"Après Babel, traduire" : le MuCEM explore la fascinante diversité des langues
Le Mucem présente jusqu’au 20 mars 2017 l’exposition "Après Babel, traduire". De la célèbre pierre de Rosette, qui a permis le déchiffrement des hiéroglyphes, aux rébus, le parcours décline la pluralité des langues en tableaux, sculptures, films, textes sacrés et poèmes; autant de supports à des questions sur la nécessité de traduire toujours et encore y compris les "intraduisibles".
On ne saurait dire ce qui, de cette visite, nous laisse dans un tel état d’émerveillement. Est-ce la profusion de plusieurs milliers de langues dont on perçoit la vibration dans le cheminement ? Est-ce le vertige provoqué par leur coexistence, ce bouillon de culture proprement humain ? Est-ce cette performance : transformer la Tour de Babel, symbole d’un bla-bla cacophonique qui monte vers un sommet nimbé de nuages en un long parcours pédestre pour visiteur à la curiosité sans cesse renouvelée ?
Scientifique et politique
Gisement de langues, vibration des savoirs, enjeu du vivre-ensemble… S’y promener c’est entrer dans une pensée qui se déploie au fur et à mesure de la visite. Une pensée de philosophe des langues, credo de Barbara Cassin, commissaire de l’exposition. Son projet est scientifique autant que politique : "Il faut partir de la diversité des langues comme on part de la diversité des citoyens. Le nom de cette articulation s’agissant des langues, c’est : traduire. A chaque fois, il faut construire entre : entre les citoyens, entre les langues, et faire un atout de la diversité." (Le Monde, 24/01/17)
Inventivité réjouissante
Cette diversité des langues dans la dynamique d’une exposition ambitieuse, pour tout public, polyglotte ou monolingue, se présente avec une inventivité réjouissante. Exemple : quand les Français disent d’un texte abscons "c’est du chinois", que disent les Chinois, eux, d’un texte inaccessible ? "C’est la langue du ciel". Autre exemple qui fait appelle aux oreilles du visiteur : le mugissement de la vache n’est pas le même pour un Français ("meuh"), un Anglais ("moo"), une Néerlandais ("boe").
Ou cette question posée aux Marseillais venus d’ailleurs : quel est le mot qui vous manque en français, un intraduisible en quelque sorte ? Cette cimaise "des mots qui manquent " affiche un respect pour l’Autre, marque de l’exposition. Ou encore ce film de Nurith Aviv, "Signer en langue des signes", où la comédienne Emmanuelle Laborit, exprime par gestes le sens d’un mot dans différentes langues des signes, une langue que l’on croyait universelle, ce qui était… un malentendu car tous les sourds et malentendants ne disent pas "aimer" de la même façon, selon qu’ils sont Arméniens, Américains, Japonais.
La traduction, "un savoir-faire avec les différences"
Ce qui rend passionnant cette déambulation que l’on soit amateur de dizaines de versions de Tintin, exposées en un beau totem de couvertures ou sensible aux pleins et déliés des calligraphies arabes des Corans, sont les questions qui accompagnent les trois temps du parcours. Car rien de plus humain que la traduction, "un savoir-faire avec les différences".Première séquence : "Babel", qui veut dire en hébreu "Confusion", cette diversité des langues, est-ce une malédiction ou une chance ? Réponse : une chance, à condition de traduire.
"Traduire, c’est préférer à une communication rapide et basique dans une langue dominante pour monde globalisé (aujourd’hui le "global english" ou globish) un travail coûteux et parfois déconcertant sur la différence des langues, des cultures, des visions du monde", ainsi que le manifeste le peintre congolais Chéri Samba dans ses Tours de Babel.
Deuxième séquence : les flux et les hommes. Le visiteur est confronté aux routes de la traduction et à divers essaimages de langues à partir d’un lieu d’origine. Exemples : "Le Capital" de Marx depuis Berlin ou "Tintin" depuis Bruxelles.
On apprend que la traduction est d’abord "un fait d’histoire" : les routes de la traduction, via le grec, le latin, l’arabe, sont celles de la transmission du savoir et du pouvoir. "La langue de l’Europe, c’est la traduction", a dit Umberto Eco. "Les civilisations d’Europe et de Méditerranée se sont construites sur cette pratique paradoxale : dire "presque" la même chose, et inventer en passant, à la confluence des savoirs et des langues." Barbara Cassin exploite cette idée jusqu’à écrire dans son ouvrage très stimulant "Éloge de la traduction, Compliquer l’universel" (Fayard) : "la langue du monde c’est la traduction".
Troisième séquence : Traduisibles/intraduisibles. Exemple avec les rébus, ces devinettes graphiques qui représentent une phrase en une seule langue, celui des sons des mots d’images. Mais les rébus ne sont que la partie ludique d’une plus vaste entreprise que Barbara Cassin avait dirigée en 2004 avec son "Vocabulaire européen des philosophies : dictionnaire des intraduisibles" (Le Seuil/Le Robert) qui est en cours de… traduction en une dizaine de langues. Ces "intraduisibles" sont des concepts philosophiques sans cesse en traduction, ceci pour éviter tout "nationalisme ontologique", rejetant l’idée de toute traduction univoque ("le monolinguisme est totalitaire").
Vers une "Maison de la sagesse"
L’exposition Après Babel, traduire est une tentative réussie pour montrer comment "la traduction, savoir-faire avec les différences, est un excellent modèle pour la citoyenneté d’aujourd’hui."Une fois finie, elle fera place à une "Maison de la sagesse", à l’image des gisements de traduction de la Bagdad des débuts de l’Islam (Beyt al-Hikma) avec pour projet une suite aux "Intraduisibles" : un dictionnaire des trois monothéismes.
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