: Reportage "C'est la fin de la démocratie quand on commence à interdire des livres" : la librairie engagée Violette and Co victime de harcèlement après une vitrine sur la Palestine
Créée en 2004, la librairie, haut lieu du militantisme féministe, lesbien et LGBTQIA+ à Paris, a reçu le soutien de la mairie par le biais de Jean-Luc Romero-Michel, adjoint en charge des droits humains, de l'intégration et de la lutte contre les discriminations.
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En juin, la librairie indépendante et engagée Violette and Co, située dans le 11e arrondissement de Paris, décide de consacrer une vitrine entière à la Palestine en mettant en avant la parole féministe et queer d'autrices palestiniennes, ainsi que des livres sur la colonisation, l'extrême droite ou encore l'antiracisme. Depuis le 8 juillet, les inscriptions "Islamo complice" et "Hamas violeur" entâchent cette devanture engagée et révèlent la campagne de harcèlement à l'oeuvre contre la librairie féministe, lesbienne et LGBTQIA+.
Dans un post Instagram, publié le 11 août, Violette and Co déclare être la cible de "dégradations, cyberharcèlement, harcèlement et désinformation". Au coeur de cette vague de haine, un ouvrage en particulier retient l'attention des détracteurs. Exposé au centre de la vitrine, le livre de coloriage From the River to the Sea du Sud-Africain Nathi Ngubane divise les internautes. En cause, le titre de l'ouvrage compris par les uns comme un message contre les discriminations envers les Palestiniens ou un appel à un Etat unitaire, et par les autres comme une négation du droit à l'existence d'Israël.
"On n'a jamais mis de drapeau palestinien ou de keffieh en vitrine, parce qu'on avait peur. Comme au tout début, quand on a ouvert, on ne mettait pas de drapeau LGBT visible depuis l'extérieur", explique Loïse, libraire dans l'enseigne féministe, sensible aux réflexions décoloniales et antiracistes. C'est en prenant en compte l'évolution du discours politique vers la reconnaissance de l'Etat palestinien et l'accusation de génocide à Gaza que la librairie avait décidé d'afficher son soutien, sous la forme de cette vitrine dédiée à la Palestine.
Le 8 juillet, la devanture de l'enseigne est dégradée. Les inscriptions "Islamo complice" et "Hamas violeur" sont découvertes sur les deux vitrines. Réalisés avec de la peinture à l'acide, ces tags ne peuvent pas être complètement effacés et laissent une trace opaque et indélébile sur le verre malgré le nettoyage. La librairie indépendante estime à 10 000 euros le coût des travaux et espère que l'assurance prendra en charge les rénovations.
"Est-ce qu'on s'attendait à ça ? Honnêtement, ça ne nous a pas surprises."
Loïse, libraire à Violette and Coà franceinfo Culture
À ce moment, l'équipe décide de ne pas médiatiser cet acte malveillant. La librairie change de position après une altercation violente avec un groupe de cinq militantes anti-palestiniennes, le mercredi 6 août.
En charge de la boutique au moment des faits, Loïse est prise à partie par des femmes ; un client et une personne en stage sont témoins de l'échange agité : "Elles disaient des choses atroces, que la Palestine n'existait pas et qu'avant la création d'Israël, il n'y avait que des chèvres et un désert. " La cause de ce déferlement de haine ? La vente du cahier de coloriage pour enfants intitulé From the River to the Sea. "Je leur ai dit, 'Vous êtes donc plus choqués par un livre de coloriage sur la Palestine que par un génocide'. Elles m'ont répondu 'Il n'y a pas de génocide'. Et là, j'ai compris qu'il ne pouvait pas y avoir de discussion", se souvient la libraire encore secouée par les événements.
Le lendemain, un appel anonyme au sujet du même livre révèle l'ampleur de la situation. L'équipe de Violette and Co découvre une vaste campagne de harcèlement à son encontre sur les réseaux sociaux. Notamment sur X où le compte Jugé Coupable dénonce "une propagande du Hamas en coloriage pour enfants" et indique la localisation de la vitrine. Très vite, des internautes dénoncent un appel à la destruction d'Israël.
Légal en France, l'ouvrage de l'auteur sud-africain Nathi Ngubane, From the River to the Sea propose un contenu informatif et militant sur la situation de la Palestine et de ses habitants. Publié par la maison d'édition 1804books, son titre reprend le célèbre slogan "From the River to the Sea. Palestine will be free." [De la rivière à la mer, la Palestine sera libre.] né "des revendications de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) qui, dès sa formation en 1964, avait appelé à la création d’un Etat unique qui s’étendrait de la Méditerranée (la mer) au Jourdain (la rivière)", explique le journal Libération. Récupéré par le Hamas, le slogan a très vite été interprété comme un appel à la destruction d'Israël et divise en raison de son double sens. Dans un communiqué publié par la maison d'édition, l'auteur du cahier de coloriage a déclaré : "Nous avons déjà été témoins de ces attaques avant, elles ne ne feront que nous motiver à continuer de publier des matériaux qui éduquent et qui irritent aussi."
