuel Achache et Jeanne Candel soulignent que la figure d’Orphée concilie "le triomphe sur la mort (thème chrétien de la résurrection)", "le pouvoir de l’Homme sur la nature" et "l’ascension vers le monde des idées". L’humanisme à l’opéra !
"Artisanat furieux"
C’est cette dimension humaniste de l’œuvre qui permet à Samuel Achache et Jeanne Candel de s’en emparer avec autant de pertinence. Rappelons le mythe : Orphée a à peine épousé sa belle Eurydice, qu'il apprend sa mort. Pour la récupérer, il descend aux enfers mais, échouant à la ramener parmi les vivants, il montera au ciel avec elle. Le mythe d’Orphée est respecté par le duo, de même que l’esprit musical de Monteverdi. Mais à leur manière. "L’Orfeo" est un laboratoire, le lieu de leur "artisanat furieux", comme ils disent.La musique suit comme un fil rouge la partition de Monteverdi, mais par intermittence. Ses célèbres "ritornelli" et ses grands airs sont là : comme celui du "Rosa del ciel", chant d'amour par lequel le personnage d'Orphée (le comédien Jan Peters) fait son apparition ; ou celui de l'annonce de la messagère (qui annonce la mort d'Eurydice), d'une grande force, entonné par la convaincante soprano Anne-Emmanuelle Davy ; ou la complainte d'Orphée, "Tu sei morta" ("tu es morte, ma vie est morte"), poignant ; ou enfin le tout aussi bouleversant air polyphonique "Addio terra , addio cielo, e sole, addio". L’émotion passe, réellement. Mais entre deux airs, la musique s’ouvre à tout vent : au jazz et à la bossanova, à la fanfare, et à la folk music...
Théâtre de l’absurde
Dans "Orfeo je suis mort en Arcadie", le théâtre trouve sa place, mais repense la distribution des rôles : acteurs, chanteurs, musiciens, les membres de ce collectif sont tout ça à la fois. Co-auteurs, surtout, d’un spectacle qui se crée sous nos yeux. Théâtre de l’absurde, ouvert à tous les possibles. Région d’Arcadie, en Grèce, dans l’attente des noces d’Orphée et Erydice. A quelques pas d'une forêt infestée de charognes, où même les bergers (ici transformés en apiculteurs) ne veulent plus se rendre, une nymphe aux airs de mamma (l’excellente Anne-Lise Heimburger) reçoit nonchalante ses trois putatifs rejetons en mal d'affection. Amour (Léo -Antonin Lutinier, très bon comédien et haute-contre), pressé de régler ses comptes avec son tout-puissant géniteur, Pan (Vladislav Galard, acteur et violoncelliste) mi-homme mi-bouc italophone, et Dionysos (Thibault Perriard), musicien, fêtard invétéré et irresponsable. Ajoutez l'ami philosophe, grand pessimiste cherchant à libérer son âme auprès de la nymphe. Ça discute, ça refait le monde, ça chante, ça se dispute, ça râle, ça hurle, ça dérape. Joyeux chaos à l’humour très cousin des Monty Python.Quelques scènes plus tard, après qu'un magnifique ballet de balais ait nettoyé le sol après ce grand remue-ménage, la scène se fait marécage, dans lequel flotte la barque de Charon tout droit sortie de l'Enfer de la "Divine Comédie" de Dante. "Laissez tout espoir vous qui entrez" (passage du Chant consacré à l'Enfer), annonce-t-on d'ailleurs. Charon (Vladislav Galard) qui rame et son chien à trois têtes (mais pas trois cerveaux, dit Charon) Cerbère (Léo -Antonin Lutinier), censé surveiller l’entrée des Enfers, campent un duo (un couple ?) d'une grande drôlerie, entre Beckett et Guy Bedos, dans l’attente d’Orphée. On connaît la suite. Le musicien mythologique obtient de sauver Eurydice, mais promet de ne pas se retourner pour la voir… Ce qu’il ne parvient pas à faire. Dans "Orfeo je suis mort en Arcadie", l’humour rageur côtoie le drame et la poésie. Main dans la main, les deux amants finissent par monter au ciel… sur un romantique et grave Lied de Malher.
"Orfeo. Je suis mort en Arcadie"
D'après "L'Orfeo" de Monteverdi et d'autres matériaux
Mise en scène de Samuel Achache et Jeanne Candel
Direction musicale de Florent Hubert
Au Théâtre des Bouffes du Nord
Tous les jours sauf les lundis et les jeudis, jusqu'au 5 février 2017
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