: Interview "Au salon Les deux mains du luxe, on fait découvrir les premiers gestes" : Agathe Crinon, brodeuse à l'Atelier Montex, y dévoile son métier
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Au Grand Palais, 32 maisons de luxe et 20 écoles, associations et acteurs de la formation proposent des activités participatives et des démonstrations, mais aussi des débats, des conférences et des master classes.
Après quatre éditions, le Comité Colbet – qui compte 97 maisons du luxe français, 18 institutions culturelles et 6 membres européens – installe Les deux mains du luxe au Grand Palais, du 2 au 5 octobre. L'événement s'adresse aux jeunes en phase d'orientation et aux adultes en reconversion (les 2 et 3 octobre sont réservés aux scolaires) mais aussi à un public curieux de découvrir les coulisses du luxe (les 3, 4 et 5 octobre sont ouverts gratuitement sur inscription). Ici, plus de 30 maisons expliquent leur savoir-faire aux visiteurs par le biais d'ateliers participatifs et de démonstrations de gestes créatifs et techniques en présence des artisans et des directions des ressources humaines. Un cycle de conférences enrichit l'expérience avec témoignages, master classes, débats sur l'avenir des métiers d'art, formations et parcours professionnels.
Agathe Crinon, brodeuse-échantillonneuse à l'Atelier Montex, une des maisons d'art de Chanel installée au 19M aux portes de Paris – qui réunit le meilleur des artisans du luxe et a pour mission de soutenir, préserver et transmettre les savoir-faire de ses maisons d'art – participe pour la troisième fois au salon Les deux mains du luxe. Elle nous partage son expérience, en même temps que Garance Salaïn, responsable du patrimoine chez Montex.
Franceinfo Culture : Fondé en 1949 à Paris par Jacques Lemonier, l'atelier de broderie Montex commence par réaliser des tissus brodés au mètre, destinés aux maisons de couture parisiennes. Quel est son rôle aujourd'hui ?
Garance Salaïn : On se définit comme un atelier de broderie d'expérimentations, un petit peu comme un laboratoire de création sans limite créative. On aime dire que l'on est assez jeune, même si la date de création est 1949. Au départ, la maison réalisait des tissus brodés au mètre, mais au milieu des années 1980, elle est allée toquer à la porte des couturiers. L'atelier commence alors à créer des échantillons pour la haute couture et le prêt-à-porter de luxe. À l'échelle de l'histoire de la mode, cela représente quarante ans, ce qui est peu, mais durant cette période, on a mis en place des savoir-faire et une esthétique spécifiques. Aujourd'hui, Aska Yamashita, la directrice artistique, orchestre tout. Les techniques sont sensiblement les mêmes que dans les années 1980, mais on s'amuse à les détourner, à jouer avec et à les mélanger. S'il faut caractériser l'Atelier Montex, c'est vraiment une idée d'audace et d'innovation par rapport à d'autres ateliers plus traditionnels dans leur moyen d'aborder les techniques.
Nos techniques, c'est le crochet de Luneville (broderie à l'envers, à l'aveugle), la broderie à l'aiguille et à la Cornely [machine à broder centenaire, mécanique, mais guidée par la main]. Longtemps, Montex a été connu pour réaliser de la broderie en 3D, un peu sculpturale, et de cette démarche-là, presque architecturale, a découlé il y a une dizaine d'années la création du département, le studio MTX, dédié à l'architecture. Depuis notre arrivée au 19M, il y a quatre ans, il y a une vraie dynamique avec des projets qui peuvent dépasser le champ de la mode, mais toujours autour de la broderie.
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Depuis 2019, vous êtes brodeuse-échantillonneuse dans cette maison labellisée Entreprise du patrimoine vivant en 2013. En quoi consiste votre travail ?
Agathe Crinon : Il consiste à échantillonner par rapport à un brief. Notre directrice artistique se rend dans les maisons de couture où elle est briefée sur leur future collection. Quand elle revient vers nous (nous sommes une dizaine de brodeuses), elle nous explique le thème et la gamme colorée ainsi que toutes les informations nécessaires pour qu'à notre tour, nous puissions lui faire des propositions d'échantillons, de 30 à 40 selon les collections.
Un des marqueurs de l'ADN de l'Atelier Montex est que l'irremplaçable geste de l'artisan s'allie aux technologies de pointe. Vous avez réalisé Ode à la Nature - Libellule pour la maison de champagne Perrier Jouët, médaille d'or au Grand Prix Stratégies du luxe 2024 dans la catégorie design produit/emballage. Quelles sont les qualités d'un bon artisan ?
L'amour de son métier en premier : si on ne le fait pas avec passion, il y a un moment où ça n'ira pas, mais aussi la minutie et l'exigence. Tout cela fait un bon artisan.
