Les dix thrillers et polars à dévorer cet été

Le roman noir affiche une santé insolente : près d'un livre sur quatre vendus en France est un polar ou un thriller. Les auteurs questionnent le présent à travers des œuvres puissantes et originales. Comme toute sélection, celle-ci est forcément subjective et non exhaustive. Dix polars et thrillers à lire chez vous, à la plage, à la montagne, à la médiathèque...

1 "Morituri" de Yasmina Khadra : les vivants, aussi

Parmi les romans noirs incontournables à posséder dans sa bibliothèque, Morituri fait certainement partie de la liste. Paru dans les années 1990, durant "la décennie noire" ou rouge sang, ce livre est culte à plus d'un titre dans la littérature contemporaine algérienne. Yasmina Khadra, Mohammed Moulessehoul pour l'état civil, sait de quoi il parle. Il était officier dans l'armée algérienne (ANP) pendant la guerre antiterroriste. Yasmina Khadra, ce sont les deux prénoms de son épouse. Pour dire cette guerre, qui aurait fait 200 000 victimes, il crée un personnage récurent, le commissaire Llob. Un flic désabusé et – malgré tout – résolument optimiste face au genre humain. Dans Morituri, il enquête sur la disparition de la fille d'un grand magnat. Au-delà de l'intrigue, l'auteur donne à voir une Algérie meurtrie, blessée, dans laquelle certains prospèrent. Parce que la guerre peut être une opportunité pour des prédateurs. Ce roman âpre et subtil vient d'être réédité par la maison d'édition Miallet-Barrault dans une version enrichie. Indispensable.

"Morituri", Yasmina Khadra, Miallet-Barrault, 256 pages, 20 euros

2"Mon assassinat" de Katie Williams : rêves et cauchemars

L'incipit donne le ton de ce roman d'une originalité inouïe : "J'aurais dû être en train de m'habiller pour la soirée, la première depuis mon assassinat". Lou est victime d'un tueur en série, comme quatre autres femmes. Elles ont été ramenées à la vie par une agence gouvernementale en mal de publicité. Quel est le prix à payer pour revenir à la vie ? Le clonage est-il la solution ? Les victimes, fortes de leurs souvenirs et de leur passé, réintègrent leurs foyers et retrouvent un quotidien en apparence banal. Les femmes se réunissent pour partager leurs expériences. Dans ce roman dystopique, Katie Williams interroge l'intime et l'universel. Elle sonde les interstices de l'âme et questionne notre rapport à la violence, et la société du spectacle. L'écrivaine américaine dit la fragilité et la résilience de ces femmes confrontées à la mort, arrachées à ce qu'elles ont de plus cher. Comment se reconstruire ? Déroutant, hybride, étrange, Mon assassinat, en cours d'adaptation par une plateforme de streaming, est un thriller atypique d'une intelligence et d'une délicatesse rares.

"Mon assassinat", Katie Williams, traduit par Alexandre Civico et Barbara Tajan, Actes Sud, 314 pages, 22,50 euros

3"Sous les eaux d'Avalon" de Michael Connelly : où est passé Harry Bosch ?

Michael Connelly a le don de surprendre ses lecteurs. Alors que ses admirateurs se demandaient ce qu'allait advenir Harry Bosch, désormais malade et vieillissant, et s'il allait être remplacé par Renée Ballard, une inspectrice tenace et attachante, l'auteur de Les Égouts de Los Angeles ou encore Le Poète sort un nouveau personnage de sa manche : Stilwell. Qui est donc cet inspecteur évincé de l'unité des homicides du LAPD et qui se retrouve sur l'île paradisiaque de Santa Catalina, au large de Los Angeles ? Il est difficile de ne pas voir en lui Harry Bosch plus jeune, dévoré par son travail, tenace, opiniâtre et… toujours en lutte avec sa hiérarchie. La découverte du corps d'une jeune femme dans le port donne l'occasion à Stilwell de renouer avec sa passion en se lançant éperdument dans une enquête qui fait remonter à la surface des secrets dérangeants. Michael Connelly est un conteur exceptionnel, il le prouve encore avec ce polar enfiévré. Sous les eaux d'Avalon, (re)naissance d'un héros indiscipliné.

