: Reportage Fragonard dévoile dans son nouveau Musée de la mode et du costume le goût de l'élégance des Arlésiennes
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Après cinq années de travaux nécessaires à la rénovation et la réhabilitation de l'hôtel Bouchaud de Bussy, le musée a ouvert ses portes le 6 juillet. Un impressionnant écrin pour des collections du patrimoine provençal.
Ce musée est né de la rencontre entre Odile Pascal – qui, toute sa vie, a collectionné avec sa mère Magali des costumes arlésiens – et Anne, Agnès et Françoise Costa qui dirigent la maison Fragonard. La collection de leur mère, Hélène Costa, avait initié la création du Musée provençal du costume et du bijou à Grasse en 1997. Juste avant le décès de Magali Pascal, les sœurs Costa s'étaient engagées à acquérir sa collection arlésienne pour donner un écrin d'exposition et un lieu de conservation à cette œuvre d'une vie.
L'hôtel Bouchaud de Bussy, à Arles, a entièrement été rénové dans le respect de son origine architecturale et historique. "On veut que ce lieu soit un passage entre l'histoire, la conservation des textiles et de cette culture provençale, et une ouverture sur la modernité, sur la mode et sur l'époque contemporaine", a indiqué Agnès Costa lors de l'inauguration du musée.
C'est lors d'une journée caniculaire, jeudi 3 juillet, que l'on a visité le lieu et sa première exposition temporaire Collections Collection qui s'y tient jusqu'au 4 janvier 2026. On a été impressionnée, suivez le guide.
L'hôtel Bouchaud de Bussy, au 16 rue de la Calade, témoigne de l'empreinte architecturale de la noblesse provençale. Sa façade en pierres blondes est dans le droit fil de l'hôtel de ville érigé quelques décennies plus tôt. Il s'étend sur 300 m2 au sol et est composé de trois niveaux, d'une cour centrale et d'une ancienne écurie. En 1723, il est acquis par Jean-François de Bouchaud de Bussy, conseiller du roi au siège d'Arles.
Rénové dans le respect de son origine architecturale et historique, avec l'expertise de Nathalie d'Artigues, architecte du patrimoine, le bâtiment a retrouvé ses volumes des XVIIe et XVIIIe siècles comme le souligne Agnès Costa, PDG de Fragonard : "D'innombrables maisons, beaucoup arlésiennes, ont effectué un travail formidable de rénovation d'un lieu qui historiquement date du XVIIIe siècle mais dont les seules parties qui subsistent sont l'entrée, l'escalier et la façade. Les architectes – Karl Fournier et Olivier Marty – ont fait de cet espace un lieu où la modernité et le minimalisme sont entrés dans une histoire qui est la nôtre, celle du costume dont Arles est totalement baignée puisque c'est une ville de culture depuis l'Antiquité avec cette tradition profonde du costume provençal."
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Connu pour la réalisation du musée Yves Saint Laurent à Marrakech, le duo d'architectes de l'agence Studio KO signe la réhabilitation et scénographie du musée. "Le musée a mis cinq ans à voir le jour, cinq années de travaux avec le respect du patrimoine historique dans un bâtiment qui avait été dénaturé par les fonctions précédentes de cet hôtel particulier, qui avait abrité une clinique puis un hôtel de tourisme. Nous avons fait ce curage patrimonial pour retrouver les volumes des XVIIe et XVIIIe siècles pour restituer l'âme du lieu", souligne, de son côté, Clément Trouche, le directeur artistique du musée.
C'est à ses côtés que nous visitons cette ancienne maison où a été conservé au maximum l'état d'origine du bâtiment avec des pièces et des recoins qui ajoutent du charme au parcours qui débute au rez-de-chaussée par le cabinet de curiosité.
