"J'aime bien les fesses et les seins hauts, j'aime soutenir les femmes" : la créatrice Fifi Chachnil retrace quarante ans de création lors d'un défilé-concert décoiffant à Chaillot

Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 10min
Défilé de la maison Fifi Chachnil à Chaillot, au Théâtre national de la danse, le 4 avril 2025. (MARC PIASECKI / GETTY IMAGES EUROPE)
Défilé de la maison Fifi Chachnil à Chaillot, au Théâtre national de la danse, le 4 avril 2025. (MARC PIASECKI / GETTY IMAGES EUROPE)

Les 4 et 5 avril 2025, la maison Fifi Chachnil a fêté ses 40 ans à Chaillot, théâtre national de la danse, à Paris, lors d'un événement mixant concert, danse et défilé. Au menu, humour, autodérision et excentricité joyeuse. Époustouflant !

Depuis l'ouverture de sa maison de couture parisienne en 1984, la créatrice Fifi Chachnil cultive, en toute liberté, son style à la gloire d'une féminité charnelle, exubérante et culottée ! Elle dessine les infinies variations d'une ode au corps féminin en sublimant ses attributs avec de la lingerie et du prêt-à-porter mâtinés d'insolence subversive.

Les 4 et 5 avril 2025, sa maison a fêté ses 40 ans à Chaillot avec un spectacle. La soirée a débuté par un tour de chant piano/voix de Fifi Chachnil et une invitation à la danse accompagnée d'artistes français et internationaux comme Michel Fau et Arielle Dombasle. Puis les escaliers et le foyer du théâtre ont accueilli un défilé événement où pièces emblématiques et créations contemporaines racontaient quatre décennies de collections. Douze danseuses de cabaret ont lancé cette revue, ponctuée par les apparitions de Philippe Katerine, de Julie Depardieu ou encore d'Ellen von Unwerth sur une chorégraphie de Suzanne Meyer.

Quelques jours avant cet événement, la créatrice de lingerie et de prêt-à-porter nous recevait dans son appartement parisien pour revenir sur ces quatre décennies de création, entre éclats de rire et sourires à gogo : une vraie parenthèse enchantée.

La créatrice Fifi Chachnil dans son appartement parisien. (ANTHONY LICCET)
La créatrice Fifi Chachnil dans son appartement parisien. (ANTHONY LICCET)

Franceinfo Culture : en 1984, alors que la mode célèbre des créateurs japonais adeptes du noir déstructuré, vous lancez des collections hautes en couleur teintées d'insolence. Pourquoi ?
Fifi Chachnil : Tout simplement par esprit de contradiction : si les autres faisaient du noir, je me disais : on a besoin de moi pour la couleur. Mais si j'avais été vraiment intéressée par le business, j'en aurais fait, du noir. Mes parents et grands-parents, mes frères et sœurs, qui étaient soyeux, me disaient : on vend à 60% du noir. J'ai l'impression d'avoir eu une démarche plus artistique que commerciale.

C'était un prêt-à-porter féminin et masculin joyeux, pratiquement importable, qui se retrouvait sur scène ou sur des gens de l'underground parisien ou étranger. À cette époque-là, j'ai beaucoup travaillé avec Pierre et Gilles qui faisaient des photos de mes collections et j'ai habillé Mark Almond, Lee Perry et beaucoup d'artistes et chanteurs. De 1984 à 1989, j'étais très inspirée par l'époque psychédélique, par la culture populaire indienne, le folklore égyptien et j'utilisais pour ces influences diverses beaucoup de paillettes et de plumes... En même temps, j'ai eu mes trois filles et j'ai arrêté. Cela m'a permis de réfléchir pour que mon métier devienne un peu plus lucratif.

