: Interview "La fraternité est l’essence même de ce festival, c’est accueillir le monde": Jean-Michel Le Boulanger, président d'Étonnants Voyageurs

Le Festival Etonnants Voyageurs, dont l'édition 2025 se termine lundi 9 juin, explore et questionne les libertés alors que les populismes prospèrent à travers le monde. Pour Jean-Michel Le Boulanger, président du festival, il faut plus que jamais défendre la liberté. 

Franceinfo Culture : Lors de votre discours d’ouverture du Festival, vous avez évoqué le "fracas du monde"  et les libertés en danger…

Jean-Michel Le Boulanger : Il y a de nombreux fracas dans le monde, ce qui se passe à Gaza est innommable, ce qui se passe en Ukraine est innommable, et il y en beaucoup d’autres dans le monde. L’avancée des totalitarismes, des populismes, les dictatures… Le monde d’aujourd’hui a fracassé beaucoup de nos idéaux et de nombreuses utopies. Paul Lynch, dans son dernier livre, parle de "ciel tacheté d’ecchymoses". Il y a des ecchymoses dans notre ciel. Boualem Sansal est en prison. Et on voit l’évolution récente des Etats-Unis d’Amérique. On a constaté que la liberté peut être emprisonnée. C’est l’histoire de Lauren Goff et des livres interdits qu’elle accueille dans sa librairie.

Le tableau est sombre….

Soit on courbe l’échine, soit on lève la tête et on affirme ce que nous sommes. Durant un festival, il faut avec enthousiasme et générosité dire que nous sommes les héritiers de tous ceux qui nous ont précédés et qui ont cultivé les trois petits mots : liberté, égalité fraternité. On est, à notre niveau, un festival qui ne dure que trois jours mais défendre la liberté d’écrire, de penser, n’est pas anodin. L’égalité est de casser des pratiques élitistes en allant dans les quartiers, les prisons, partout, en amenant les écrivains à la rencontre du plus grand nombre. La fraternité est l’essence même de ce festival, c’est accueillir le monde. Pendant ces trois jours, à Saint-Malo, s’il y a un air de liberté, de fraternité, c’est déjà ça.

Pourquoi le Brésil comme invité spécial cette année ?

Il y a deux raisons : le Brésil a une jeune littérature, peu connue en France. C’est de notre devoir de présenter des écrivains peu connus. Une des fonctions des Etonnants voyageurs depuis 35 ans est d’organiser la venue de grands écrivains, des Prix Nobel sont venus ici, on accueille de grands noms mais il est aussi de notre devoir d’accueillir ceux qui le sont un peu moins. On peut être prescripteurs et ouvrir des portes. La seconde raison est qu’on s’inscrit dans la saison croisée France-Brésil. Des écrivains français iront aussi au Brésil par notre intermédiaire. Pour cela, nous avons des aides spécifiques du gouvernent brésilien.

Est-ce que vous êtes impacté par les coupes budgétaires dans la culture ?

Oui, dès cette année, nous avons eu des diminutions de la part des partenaires publics dont le Conseil départemental d’Ille-et-Vilaine qui a réduit son aide de 50%. D’autres aides ont été légèrement diminuées alors que les charges augmentent. On a une béance, un écart, à causes des recettes en moins et des dépenses en plus. Cela a exigé de notre part des décisions nécessaires vitales pour que le Festival soit à l’équilibre, comme l’arrêt des expositions pour se concentrer sur le livre et le film.

Selon le Centre national du livre, la lecture recule partout, même chez les grands lecteurs de plus 55 ans…

Oui, c’est nouveau. La baisse de la lecture n’est pas nouvelle, plusieurs études l’attestent. Toutes les tranches d’âge sont touchées, pas seulement les 15-35 ans. Les pratiques culturelles quittent le livre pour les écrans. Il nous faut diversifier les offres pour continuer à attirer le public, en invitant par exemple Miossec, Charlélie Couture, la chanteuse Nolwenn Korbell… Aller chercher la jeunesse avec des offres spécifiques, c’est une priorité.

Quel est le bilan de cette édition ?

Un pré-bilan, puisque nous sommes lundi. Cela peut paraître prétentieux de dire cela mais le public est très content de la qualité des tables rondes. Il y a du contenu, du sens et du sensible. Nos salles sont pleines et le Salon du livre a très bien fonctionné. Nous avons décidé de le rendre  accessible gratuitement l’année dernière. Sa fréquentation a clairement augmenté, avec des ventes conséquentes. Nous refusons souvent du public car les salles sont très remplies mais nous n’avons pas d’alternative pour satisfaire toutes les personnes qui n’arrivent pas à accéder à ces rencontres. On doit trouver une solution pour améliorer le confort des festivaliers.