"Marco, l'énigme d'une vie" ou le portrait d'un mythomane et d'un imposteur

Le film est adapté du roman "L'Imposteur" de Javier Cercas, d'après l'histoire d'Enric Marco, icône espagnole antifranquiste. Pendant des décennies, l'homme a porté la parole des survivants espagnols de l'Holocauste. Il se déclarait lui-même déporté. Et pourtant...

Article rédigé par Christophe Airaud
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Eduard Fernandez est Enric Marco dans le film "Marco, l'énigme d'une vie". (EPICENTRE FILM)
Eduard Fernandez est Enric Marco dans le film "Marco, l'énigme d'une vie". (EPICENTRE FILM)

Cela débute dans la brume de Flossenbürg, en Allemagne, durant l'hiver 1999. Flossenbürg, en Bavière, fut un camp de concentration nazi entre 1938 et 1945 dans lequel 30 000 déportés furent assassinés. La première image de Marco, l'énigme d'une vie, en salles mercredi 14 mai, est le clap d'un tournage de film pour rembobiner la vie d'un mytho, d'un menteur, d'un salaud peut-être.

Les grands mensonges peuplent la littérature et le cinéma. Il y eut Frank Abagnale, un imposteur américain dont Spielberg tira un formidable portrait sous les traits de Di Caprio dans Catch Me If You Can. En France, la vie de Jean-Claude Romand, aux mensonges tragiques et assassins racontés par Emmanuel Carrère, a été adaptée au cinéma par Nicole Garcia. Romand, sous les traits de Daniel Auteuil, est banalement terrifiant. Des tartuffes par centaines peuplent les arts. Dernièrement, dans la série Une amie dévouée, Laure Calamy incarne Chris, une jeune femme qui, après l'attentat du Bataclan, se fait passer pour une survivante.

Mais l'histoire de Marco, l'énigme d'une vie, un film d'Aitor Arregi et Jon Garaño, est l'une des plus stupéfiantes du panthéon du mensonge, tant il a perduré et tant cet homme a berné tout un pays.

Mentir sur la Shoah

Un peu d'histoire. Entre 1940 et 1943, plus de 9 000 citoyens espagnols furent internés par l'Allemagne nazie. Des républicains en majorité qui fuyaient l'Espagne de Franco. À leur retour, ce drame est enfoui sous le tapis de la dictature franquiste. C'est en 1960, quand les anciens déportés s'organisent, que commence l'épopée mensongère d'Enric Marco. Il devient le président de l'association des victimes espagnoles de l'Holocauste. Il n'a de cesse de rendre hommage aux victimes de cette déportation.

Il se bat pour faire reconnaître les droits et les souvenirs de ces compatriotes qui, comme lui, vécurent l'enfer des camps. De classe en classe, de conférence en interview, avec sa silhouette bonhomme et son air de chien battu, il ne ménage pas sa peine. Il faut le voir mimant la scène des gardiens allemands à l'arrivée des déportés : "Vous êtes arrivés par là [désignant la porte]", "vous repartirez par là [puis désignant la cheminée]."

Image du film "Marco, l'énigme d'une vie". (EPICENTRE FILM)
Image du film "Marco, l'énigme d'une vie". (EPICENTRE FILM)

En Espagne, c'est une figure morale et son courage est salué. En 2005, une grande commémoration doit avoir lieu et c'est enfin la reconnaissance de la déportation. Il en sera le héros discret, mais le héros quand même.

Mais, car il y a un "mais", un historien conteste le passé d'ancien déporté de cet homme. Est-ce un imposteur ? C'est l'énigme du film et une histoire vraie.

Qui est le vrai Enric Marco ?

Il y a du spoil à raconter le scénario de cette histoire vraie. Mais la force du film est de démonter l'aventure d'un mythomane et ses mystérieux méandres. Impossible de rentrer dans sa tête, mais il est fascinant de voir Marco, ému aux larmes quand il part à la recherche de son passé de déporté au sein du camp de concentration dans les années 2000. Lui qui n'est jamais venu dans cet enfer. Il est déroutant d'admirer son culot face aux questions qui commencent à affluer sur son véritable passé, son air outragé.

Il est inquiétant de voir sa famille, admirative d'un homme au service de l'histoire de la Shoah, réaliser peu à peu qu'il est un monstre de tricherie. Dans une mise en scène sobre et parfois sans relief, Eduard Fernandez, incarnant merveilleusement Marco, nous embarque comme des "malgré-nous".

Le spectateur prend peu à peu la place de ces femmes et hommes grugés par Enric Marco. Un mythomane ne peut seul changer son histoire. Il faut que de nombreuses personnes le suivent, aient envie de croire en sa légende et l'admirent. Ce que résument les deux réalisateurs par ces mots : "Ce qui est fascinant, c'est que ses mensonges n'étaient pas seulement destinés à tromper. Ils faisaient également appel à quelque chose de plus profond : le besoin de la société de croire aux héros, de trouver des personnages qui nous réconcilient avec nos propres récits historiques et culturels." Quoi de mieux pour oublier l'horreur de la déportation dans l'Espagne de Franco qu'un messager de paix et de douleur ?

Dans le film, les bernés sont les plus émouvants. Ils sont de magnifiques seconds rôles, interprétés par de merveilleux comédiens, pour une sobriété de la chute. Ainsi, sur le visage de ses amis, de ses collègues, de ces vrais déportés, de sa fille, se lit peu à peu une déception sans fond, un horrible ressentiment. La trahison autant que le mensonge sont les moteurs de ce film et de cette histoire vraie.

Affiche de "Marco, l'énigme d'une vie", film réalisé par Aitor Arregi et Jon Garaño en 2025. (DR)
Affiche de "Marco, l'énigme d'une vie", film réalisé par Aitor Arregi et Jon Garaño en 2025. (DR)

La fiche

Genre : Biopic, Drame
Réalisation : Aitor Arregi, Jon Garaño
Avec : Eduard Fernandez, Nathalie Poza, Chani Martin
Pays : Espagne/France
Distributeur : Epicentre Film
Durée :
1h41
Sortie :
14 mai 2025
Synopsis : Enric Marco est le président de l'association des victimes espagnoles de l'Holocauste. À l'approche d'une commémoration, un historien conteste son passé d'ancien déporté. Marco se bat alors pour maintenir sa version alors que les preuves contre lui s'accumulent…

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