Défilé de la maison Fifi Chachnil à Chaillot, au Théâtre national de la danse, à Paris, le 4 avril 2025. (DUY LAURENT TRAN)
Défilé de la maison Fifi Chachnil à Chaillot, au Théâtre national de la danse, à Paris, le 4 avril 2025. (DUY LAURENT TRAN)

J'ai fermé la maison de 1989 à 1995, mais je ne me suis pas ennuyée, je chantais, je réalisais des choses avec Pierre et Gilles. Quand je me suis relancée, j'ai choisi d'assagir mon prêt-à-porter et de faire de la lingerie pour que les filles puissent porter en dessous ce que je faisais avant au-dessus avec beaucoup d'exubérance. Quand j'ai rouvert, j'ai ajouté Fifi à Chachnil avec un logo tout rose.

Vos dessous envahissent alors les boutiques de New York à Dubaï, de Sydney à Riga, et vous êtes distribuée dans 45 pays et deux adresses parisiennes.
Oui, on a commencé ici, rue Jean-Jacques Rousseau. On a, aujourd'hui, aussi une adresse dans le 7e. On est un peu rive gauche et rive droite.

Vos créations avec poésie et légèreté évoquent une Parisienne sentimentale et excessive qui aime le cabaret. Ce sont vos sources d'inspiration ?
Oui, j'aime bien l'idée de vivre sa vie de tous les jours comme si on était dans une comédie musicale. J'aime que le vêtement serve à nous rendre de bonne humeur, qu'il joue un rôle : quand on s'habille, on annonce la couleur, le vêtement parle pour vous. Si on a envie de se fondre ou de dire quelque chose, on ne mettra pas la même couleur, ni le même vêtement.

J'aime bien les années 1910 avec leurs tailles princesse ainsi que l'époque des Incroyables et des Merveilleuses et les années 1950 : quand je pars en arrière, c'est pour retrouver une silhouette. Le cabaret, c'est ma vie entière : je ressens une admiration folle pour les danseuses, elles se sont faites, elles ont travaillé énormément. Je me suis exprimée avec beaucoup de couleurs, de paillettes et de plumes et, à ce moment-là, les gens du cabaret sont venus à moi pour que j'habille les danseuses.

Vos collections sont Made in France ?
Dans les collections, toutes les dentelles viennent de Calais-Caudry, les cotons d'Autriche, les soies sont européennes et la maille est fabriquée à Roanne. On a quatre collections : deux de lingerie et deux de prêt-à-porter.

Vos dessous sont particulièrement féminins...
Cette féminité est transcrite dans la douceur, le choix des matières qui sont loin d'être des matières confortables, techniques, tout cela m'ennuie énormément ! Je préfère prendre des risques en choisissant des matières plus délicates, plus fragiles, mais qui ont plus de poésie comme la soie, des mousselines, du voile de coton et du nylon. Et même si on est aux extrêmes, le point commun entre ces matières, ce sera les transparences.

J'adore les culottes hautes, car elles dessinent et marquent la taille et c'est joli. Je respecte les proportions les plus proches de la nature, j'aime bien les tailles, les fesses et les seins hauts. J'aime soutenir les femmes : mes sous-vêtements sont là pour être devinés ou vus, plutôt que d'être invisibles.

Défilé de la maison Fifi Chachnil à Chaillot, au Théâtre national de la danse, le 4 avril 2025. (MARC PIASECKI / GETTY IMAGES EUROPE)
Défilé de la maison Fifi Chachnil à Chaillot, au Théâtre national de la danse, le 4 avril 2025. (MARC PIASECKI / GETTY IMAGES EUROPE)

Affranchie des podiums, vous explorerez des lieux inédits, comme Beaubourg en 1985 et le Victoria & Albert Museum en 2016.
En effet, le Victoria & Albert Museum à Londres m'a invité à intégrer la collection permanente du musée dans le cadre d'une exposition collective Undressed a Brief History of Underwear présentant une histoire de la lingerie, de la préhistoire à aujourd'hui. On a fait un grand défilé et un concert pour l'ouverture de l'exposition avec la mise en avant d'une combinaison bloomer, le playsuit (costume pour jouer). C'était très charmant !

Vos défilés sont des spectacles que vous mettez en scène à la patinoire, au cirque ou dans des lieux mythiques des nuits parisiennes comme le Paradis Latin, le Lido et le Crazy Horse.
Pour mes défilés, qui se tiennent généralement hors calendrier de la Paris Fashion Week, je ne fais pas appel à des mannequins, mais à des danseuses et des amis de toutes morphologies et de tous âges depuis toujours.