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"Dans cette pièce, vous trouvez des objets à l'état primaire (portrait, robe, bijoux...) de la collection d'Hélène Costa et de ses filles et de celle de Magali Pascal, dont la robe jaune qui est sur l'affiche. Le jour de notre première réunion de travail avec Karl et Olivier et les équipes de Fragonard, un de nos antiquaires, grand marchand de textile ancien, nous a présenté des objets dont cette grande robe de cour jaune et le coup de cœur a fait que nous en avons fait l'acquisition. C'est l'objet un peu totem de ce musée", souligne Clément Trouche avant de nous inviter à le suivre dans un petit vestibule où l'on découvre un portrait d'Arlésienne inachevé d'Antoine Raspal. Ce tableau n'est pas là par hasard : c'est le peintre arlésien référent pour la mode, pour le travail qu'il va accomplir en corrélation avec l'atelier de couture que ses sœurs dirigeaient et chez lesquelles la grande bourgeoisie de la ville s'habille. "Il peint un tableau célèbre – qui est notre joconde arlésienne – qui s'appelle L'Atelier de couture, seule et unique représentation de l'intérieur d'un atelier de couture du XVIIIe siècle."
"Ses sœurs sont vecteur d'une mode qui est une sorte d'hybridation entre la mode parisienne et la mode arlésienne", commente-t-il avant d'ajouter : "Antoine Raspal peint des portraits d'Arlésiennes en costumes qui sont de véritables photographies de la mode. Ce sont quasiment des portraits publicitaires au service de l'atelier de couture : ces derniers sont présentés à la clientèle dans un salon, c'était en quelque sorte un catalogue ! Ces Arlésiennes posent toujours dans la même position, comme des mannequins. C'est le début d'une imagerie de la mode dans une petite ville de province, bien loin de la Reine et de sa cour. Ce portrait, c'est le début de cette frise chronologique de l'histoire du costume au XVIIIe", souligne-t-il.
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Quelques mètres plus loin, dans une autre salle – hier, les anciennes écuries de l'hôtel particulier – plongée dans le noir, se cache l'œuvre de l'artiste Charles Fréger, grand spécialiste du costume traditionnel. Entre réalité et imaginaire, ce photographe à la renommée internationale réalise des séries de portraits qui saisissent l'individu dans son environnement et questionnent la fabrication des figures archétypales.
"Nous lui avons commandé une œuvre dédiée aux gestes", dit le directeur du musée. "Il faut savoir que les Arlésiennes ne jouissent pas à Arles d'une manufacture textile leur permettant de créer un vêtement. Tout vient d'ailleurs et elles sont obligées d'aller dans les foires de Baucaire, par exemple, où elles vont trouver les textiles venus du monde entier. Elles se construisent une identité et vont prendre dès le XVIIIe siècle la mode comme un véritable élément de langage. Jusqu'aux portes de la Première Guerre mondiale, elles ne lâcheront jamais ce goût de la mode et suivront toutes les tendances que l'on peut retrouver dans la capitale."
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Cette installation vidéo dévoile les pratiques gestuelles de neuf femmes en costume, qui s'exécutent à cet art de la coiffure et de l'habillage version XXIe siècle. Il faut garder en mémoire que c'est une tradition toujours vivace puisque les filles portent le costume traditionnel dès le plus jeune âge et rêvent de devenir, un jour peut-être Reine d'Arles. "Son œuvre montre comment des femmes, aujourd'hui, au XXIe siècle, perpétuent ces gestes, car à Arles le costume est encore porté très régulièrement lors des fêtes traditionnelles ou des événements de la vie privée", ajoute Clément Trouche. Cette approche à contre-jour renforce le mythe créé dès le XIXe siècle autour de cette figure, dont tout le monde parle et que personne ne voit : l'Arlésienne.
En sortant, on rejoint l'escalier monumental pour se diriger vers la grande galerie. À ses pieds, le plâtre de la Vénus d'Arles "découverte en 1671 dans le théâtre Antique à quelques mètres d'ici, qui est à la naissance du mythe de l'Arlésienne". Tout du long de l'escalier, un immense drapé de toile crème (comme une voile de bateau retenue par des cordages) "pour rappeler la place d'Arles dans le carrefour des routes commerciales depuis l'Antiquité avec ses commerces fluviaux maritimes" et un original lustre doré comme un sautoir qui descend jusqu'au sol.
