"Payer la terre" : une édifiante enquête en BD de Joe Sacco sur les peuples autochtones du Grand Nord canadien
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Une expédition dans le Grand Nord, une somme d'informations historiques, des témoignages intimes bouleversants, des dessins magnifiques… Le dernier album du documentariste BD américain Joe Sacco sur la colonisation des peuples premiers des Territoires du Nord-Ouest canadiens est une claque.
En 2015, Joe Sacco s'est rendu à deux reprises au Canada dans les Territoires du Nord-Ouest, au Sud de l'Arctique, à la rencontre des Dene, ce peuple autochtone qui vivait en harmonie avec la nature avant l'arrivée des colons. Le dessinateur y est d'abord allé pour un reportage publié par la Revue XXI en 2016 sur les conséquences écologiques de la "fracturation hydraulique", pour l’extraction des gaz de schiste. Il y est retourné pour creuser son enquête, et rendre compte des dégâts humains occasionnés par la colonisation canadienne sur les peuples premiers. Résultat : Payer la terre (Futuropolis/ Revue XXI) publié le 8 janvier 2020.
"Dans la forêt, on vit au contact de la terre et des animaux"
Sur ce territoire grand comme la France et l'Espagne réunies, vivent 45.000 personnes. "Dene" signifie 'le peuple", et désigne ce que l'on appelle les "Premières Nations", dont la culture est "intimement liée à la terre".
"Dans la forêt, on vit au contact de la terre et des animaux. On apprend à entretenir de bonnes relations avec eux, car ils sont très importants pour nous. En fait, on mesure l'importance du monde qui nous entoure", témoigne Paul Andrew, au début du livre, racontant les premières années de sa vie dans la forêt.
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Sur ces terres arides, et donc peu convoitées, les Dene ont pu vivre librement selon leurs coutumes pendant longtemps, bien après l'arrivée des colons sur le continent américain. La découverte du pétrole dans les sous-sols change la donne, et signe à terme l'arrêt de mort d'une culture ancestrale.
Dès lors, le gouvernement canadien impose sa domination pour favoriser l'exploitation, très lucrative, du pétrole et du gaz… Pas de massacres mais des traités, c'est la méthode qu'emploie le gouvernement canadien pour inciter les peuples autochtones à céder leurs terres "en échange de la promesse d'une annuité de quelques dollars, d'une poignée d'outils et de médailles pour ceux qui se disaient leurs chefs".
Viol organisé d'un peuple
Les peuples des Territoires du Nord-Ouest vont subir au sens propre comme au sens figuré, un viol organisé. Diviser pour mieux régner en signant des traités séparés avec les différentes communautés, sédentariser, interdire l'usage de la langue, mettre sous perfusion avec les aides sociales… Le gouvernement canadien use de tous les moyens pour soumettre les peuples autochtones.
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Le pire, raconté ici par plusieurs témoins interrogés par Joe Sacco : les avions descendent du ciel pour arracher les enfants à leurs familles et les emmener dans des "pensionnats autochtones", dans lesquels, considérés comme des "sauvages", ils sont placés pour "acquérir les habitudes et les modes de pensée des hommes blancs", justifiait John McDonald, premier ministre canadien à la fin du XIXe siècle. 150.000 enfants indigènes sont passés par les pensionnats autochtones du Canada, qui ont existé jusqu'à la fin des années 1990. Fratries séparées, interdiction de parler leur langue, les enfants, nommézs par des numéros, y étaient souvent battus, et violés.
La politique officielle du Canada a longtemps consisté à rompre les amarres des peuples autochtones –en fait, à effacer l'essence même de leur 'indigénéité'. Et pour beaucoup de ceux qui vivaient dans la forêt, cette politique fut annoncée par le vrombissement de moteurs d'avions
Joe SaccoPayer la terre
Retour aux sources
Joe Sacco, comme à son habitude, se met en scène discrètement et avec une pointe d'humour dans cette passionnante expédition documentaire. Il multiplie les interviews, les points de vue, entre par différents angles dans l'histoire tragique des peuples autochtones, et les dégâts (violence, alcool, suicides…) que la politique colonisatrice du Canada a provoqué dans les rangs des peuples premiers, sans compter les dommages écologiques. Un massacre.
Le livre est traversé par des questions souvent laissées sans réponse, et notamment une grande interrogation du côté des nouvelles générations sur l'éventuel retour aux sources de leur culture, et de leur terre. "Je pense qu'on doit avant tout se convaincre qu'on n'est pas inférieurs…", conclut Paul Andrew.
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"Ma principale interrogation, constate Joe Sacco à l'issue de son enquête, porte sur mon espèce, sur nous. Quelle est la vision du monde d'un peuple qui ne murmure ni remerciements ni prières, qui extrait tout ce qu'il veut de la terre, et paie ses dettes avec de l'arsenic ?"
La patte de Joe Sacco
Nourrie par les dessins hachurés reconnaissables de l'auteur de Gaza 1956 (Futuropolis, 2010), la narration est habilement distribuée entre les dessins et les textes, dans des cases souvent penchées, comme des documents posés dans un album. Le récit est centré sur les témoignages, inscrits dans une belle composition des pages, focalisée sur les visages des témoins, sur leur parole, avec en arrière-plan les décors, le contexte, ou l'illustration du propos.
Très documenté, très inspiré graphiquement, Payer la terre est hymne à la terre, à la liberté, à l'humanisme et à la fraternité, autant qu'un cri déchirant mettant en lumière la bêtise et la cruauté de l'homme blanc. Un précieux travail de mémoire, et une leçon d'autant plus édifiante que ces peuples vivaient selon des principes (développement durable, méditation, communication avec la nature…) aujourd'hui considérés par beaucoup comme le salut d'une planète ravagée par les modes de vie du système occidental.
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Payer la terre, de Joe Sacco, traduit de l'américain par Sidonie Van Den Dries (Futuropolis & XXI - 272 pages – 26 euros)
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