Arielle Dombasle et Michel Fau au 40e anniversaire de la maison Fifi Chachnil, au théâtre national de Chaillot, le 4 avril 2025, à Paris. (MARC PIASECKI / GETTY IMAGES EUROPE)
Arielle Dombasle et Michel Fau au 40e anniversaire de la maison Fifi Chachnil, au théâtre national de Chaillot, le 4 avril 2025, à Paris. (MARC PIASECKI / GETTY IMAGES EUROPE)

Votre travail a fait l'objet d'une grande exposition à Alençon, mais ensuite également à Chantilly...

En 2022, le Musée des beaux-arts et de la dentelle d'Alençon a exposé ma rétrospective qui s'est tenue, ensuite, jusqu'au 29 mars, au Musée de la dentelle de Chantilly puis elle tournera : quand les musées produisent une exposition, les œuvres ne leur appartiennent pas, mais cette histoire – même si c'est la même puisque c'est une rétrospective – change de forme à chaque musée.

J'ai choisi de montrer ces vêtements à travers des photos, des vidéos d'artistes proches avec qui j'ai travaillé. La meilleure façon de montrer un vêtement, c'est quand il vit, qu'il est incarné sur une personne.

Votre collection printemps été 2015 a été présentée dans le lieu où tout a commencé, l'escalier du 68 rue Jean-Jacques Rousseau où est situé votre atelier. C'est sur l'escalier du palais de Chaillot que les 4 et 5 avril, votre maison fête ses 40 ans avec un défilé présentant pièces d'archives et nouveautés, mais aussi un tour de chant.
Le concert, qui se tient au Foyer de la danse, débute à 21h15 par mon tour de chant de 20 minutes avec des chansons qui ont un rapport soit avec la couture, soit avec mes défilés. Il est ponctué d'un intermède avec des invités : Arielle Dombasle, Michel Fau et Roland Menou. Puis il y a un défilé intitulé À la ville comme à la scène de 3/4 d'heure présentant plus de 150 tenues. Il mêle musique, danse et mode avec 12 danseuses et 20 guests dont, entre autres, Philippe Katerine, Julie Depardieu et Ellen von Unwerth dans des rôles inattendus. Dans le même temps, le petit Guggenheim du Palais de Chaillot accueille une exposition de photos de Pierre & Gilles ainsi que des vidéos d'anciens défilés et de clips.

Défilé de la maison Fifi Chachnil à Chaillot, au Théâtre national de la danse, le 4 avril 2025. (MARC PIASECKI / GETTY IMAGES EUROPE)
Défilé de la maison Fifi Chachnil à Chaillot, au Théâtre national de la danse, le 4 avril 2025. (MARC PIASECKI / GETTY IMAGES EUROPE)

Depuis toujours, vous collaborez avec des artistes comme Ellen von Unwerth qui a photographié vos collections. Cela a toujours été un fil rouge de votre vie en même temps que la mode ?
Même plus que la mode ! J'ai très peu d'amis qui travaillent dans la mode, mais j'ai beaucoup d'amis photographes, peintres, chanteurs et musiciens.

Pochette de l'album "Noctambule" de Fifi Chachnil. (PIERRE & GILLES)
Pochette de l'album "Noctambule" de Fifi Chachnil. (PIERRE & GILLES)

Vous avez fait plusieurs albums ?

J'ai eu une carrière de chanteuse en pointillé [éclat de rire]. En 1984, J'ai fait un maxi 45 tours de chansons en égyptien, le disque s'appelait Chachnil, puis j'ai continué à chanter pour le plaisir et les copains.

En 2010, je rencontre Jean-Pierre Stora qui me propose des musiques et me demande d'écrire des chansons pour cet EP Mademoiselle Fifi de cinq titres dont Philippe Katerine en écrit trois. Puis, en 2019, il y a l'album Love dont j'écris six titres sur les dix, Philippe deux et Pascal Mounet un.

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