Sur X, Aurélien Véron, conseiller LR à la ville de Paris, qui s'était déjà fait remarquer pour avoir relayé, sur ses réseaux, des vidéos sorties de leur contexte d'origine et Nelly Garnier, conseillère de Paris dans le 11e arrondissement et ancienne vice-présidente des Républicains (de 2023 à 2025), accusent la marie de Paris de financer cette librairie à hauteur de 17 500 euros, se fondant sur le registre des délibérations du Conseil de Paris.
À la mairie de Paris, Jean-Luc Romero-Michel, auteur du rapport de subvention, dément fermement ces accusations auprès de franceinfo Culture. "Le commerce n'est pas subventionné par la mairie, c'est l'association qui l'est", explique l'adjoint en charge des droits humains, de l'intégration et de la lutte contre les discriminations. "Je n'ai pas entendu beaucoup de voix s'élever depuis quelques années dans le vote des subventions de cette association dont tout le monde reconnaît le travail", ajoute-t-il.
Le 52 rue Jean-Pierre Timbaud abrite effectivement un commerce au rez-de-chaussée et une association au sous-sol, c'est cette dernière qui a bénéficié d'une subvention de la ville de Paris. "C'est une association de médiation culturelle qui a pour but de faire une programmation sur des questions féministes, LGBT, antiracistes, de lutter contre les discriminations à caractère LGBTphobe, sexiste et raciste", explique Loïse. Ce financement de la ville de Paris vise à propager "un message de diversité et d'inclusion", souligne Jean-Luc Romero-Michel.
Cet espace propose donc des ateliers d'écriture, des clubs de lectures, des permanences psy et accueille des réunions du planning familial, le tout dans une démarche solidaire et non lucrative, rappelle Loïse : "L'association permet aux gens de disposer d'un lieu gratuit où ils peuvent venir sans consommer." La distinction est claire : à l'étage, une librairie et un café, et au sous-sol, un espace ouvert à tous et à toutes. "Mettre un lieu à disposition gratuitement implique de disposer de subventions pour payer un loyer, qui est évidemment proportionnel à la surface occupée par l'association", conclut la libraire pour éteindre la polémique.
"C'est la fin de la démocratie"
"Des librairies féministes et lesbiennes, il y en a extrêmement peu en France, ce serait quand même terrible qu'une librairie comme ça ferme pour une polémique qui est absolument déplacée, et s'apparente plutôt à une censure", s'indigne Jean-Luc Romero-Michel, inquiet qu'un tel amalgame sur la nature de subventions publiques nourrisse un débat sur l'interdiction de livres ou la fermeture d'une librairie. "Ce n'est sûrement pas le rôle d'une mairie de sanctionner une librairie ou d'invalider ses choix éditoriaux. Enfin ! On est dans une démocratie, pas en Russie, ni en Chine, ni dans l'Amérique de Donald Trump. C'est la fin de la démocratie quand on commence à interdire des livres", tempête l'adjoint à la maire pour justifier son soutien à Violette and Co.
Ce n'est pas la première fois que le cahier de coloriage From the River to the Sea suscite des actes d'intimidation et de harcèlement qui se multiplient dans les librairies. Il y a un an, la librairie Le Monte-en-l'air, dans le 20e arrondissement de Paris, affrontait elle aussi un groupe de femmes interpellant agressivement le personnel sur la vente du même livre de coloriage, selon un employé. Tandis qu'en juin, à Rosny-sous-Bois, c'est la librairie Les Jours heureux qui a été vandalisée après une soirée consacrée à Gaza. Sur la devanture, la même inscription qu'à Violette and Co,"Hamas violeur", cette fois-ci inscrite à la peinture blanche.
Face à ces attaques répétées, les librairies peuvent compter sur le soutien de leur clientèle et de certains élus sur les réseaux sociaux. À Violette and Co, l'équipe encourage le public à se rendre à la librairie lorsqu'elle est moins fréquentée, le matin par exemple, pour faire front si de nouvelles tentatives d'intimidation ont lieu. "Depuis deux jours, il n'y a vraiment que des personnes qui viennent en soutien", constate Loïse. Depuis le post sur Instagram, il n'est pas rare de voir des passants s'arrêter devant l'enseigne rose bonbon, passer une tête pour témoigner de leur soutien et remercier l'équipe.
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