Le rachat d'UGC par Canal+ à l'horizon 2028 sème le trouble dans les milieux du cinéma indépendant

Le groupe du milliardaire conservateur Vincent Bolloré pourrait prendre le contrôle de 48 cinémas en France et de la société de production et de distribution d'UGC. Certains professionnels redoutent une concentration des pouvoirs qui nuirait à la diversité du cinéma hexagonal.

Article rédigé par franceinfo Culture avec AFP
France Télévisions - Rédaction Culture
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Temps de lecture : 5min
Le cinéma UGC du Forum des Halles, à Paris, le 6 décembre 2024. (QUENTIN DE GROEVE / HANS LUCAS)
Le cinéma UGC du Forum des Halles, à Paris, le 6 décembre 2024. (QUENTIN DE GROEVE / HANS LUCAS)

Le rachat d'UGC par Canal+ n'en est qu'à ses prémices mais fait déjà souffler un vent d'inquiétude dans le cinéma indépendant français, qui redoute une "concentration" des pouvoirs aux mains d'un seul acteur. Premier financeur privé du cinéma français (quelque 220 millions d'euros investis par an), le groupe de Vincent Bolloré a annoncé lundi 1er septembre le début d'un processus devant conduire "en 2028" à une prise de prise de contrôle totale d'UGC, ses 48 cinémas en France mais aussi sa société de production et de distribution.

Si l'opération va à son terme, Canal+ et sa société StudioCanal seraient présents en force à toutes les étapes de la vie d'un film, de son préfinancement à son exploitation en salles, jusqu'à sa diffusion à la télévision."Ce sera la première fois qu'un groupe aura autant de puissance à chaque étape. StudioCanal sera en position d'écraser tout le monde", redoute auprès de l'AFP une productrice indépendante sous couvert de l'anonymat.

Vent d'inquiétude sur la filière

Elle note que Canal+ mettrait aussi la main sur l'UGC Ciné Cité les Halles à Paris, plus grande salle d'Europe et baromètre de la fréquentation en France. Ceux qui acceptent de parler publiquement partagent la même inquiétude. Jointe par l'AFP, l'association de cinéastes indépendants Acid, qui organise chaque année une section parallèle au festival à Cannes, dit craindre "un déclin de la diversité du cinéma". "Tout phénomène de concentration du marché ne peut se faire qu'au détriment des œuvres de la diversité et d'une offre riche, menaçant in fine la capacité même des publics à les découvrir", détaille l'association.

Un des principaux sujets d'inquiétude se joue bien en amont de la production d'un film. Au début de sa vie, un long-métrage doit trouver un distributeur qui lui accordera un préfinancement et assurera en bout de chaîne sa promotion et sa sortie en France voire à l'étranger. Étape cruciale, le choix d'un distributeur influence souvent le niveau de financement que les chaînes de télévision accepteront de débloquer pour soutenir un film. Or, si le rachat annoncé se concrétise, Canal+ engloberait la société de distribution d'UGC au risque de faire disparaître un acteur vers lequel des productions peuvent actuellement se tourner pour se financer. "On perdrait un énorme guichet et une solution alternative", déplore la productrice.

L'exception culturelle française menacée ?

Jointe par l'AFP, la Société des réalisateurs de films (SRF), qui regroupe quelque 500 cinéastes, redoute elle aussi un rétrécissement d'une filière, par ailleurs fragilisée par la baisse de la fréquentation des salles (-15% depuis janvier). "Plus on a de concentration, moins bien on se porte", assure sa déléguée générale Rosalie Brun, qui voit avec inquiétude la montée en puissance des grands groupes dans le cinéma avec la récente prise de participation du géant CMA-CGM dans le groupe Pathé.

Selon Rosalie Brun, il y a un risque de voir triompher "la logique de la demande" qui conduirait à ne faire exister que les films supposés plaire au plus grand nombre, au risque de fragiliser le cinéma indépendant, pilier de l'exception culturelle française. Rosalie Brun se félicite toutefois qu'UGC ne tombe pas entre les mains d'un groupe étranger et relève que Canal+, même depuis sa prise de contrôle par le milliardaire conservateur Vincent Bolloré, continue de soutenir l'ensemble du cinéma français. "On n'a pas de problème de mainmise politique", estime-t-elle.

Rachida Dati plus optimiste

Sous couvert d'anonymat, un haut cadre de l'audiovisuel se montre moins alarmiste et voit d'abord dans ce rachat "le signe que Canal+ veut continuer à investir dans le cinéma français" alors que le groupe menaçait de se désengager au début de l'année.

Sur le réseau social X, la ministre de la Culture Rachida Dati a elle aussi estimé que l'opération illustrait "la volonté d'ancrage de Canal+ dans le cinéma".Pas suffisant pour convaincre les opposants au rachat qui placent leurs espoirs dans l'Autorité de la concurrence. Quand Canal+ avait frappé un grand coup en rachetant en 2024 les chaînes OCS et Orange Studio, cette instance avait identifié un "risque pour la diversité du cinéma français" et proposé des aménagements, acceptés par Canal+.

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