Interview "Je suis parti sur une Joséphine plus authentique, avec ce côté battante et combattante" : Stéphane Rolland s'est inspiré de Joséphine Baker pour sa collection haute couture

Vingt-huit maisons présentent, du 27 au 30 janvier, leur haute couture printemps-été 2025 sur les podiums parisiens. Stéphane Rolland a choisi la danseuse et meneuse de revue Joséphine Baker comme marraine de sa collection "Origines. De Brancusi à Baker". Explications.

Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 11min
Stéphane Rolland haute couture printemps-été 2025, à Paris, le 28 janvier 2025. (THIBAUD MORITZ / AFP)
Stéphane Rolland haute couture printemps-été 2025, à Paris, le 28 janvier 2025. (THIBAUD MORITZ / AFP)

Stéphane Rolland a présenté son printemps-été 2025, mardi 28 janvier, dans le cadre de la semaine de la haute couture parisienne. Conçue en parallèle d'une opération de soutien avec la Fondation des hôpitaux, sa collection Origines. De Brancusi à Baker invite à découvrir comment ces deux êtres ont conquis le monde par leur liberté d'expression : Joséphine sublime le corps et le libère, Constantin révèle les formes primaires et polit le bronze pour en révéler sa lumière.

Dans son atelier parisien, quelques jours avant son défilé, le couturier et Brian Baker, un des fils adoptifs de Joséphine Baker, nous ont expliqué la genèse de ce passionnant projet.

Franceinfo Culture : Pourquoi choisir Joséphine Baker comme marraine de votre collection ?

Stéphane Rolland : Je réalise ma collection au profit de la Fondation des hôpitaux, et Joséphine Baker s'est imposée à nous comme marraine. Elle avait un rêve : proposer une fraternité universelle. Sa tribu arc-en-ciel en a été le reflet. Entre 1953 et 1964, elle adopte douze enfants partout dans le monde et les a réunis au château des Milandes, en Dordogne, avec son mari le chef d'orchestre Jo Bouillon. Elle a essayé de réunir les peuples et a délivré l'un des plus beaux manifestes avant-gardistes de tolérance. Si elle était encore parmi nous aujourd'hui, je pense qu'elle ferait évoluer les choses et serait déjà en train de manifester !

L'aventure avec la Fondation des hôpitaux a débuté avec la maison des adolescents (MDA) du Loir-et-Cher portée par le Centre hospitalier Simone Veil de Blois, avec laquelle nous avons établi un programme d'ateliers d'éveil pour faire vivre à 12 jeunes adolescentes de 13 à 19 ans des expériences qu'elles n'auraient peut-être jamais pu vivre : visites au MAD, cours de dessin avec des professeurs d'Esmod, cours avec une brodeuse parisienne, masterclass avec Claude Lelouch, rencontre avec Marylin Fitoussi, créatrice de costumes pour Emily in Paris. Elles ont aussi vu le concert de Vita, qui sait ce que c'est de se battre dans la vie pour y arriver, surtout en tant que fille. Elles ont aussi fait une séance photos avec l'ex-miss France Ève Gilles pour leur apprendre à se regarder et à s'aimer. On a vu leurs regards évoluer et changer pendant ces trois mois, et on a vécu cela comme un cadeau, car c'est une expérience humaine enrichissante.

Douze adolescentes de 13 à 19 ans ont fait une séance photos avec l'ex-miss France Ève Gilles. (COURTESY OF STEPHANE ROLLAND)
Douze adolescentes de 13 à 19 ans ont fait une séance photos avec l'ex-miss France Ève Gilles. (COURTESY OF STEPHANE ROLLAND)

On a aussi mis 700 places du défilé en vente dont l'intégralité des fonds a été réattribuée à la Fondation des hôpitaux. Le choix de Joséphine Baker comme marraine coulait donc de source : cette histoire est très humaine et je l'ai traduit à ma manière dans le vêtement. D'un côté via une action humanitaire et sociale, de l'autre avec une action artistique.

Pourquoi avoir contacté Brian, l'un des fils de Joséphine ?

Il n'était pas question que l'on démarre cette histoire en parlant de Joséphine Baker si on n'avait pas à nos côtés sa famille. Il se trouve que j'étais en classe avec la cadette des enfants adoptés – qui ne m'avait jamais dit qui était sa mère. Je l'ai su plus tard. Après la mort de Joséphine, leur papa Jo Bouillon, est parti vivre à Buenos Aires où j'habitais. Je ne l'ai pas vue depuis trente ans et je la retrouve pour le défilé.

C'est Pierre [Pierre Martinez, codirigeant de la maison de couture] qui a proposé le projet à Brian. Ce dernier a adhéré immédiatement à l'initiative : il fait très attention à la manière dont l'image de sa mère est traitée et il a vu que c'était quelque chose de très louable. Il n'est pas intervenu dans la création, mais nous a beaucoup parlé d'elle en termes peut-être plus intimes, plus authentiques, avec de nombreuses anecdotes. Son regard est intéressant puisqu'il l'a vécu de l'intérieur. Il m'a réconforté dans la vision que j'avais de sa mère, ce qui m'a permis de comprendre que j'étais dans la bonne direction. On l'a fait participer, il a enregistré sa voix pour la bande musicale.

Pourquoi votre collection s'intitule Origines. De Brancusi à Baker ?

Les deux se rejoignent fabuleusement. Je suis amoureux depuis toujours de Brancusi, il sculpte la pierre et le bronze, mais quand tu regardes ses lignes, elles sont d'une épure totale. J'avais l'impression dans ses sculptures de voir le corps ou le visage de Joséphine quand il était photographié ou dessiné dans les années 1920. Quand tu regardes la sculpture de l'oiseau ou celle de la tête penchée en or, albâtre ou marbre, on y est ! Ce que j'aime aussi chez Brancusi, c'est sa force, son impact, qui est même presque violent.

