Festival de Cannes 2025 : "The Mastermind", après le western, la réalisatrice américaine Kelly Reichardt revisite le film de braquage avec une pointe de mélancolie

La réalisatrice américaine dessine dans ce film une image inattendue de l'Amérique des années 1970.

Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
Josh O'Connor dans "The Mastermind" de Kelly Reichardt, présenté en compétition au Festival de Cannes, le 23 mai 2025. (FILMSCIENCE)
Josh O'Connor dans "The Mastermind" de Kelly Reichardt, présenté en compétition au Festival de Cannes, le 23 mai 2025. (FILMSCIENCE)

Figure marquante du cinéma américain de ces dernières décennies, Kelly Reichardt a le privilège de refermer la liste des 22 films en compétition dans cette 78e édition du Festival de Cannes. The Mastermind, son dernier brillant long-métrage, est présenté vendredi 23 mai dans la soirée, veille de l'annonce du palmarès.

Massachusetts, 1970, JB Mooney, marié, deux enfants, est un menuisier sans travail. Amateur d'art, il traîne régulièrement sa famille dans le musée local. Pour tuer l'ennui, ou pour rapporter à la maison le magot, on ne sait pas trop, il décide de faire un casse au musée pour dérober les toiles d'Arthur Dove, un peintre américain précurseur de l'abstrait, que JB apprécie particulièrement. Préparé dans la plus grande improvisation, le braquage tourne à la catastrophe.

Kelly Reichardt s'empare de tous les codes du genre, pour mieux s'amuser à en prendre le contre-pied. Le héros est un père de famille. Plutôt que de cambrioler une banque, comme tout le monde, il préfère dérober des tableaux abstraits dans un petit musée municipal. Le manque de professionnalisme de cette équipe de pieds nickelés donne l'occasion à Kelly Reichardt de nous donner quelques scènes totalement hilarantes.

L'Amérique des années 1970

Mélange de drôlerie et de mélancolie larvée, The Mastermind met en scène un personnage un peu largué, qui a du mal à trouver un sens à sa vie. Il est incarné par Josh O'Connor, également à l'affiche de The History of Sound, un autre film en compétition. La réalisatrice, elle-même fille de policiers, s'empare du film de genre, comme elle l'avait déjà fait avec le western dans First Cow (2021) ou La Dernière piste (2011), pour raconter son pays.

Ici le film de braquage, et les années 1970 de Nixon, de la guerre du Vietnam, la révolution hippie. Kelly Reichardt jette un regard inattendu sur cette époque, qui est celle de son enfance, cassant l'image idéalisée des seventies. Profitant de la cavale de JB, elle dessine une Amérique profonde qui n'a pas encore été gagnée par la révolution. Ce sont toujours les femmes qui cuisinent, qui servent les hommes.

JB, le héros, ou plutôt devrait-on dire l'antihéros de cette épopée de la loose, ne semble pas être le seul de sa génération à errer dans la vie, et à traîner son mal de vivre. Les amis qu'il rejoint à la campagne pendant sa cavale, eux aussi, s'ennuient ferme. "J'aime l'idée qu'un de mes proches me fasse tomber de ma chaise", lâche son copain Fred en lisant dans le journal les exploits de JB, comme si c’était la chose la plus intéressante qui lui soit arrivée depuis des lustres.

Les belles américaines

Ce film de braquage est aussi la chronique d'une famille américaine un peu décalée. On s'attache à JB, personnage en errance, qui semble survoler son époque dans un planeur, spectateur en apparence passif des événements qui la traversent. On s'attache à ses deux fils un peu rondelets, excroissances tristounettes de leur père, ou encore à la mère, toujours là pour sortir du pétrin son grand fils dans le dos de son juge de père.

Dans une réalisation très sophistiquée, images texturées comme dans les années 1970, des travellings parfaits ou des plans fixes hyper bien composés, Kelly Reichardt met en scène tous les motifs du film de braquage – la photogénie des belles américaines des années 1970, entre autres – pour mieux les détourner et créer la surprise, le rire, ou encore la mélancolie et dessiner un portrait inattendu de l'Amérique des 70's.

Josh O'Connor dans "The Mastermind" de Kelly Reichardt, présenté en compétition au Festival de Cannes, le 23 mai 2025. (FILMSCIENCE)
Josh O'Connor dans "The Mastermind" de Kelly Reichardt, présenté en compétition au Festival de Cannes, le 23 mai 2025. (FILMSCIENCE)

La réalisatrice joue aussi le contre-pied du rythme, ralentissant au maximum l'action là où elle avance traditionnellement à toute vitesse dans les films du genre. Le monde qu'elle peint, sans portable, sans caméra de surveillance, sans analyses ADN, où les informations arrivaient une seule fois par jour dans un journal qu'on ramassait le matin devant la porte, semble avoir disparu depuis des siècles. Ce très beau film teinté de drôlerie mélancolique clôt avec panache la compétition de cette 78e édition du Festival de Cannes.

La fiche

Genre : Policier, Drame, Film de casse
Réalisation : Kelly Reichardt
Avec : Josh O'Connor, Alana Haim, John Magaro
Pays : États-Unis
Durée :
1h50
Sortie :
prochainement
Distributeur : Condor Distribution
Synopsis : Un père de famille en quête d'un nouveau souffle décide de se reconvertir dans le trafic d'œuvres d'art, dans l'Amérique des années 1970. Avec deux complices, il s'introduit dans un musée et dérobe des tableaux. Mais la réalité le rattrape : écouler les œuvres s'avère compliqué. Traqué, il entame alors une cavale sans retour.

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