"Sous les eaux d'Avalon", Michael Connelly, traduit par Robert Pépin, Calmann-Lévy, 383 pages, 22,90 euros

4"Le Goût du sang" de Gianni Biondillo : chronique macabre d'un tueur milanais

L'écrivain italien revient avec un roman noir passionnant se déroulant dans le milieu du banditisme à Milan. Avec une écriture épurée et un humour corrosif, l'auteur de Pourquoi tuons-nous ? dresse une photographie de sa ville natale avec beaucoup de lucidité et d'empathie. L'histoire se déroule dans le quartier populaire de Quarto Oggiaro, en voie de gentrification. Tout commence par la sortie prématurée de prison de Sasà, chien fou, tueur, maître chanteur. Lâché par sa "famille" la 'Ndrangheta, il a été condamné à trente ans de taule mais en sort au bout de cinq. Comment est-ce possible ? Écrit comme une pièce de théâtre, Le Goût du sang est un roman à tiroirs addictif. Déterminisme social, violences faites aux femmes, inégalités systémiques… Gianni Biondillo aborde de nombreux thèmes avec une ironie mordante. L'auteur narre un conte social moderne, désespérément humain. Le Goût du sang, un roman noir, poétique et authentique, un polar tragique.

"Le Goût du sang", Gianni Biondillo, traduit de l'italien par Anne Echenoz, éditions Métailié, 368 pages, 21 euros

5"Les Ténèbres de Morkret" de Camilla Grebe : mensonges et trahisons

Camilla Grebe continue d'explorer la société suédoise à travers ses thrillers étouffants. L'autrice de Le Journal de ma disparition nous mène cette fois-ci au cœur de la Suède, à Storforsa, petite ville rurale entourée d'une grande forêt. Et c'est à la lisière de cette forêt, Morkret, que vit Myra dont la sœur, Ella, a disparu un an plus tôt. Quand un cadavre est retrouvé sur place, l'adolescente est bouleversée. Est-ce celui de sa sœur ? Dépêchée sur place, la police fait face à une population traumatisée qui se réfugie dans le silence. Tout le monde devient suspect. L'affaire devient plus complexe quand une autre fille disparaît. Dans ce roman choral au rythme faussement lent, Camilla Grebe déploie une trame maitrisée de bout en bout et lance de nombreuses (fausses) pistes pour parvenir à un final totalement inattendu. L'écrivaine suédoise, Grand Prix des lectrices Elle pour L'Énigme de la Stuga, sonde les cœurs et les âmes dans ce thriller à couper le souffle.

"Les Ténèbres de Morkret", Camilla Grebe, traduit par Anna Postel, Calmann-Lévy, 416 pages, 22,90 euros

6"Mercy" de David Baldacci : jamais sans sa sœur

David Baldacci a deux personnages récurrents, très différents et paradoxalement assez proches : Aloysius Archer, un détective avant-gardiste et Altee Pine, agente du FBI, qui traîne avec elle un trauma profond. Dans la saga de l'agente fédérale, l'auteur de Les Pleins pouvoirs développe une approche fort originale du thriller d'atmosphère. Altee Pine mène une quête et une enquête de longue haleine. Sa sœur jumelle a été enlevée à l'âge de 6 ans. Depuis, rongée par la culpabilité, elle ne cesse de la chercher partout. Ce désir obsessionnel de la vérité va la mener dans des contrées insoupçonnées, la vérité empruntant des voies mystérieuses. Le plus difficile voyage est intérieur. Atlee et Mercy Pine, que sont-elles devenues ? Avec un style dépouillé, David Baldacci emmène les lecteurs dans une rare tension vers une conclusion inattendue. Ce roman se lit indépendamment des précédents. Mercy, un thriller à vif, vertigineux.