Joséphine avait cette force-là : je suis parti sur une Joséphine plus authentique, plus roots, avec ce côté battante, pour ne pas dire combattante, un peu guerrière justement. J'ai transformé les plumes dans un travail plus brut, surtout pas cabaret : il faut oublier paillettes et plumes. Je suis parti aux origines plus africaines, aux racines et c'est là que ce lien avec Brancusi s'est encore plus renforcé. J'ai mélangé la douceur et les courbes des sculptures de Brancusi avec celles du corps de Joséphine quand elle dansait. Son expression corporelle était visuellement forte pour l'époque ! C'est ainsi qu'elle est devenue un phénomène et une star adulée dans le monde entier. Quand elle est arrivée en Europe, elle a choqué, mais les gens sont tombés amoureux de cette danseuse incroyable, avec un côté brut, sauvage, d'une épure et d'une beauté totale.

Les vêtements se sont construits de la même façon. J'ai réalisé toutes les formes d'après cela, même les envolées de plumes sont travaillées d'une manière plus découpée, les épaules des tailleurs sont cubiques, les broderies, on dirait qu'elles sont taillées dans la pierre, mais c'est de la sculpture d'albâtre teintée.

Stéphane Rolland haute couture printemps-été 2025, à Paris, le 28 janvier 2025. (THIBAUD MORITZ / AFP)
Stéphane Rolland haute couture printemps-été 2025, à Paris, le 28 janvier 2025. (THIBAUD MORITZ / AFP)

Brian Baker, comment s'est faite la rencontre avec Stéphane Rolland ?

Brian Baker : C'est Pierre qui m'a parlé de ce projet mémoriel d'hommage à ma mère. Si on a beaucoup parlé de son courage, de ses faits de résistance, de l'armée de l'air, ici, c'est plus le côté générosité et humanisme. Je me suis dit qu'elle aurait été sûrement très fière, émue, car c'est pour une cause noble, caritative avec la Fondation des hôpitaux de Paris. Elle aurait foncé. C'est comme si elle me disait : "Écoute, au nom de la tribu arc-en-ciel, vas-y !"

Votre voix fait partie de la bande-son du défilé ?

Oui, en effet, juste avant le show est lancée cette bande-son dans laquelle je me présente et évoque mon histoire et donc celle de ma mère. C'est fort et émouvant.

Stéphane Rolland : L'émotion, c'est une des clés. Quand Joséphine faisait de la scène, il y avait de l'émotion : tout artiste déclenche une émotion. Quand je fais un défilé, je cherche toujours cette force. Il fallait faire ressortir ce qu'elle était et ce qu'elle représente encore en 2025. C'était important : elle n'a jamais été autant d'actualité qu'aujourd'hui.

Brian Baker : C'est sûr. Le président de la République a dit : "J'ai décidé de la panthéonisation parce que c'est un exemple pour notre société, en France, mais aussi ailleurs en Europe et dans le monde. Et le monde a besoin de ce genre d'exemples."

Quelle éducation vous a-t-elle transmise ?

Elle était absente de temps à autre, mais lorsqu'elle était présente, elle était omniprésente. Au quotidien, elle nous apprenait la simplicité, et quand les gens s'arrêtaient pour lui parler, lui demander un autographe, elle disait : mes enfants, il faut respecter les gens, il faut que vous appreniez à être généreux même si vous avez peu. En classe, les enfants, je compte sur vous pour être un minimum discipliné, ne pas vous battre et travailler au mieux, même si certains sont plus doués que d'autres. Elle insistait pour que nous finissions nos assiettes en pensant aux millions d'enfants qui meurent de faim et n'ont pas de quoi manger. Elle sous-entendait qu'elle-même, gamine, était très pauvre. Des principes de partage, de rencontres et d'écoute.

Stéphane Rolland haute couture printemps-été 2025, à Paris, le 28 janvier 2025. (THIBAUD MORITZ / AFP)
Stéphane Rolland haute couture printemps-été 2025, à Paris, le 28 janvier 2025. (THIBAUD MORITZ / AFP)

Votre mère était une icône de mode, elle avait des costumes, des robes.

Elle a été très liée avec Christian Dior, Pierre Cardin, Balmain et d'autres couturiers également, mais elle ne portait pas de Chanel. Au château des Milandes qui est devenu un musée, il y a beaucoup de costumes de scènes de diverses périodes et il y a des costumes militaires aussi.

Vous êtes le seul à avoir transgressé l'interdit maternel de ne pas embrasser la vie artistique. Dans la tribu arc-en-ciel, vous gérez son héritage culturel ?

J'ai été comédien, j'ai été admis au Conservatoire national supérieur d'art dramatique de Paris. Ma mère ne voulait pas que l'on soit artiste, elle disait que c'était un milieu trop aléatoire et qu'elle avait vu trop de talents échouer. Elle n'avait pas complètement tort : il y a quarante ans, il n'y avait pas beaucoup de rôles pour les gens typés. J'ai joué des petits rôles ou des rôles moyens dans des séries policières et un peu au théâtre, mais j'ai surtout travaillé en doublage. Elle m'aurait dit : "Tu vois, je t'avais dit que ce serait difficile, tu n'es pas devenu aussi célèbre, aussi riche que moi, mais si tu es heureux, ça va !"

Je suis un peu l'ambassadeur et je suis de près tout ce qui se passe. Actuellement se prépare un film pour Canal+, le scénario est terminé et le casting est en cours pour un tournage prévu cet été. Parallèlement, il y a une série en préparation avec les chaînes Canal+ et NBC Network America et Netflix.

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