Deux collections indissociables réunies
Changement d'atmosphère au premier étage, après la pénombre du rez-de-chaussée, on plonge lentement dans le noir. Il s'agit d'assurer les meilleures conditions pour la conservation des textiles (pénombre, anti-poussière, température et taux d'humidité contrôlés, capteur de mouvement pour éteindre la lumière). Si en bas, les architectes ont voulu "que l'espace historique respecte les teintes naturelles, au premier étage un couloir, dont l'enduit se dégrade du blond au noir progressivement, conduit à la grande galerie". C'est ingénieux, l'œil s'habitue en douceur au changement de luminosité et au bout du couloir, une imposante porte en laiton doré ouvre sur l'exposition où silhouettes de mode côtoient costumes traditionnels.
Chaque exposition temporaire part d'un sujet arlésien, d'un sujet provençal "qui touche à notre culture, à notre art de vivre ou à notre costume". L'exposition Collections Collection, ce sont 40 silhouettes (une silhouette d'Arlésienne est composée de huit à quinze éléments comme la coiffe, les bijoux…). "Nous sommes un des rares musées à présenter des silhouettes complètes. On fait de l'archéo-stylisme en contextualisant, en reconnaissant et en datant chaque pièce", insiste le directeur du musée.
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C'est en 1997, à l'occasion de l'ouverture du Musée provençal du costume et du bijou à Grasse, qu'Hélène Costa et ses filles ont fait appel à l'expertise des collectionneuses arlésiennes Magali Pascal et sa fille Odile. La relation entre ces deux familles s'est alors soudée. Hélène Costa, depuis la partie orientale de la Provence, et Magali Pascal, à son opposé, ont collectionné les modes locales du XVIIIe au XXe siècle. Pour cette première exposition, le musée dévoile ces deux collections réunies pour offrir une vision de la mode en Provence depuis le XVIIIe siècle.
C'est une vision élargie de la mode depuis l'Ancien Régime, à travers les villes et territoires du pourtour méditerranéen français, entre la mode française, initiée par la capitale et portée par les élites, et la mode régionale.
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Dans les vitrines, deux types différents de mannequins nous accueillent : "Les Arlésiennes dans leur costume sont en mannequins complets avec la tête, les bijoux, les accessoires, tandis que les autres Arlésiennes – vêtues à la mode française et qui ne portent pas un costume identitaire de la ville – portent les vêtements de la mode en cours à la capitale", souligne Clément Trouche. En regardant avec attention ces mannequins, on remarque comment les Arlésiennes ont été capables de calquer sur la mode française leur propre vêtement.
Notre guide intarissable s'arrête devant deux mannequins féminins, qui en quelque sorte ont été les premières à participer à une Fashion Week ! Alors que vient de se terminer la PFW masculine printemps-été 2026 et que débute le 7 juillet la haute couture parisienne de l'automne-hiver 2025-2026, on prête une oreille attentive à cette histoire incroyable relatée dans des chroniques de mode des années 1820 à la fin des années 1830 trouvées dans les archives municipales et que la presse appelle, en 1830, "la fashion arlésienne".
"Sur la promenade des Alyscamps sur le boulevard, au sud de la ville, le premier dimanche qui suit le 15 août, les Arlésiennes se jouent la vie. Pendant un an, elles préparent dans le plus grand secret la tenue qu'elles vont présenter au public et à la presse qui assiste à l'événement", raconte Clément Trouche : "Celles qui auront les tenues les plus remarquables auront le titre de reine d'élégance et de mode de la promenade car elles créent des tendances." Cependant, en 1838, les Arlésiennes sont venues en jupon et en chemise d'intérieur "car elles avaient découvert que la presse était achetée et corrompue par les marchands de textile. Ce fut la fin de la grande promenade car elles n'ont plus jamais voulu jouer autant de leur créativité pour une presse qui n'était pas libre. Voilà pourquoi Arles méritait un musée dédié à l'histoire de sa mode et du costume", conclut-il.
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