"Mercy", David Baldacci, traduit par Vicent Remède, Talent éditions, 444 pages, 21,90 euros

7 "À retardement" de Frank Thilliez : univers névrotique

Deux affaires a priori indépendantes l'une de l'autre, deux lieux différents, deux ambiances diamétralement opposées, deux personnages… et le talent de Franck Thilliez qui arrive à tenir en haleine le lecteur dès la première page. Dans cet accrolivre, il est difficile de s'extraire de l'atmosphère anxiogène que l'auteur de Norfeville s'amuse à épaissir, page après page. La psychiatre Eléonore Hourdel accueille dans son Unité pour malades difficiles un nouveau patient qui a poussé, sans raison apparente, un passager sur les rails. L'homme dit "fuir des vers". Qui est-il ? De son côté, Franck Sharko, personnage récurrent, enquête sur un cas désarçonnant : un quinquagénaire a été violemment assassiné chez lui. Aucun indice, aucune empreinte ni trace d'ADN. Qui est donc la victime ? Frank Thilliez nous plonge dans un univers névrotique et médical où les apparences peuvent se relever trompeuses. À retardement, un thriller psychologique addictif.

"À retardement", Frank Thilliez, Éditions Fleuve noir, 456 pages, 22,90 euros

8"Comme un papillon" de Christophe Molmy : la descente aux enfers d'un homme ordinaire

Une vie bien rangée, en apparence. Mathieu Ezcurra est marié, père de deux enfants, bien installé dans la vie. Mathieu multiplie les aventures, grâce notamment aux sites de rencontres. Au fil des expériences, il affine ses techniques et méthodes d'approche. Un jour, c'est la chute. Il est menotté devant ses étudiants et mis en garde à vue. Il est accusé de viol. Christophe Molmy, ancien patron de la BRI de Paris et aujourd'hui à la tête de la Brigade de protection des mineurs, nous offre une véritable plongée en apnée dans ce roman sombre. Il choisit de donner la parole aux deux protagonistes. Masculinité toxique, violences faites aux femmes, narcissisme pervers, emprise… l'auteur aborde, avec tact, de nombreux thèmes dans cette descente aux enfers. D'enseignant respecté, Mathieu devient un pestiféré qui cherche à manipuler son entourage. Christophe Molmy réussit à décrire les ressorts psychologiques et les fragilités d'un homme extraordinairement banal qui se vit comme un être supérieur.

"Comme un papillon", Christophe Molmy, éditions de La Martinière, 315 pages, 19,90 euros

9"Police People" de Sophie Hénaff : fantasia chez les people

De l'humour, encore de l'humour, et une intrigue bien ficelée, Police People est un feel good book, un livre qui fait du bien et c'est déjà pas mal en ces temps incertains. Sophie Hénaff lâche la bride à ses personnages, la commandante Cathy Martini est un personnage à découvrir au plus vite. Elle a la charge d'une brigade spécialisée dans les affaires des célébrités. Des stars en herbe, elle en a connu. Quand une actrice populaire disparaît, on fait appel à qui ? L'autrice de Poulets grillés et de Rester groupés, sans l'air d'y toucher, décrit avec une justesse chirurgicale les excès de la société actuelle où la dictature du bonheur s'affiche sans retenue sur les réseaux sociaux. Et toujours avec humour. Formules chocs, phrases qui font tilt à chaque fois, les dialogues, incisifs, sont savoureux. Et l'écriture cinématographique rend plus réel cet univers qu'on croyait connaître. À lire sans modération.

"Police People", Sophie Hénaff, éditions Albin Michel, 228 pages, 19,90 euros

10"La Taupe de l'Élysée" de Frédéric Poitier : un espion très, très discret

Ce samedi 2 juillet 1954, Christian Fouchet, ministre des Affaires marocaines et tunisiennes, en route pour la Normandie afin de rencontrer le chef du gouvernement, Pierre Mendès-France (PMF), suffoque dans la voiture à cause de la température qui dépasse les 40 degrés. Sa mission ne souffre pas de retard : des informations sensibles auraient fuité du dernier conseil de défense, la sécurité de l'État est en danger. Roger Wybot, directeur de la Surveillance du territoire, est chargé de débusquer la taupe qui se terre à l'Élysée. Frédéric Poitier, énarque, préfet et spécialiste de Pierre Mendès-France, revient avec un livre d'espionnage très documenté, inspiré de faits réels, qui retrace le contexte politique de l'époque. Le clin d'œil à John Le Carré n'est pas fortuit.

La Taupe de l'Élysée, Frédéric Poitier, éditions de l'Aube, 286 pages, 19,90 euros