C'est un métier complexe où ces savoir-faire exigent une longue formation. Vous êtes par exemple passée de la tapisserie à la broderie ?
Je n'ai pas eu trop de doute au départ sur mon métier de tapissière où je restaurais des fauteuils. Mais à un moment donné, je me suis retrouvée face à des pièces volumineuses ou physiquement, je sentais que je me faisais dominer par la matière. C'est dans le livre L'Œil et la main que j'ai découvert la broderie, qui était pour moi quelque chose d'assez traditionnel, style napperon, et là, ce n'était pas le cas. Cela m'a donné envie et je me suis dit que je pouvais associer ce savoir-faire de broderie à mon métier et le détourner. J'ai repris mes études, préparé un Brevet des métiers d'art (BMA) au lycée Octave Feuillet, à Paris, qui forme à la broderie et, en parallèle, j'ai pris des cours du soir avec la mairie de Paris. J'entendais régulièrement parler de l'Atelier Montex qui fabriquait de petits modules, des petites pièces, des éléments. J'étais intriguée, car je trouvais que cette maison avait tendance à détourner la broderie traditionnelle. En 2011, je les ai rencontrés et je suis restée.
Dans quel état d'esprit êtes-vous pour votre troisième participation à ce salon ?
J'y retourne une journée pour les scolaires et deux jours pour le grand public. Je suis ravie de m'occuper du grand public parce que jusqu'ici, j'avais fait principalement les journées scolaires, qui sont super. Je pense vraiment que c'est important de leur montrer notre métier, mais ce n'est pas évident de captiver un jeune sur des choses qu'il ne connaît pas : certains n'ont jamais tenu une aiguille et c'est aussi un petit défi en fait de leur mettre l'aiguille dans la main et de leur faire poser une perle ou une paillette. Le grand public, c'est tout le monde, des plus petits aux plus anciens, avec lesquels il y a de beaux échanges aussi.
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Sur le stand, comment allez-vous initier le visiteur à ce travail artisanal ?
En fait, c'est une collaboration à quatre mains, c'est une base avec les ateliers couture de Chanel sur laquelle la maison Montex intervient pour l'ornement : les visiteurs auront un élément à coudre, des petits éléments de broderie, des fournitures comme des perles, des tubes ou des paillettes à poser avec un motif à suivre. C'est une broderie participative où chacun est invité à s'asseoir et à apporter sa pierre à l'édifice : elle est inspirée du rideau du Grand Palais qui a été réalisé par l'ensemble de nos maisons d'art. Généralement, les pièces issues d'événements participatifs, auquel participe le 19M, sont conservées et parfois réexposées dans le cadre d'une exposition ou d'un projet particulier. C'est important de s'inscrire dans ces événements consacrés à la question de la transmission. On rassure les parents, mais on a envie de montrer que ces métiers de la main, métiers de passion, c'est un vrai travail, et des filières qui vont du BEP jusqu'à bac +5. Le 19M organise son propre salon Mains d'avenir une fois par an qui permet avec le rectorat, le Greta, les RH... d'expliquer ces filières. Le luxe français a encore besoin d'ateliers et de gens qui y font des choses incroyables. Donc, il ne faut pas arrêter de les former.
Au 19M, vous recevez également du public pour des démonstrations d'artisanat. Mais comment susciter des vocations dans le luxe made in France, qui plus est pour ces métiers qui s'inscrivent dans un temps long de formation ?
Grâce à l'apprentissage, on est tout de suite dans le bain, dans l'effervescence de ce milieu qui est vivant et est peut-être plus attractif que de retourner juste à l'école. Oui, la formation est longue, mais ce sont des métiers de passion : je pense que quand on a envie de créer, de sortir des choses, de fabriquer, d'éprouver cette satisfaction de réaliser, je ne suis pas sûre que trois, quatre ou cinq ans d'études rebutent.
Une enquête révèle que 60% des nouveaux professionnels des métiers d'art sont des adultes en reconversion. Comment attirer les jeunes ?
Je pense que beaucoup d'entre eux ont perdu cette habitude de créer, de fabriquer. Il faut leur montrer que réaliser quelque chose est satisfaisant. On leur propose de s'asseoir, on discute avec eux et on leur fait découvrir les premiers gestes en s'adaptant à la personne qui est en face de nous. Et même des garçons se prêtent au jeu, ils se rendent compte que c'est quelque chose qui est agréable et qui leur plaît beaucoup. Si, à l'Atelier Montex, on a plus de femmes que d'hommes, cela change cependant : cette année, on a deux garçons alternants et quatre autres intégrés, en broderie main et en Cornély.
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