"Un geste vers le bas" de Bartabas : hommage littéraire incandescent à la danseuse Pina Bausch
Alors qu’il triomphe en ce moment avec "Femmes persanes", troisième volet de son "Cabaret de l’Exil", le fondateur du théâtre équestre Zingaro reprend le fil de ses mémoires dans son dernier récit, "Un geste vers le bas", puissante élégie dédiée à son amie disparue, la chorégraphe allemande Pina Bausch et à leur projet inachevé.
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C’est l’histoire d’un spectacle qui n’a jamais eu lieu. Un projet fou, un défi qui aurait dû réunir la papesse de la danse contemporaine, l’immense Pina Bausch, disparue brutalement en 2009, à l’univers mystique de l'écuyer Bartabas, à travers un duo imaginé avec l’un de ses chevaux fétiches de l’époque, Micha Figa, petit soliste nerveux à la robe d’or.
Une valse interrompue par les circonstances de la vie, dont Bartabas raconte aujourd’hui la genèse dans Un geste vers le bas, programmé pour le 7 mars chez Gallimard : un texte extraordinairement intime, hanté par les visions de ces innombrables heures passées à observer la danseuse et l’animal dans leurs tentatives créatrices.
"Être fidèle à ce qui disparaît"
À l’arrivée, un geste littéraire d’une originalité extrême, à la beauté charnelle, sorte de journal inachevé de ces nuits de création hors du temps. "Faire revivre ce qui repose en moi, c’est être fidèle à ce qui disparaît", écrit-il, seul moyen de fixer la mémoire des événements. Et l’on se sent très privilégié d’assister à ce qui d’ordinaire demeure caché au public : coulisses d’un processus créatif dans ce qu’il peut comporter d’intuitions fécondes, d’impasses, ou d’accomplissements éphémères.
On se glisse dans les pas de Pina Bausch, "avec ses veines à fleur de peau et son encolure de cygne", Pina "aux mains graciles" à qui Bartabas laisse une totale liberté face à Micha Figa, observant dans l’ombre des gradins la naissance d’une complicité inouïe entre la belle et l’animal. "Elle n’est pas de ceux qui portent sur eux l’odeur de la peur. Jamais elle n’avait approché un cheval. Je sais maintenant qu’elle ne sortira pas indemne de cette aventure."
"Deux amants funambulant au cœur de la nuit"
Pourtant, la vraie rencontre prendra du temps entre ces deux-là. "Il faut qu’elle s’offre à lui, qu’elle lui parle." La dame de Wuppertal devra d’abord déposer sa couronne aux pieds du colosse. Un abandon de soi bouleversant. Comme cette nuit où Pina finit par s’endormir dans le box de Micha Figa, "face à cette incursion, il recule son sabot avec tant de précaution que l’on croirait voir une petite main gantée". Peu à peu, la bête panse les plaies de la chorégraphe, "cet instant où l’animal se manifeste pour extirper les humains du pathos qui les affecte parfois", et ensemble, ils commencent à danser leur propre partition, "deux amants funambulant au cœur de la nuit".
"Chez l’homme comme chez l’animal, chaque geste dévoile un sentiment. Les sillages qu’ils creusent par le mouvement de leur corps sont plus que des prières." Au fil du temps, l’enjeu des séances de travail change de dimension. Il ne s’agit bientôt plus de fixer une chorégraphie. "Ce que révélait Micha Figa en elle était si profond, si intime, si précieux, qu’il serait difficile de le représenter sur scène. L’exposer eût été le galvauder."
Langue épurée
C’est peut-être le grand enseignement du livre, déjà présent en filigrane dans le premier opus de Bartabas, D’un cheval l’autre publié en 2020 (Gallimard), et distillé ici dans une langue à l’épure de plus en plus évidente. Pour composer avec l’animal, il est indispensable de retrouver son innocence, recréer ses jeux d’enfant, "cesser de croire que les chevaux sont nés pour les hommes", observer sans cesse, écouter toujours. Atteindre une forme d’humilité primitive face à eux et à tout ce qui est dû à cette nature sauvage depuis la nuit des temps, jusqu’à en sortir transformé.
La disparition prématurée de Micha Figa actera le pressentiment du metteur en scène et le spectacle rejoindra le royaume des songes. Ce livre en constitue désormais une merveilleuse évocation, à l’égal d’une immémoriale chanson de geste dont la poésie dépouillée orne chaque chapitre d’enluminures iridescentes.
"Un geste vers le bas" de Bartabas, Gallimard, 102 pages, 17 euros.
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Extrait :
"Un box est un confessionnal où l’on peut entendre respirer l’âme des chevaux. Par les fenêtres entrebâillées, un éclair de lune baigne leurs confidences. Devant chaque porte, sur une petite ardoise, un nom atteste leur histoire. Nous arrivons chez Micha Figa. L’ange est là, immobile dans sa nudité d’ambre. Il semble nous attendre et le manifeste par les oreilles ; lui aussi est un timide. J’entrouvre la porte, il reste là. J’entre et, d’une main qui sait apaiser les chevaux, lui caresse l’encolure. Alors que je l’invite à faire de même, elle s’émeut, détourne le visage et, comme une prêtresse qui connaît les distances, m’explique d’une voix posée qu’elle ne se voit pas, en signe de salutation, flatter de sa main le cou d’un étranger."
("Un geste vers le bas", page 15)
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