"Mon métier a 5 000 ans d'histoire" : l'exposition "Le geste retrouvé" ou le voyage dans le temps grâce à la fabrication d'un torque celte

La réplique de cet objet, dont l'original date de deux millénaires, a été réalisée par le maître ciseleur Antoine Legouy, Meilleur ouvrier de France, l'un des rares représentants encore en activité, au nombre d'une dizaine seulement.

Article rédigé par Paul Dubois
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 6min
L'une des deux répliques en or 24 carats du torque de Montans. (BENJAMIN CHELLY)
L'une des deux répliques en or 24 carats du torque de Montans. (BENJAMIN CHELLY)

Au premier étage de l'hôtel de Mercy-Argenteau, sous la verrière et les dorures d'un salon, trône la star de la maison. C'est ici, dans l'écrin un brin XVIIIe de L'École des arts joailliers fondée en 2012 avec le soutien de la maison Van Cleef & Arpels, que se joue une drôle d'histoire, à la croisée des âges et des métiers. Une histoire d'or, de gestes anciens et de mémoire retrouvée. Jusqu'au 21 septembre.

Depuis 2024, cette école nichée au cœur des Grands Boulevards abrite un projet aussi pointu que poétique : reconstituer un torque celte, ce collier rigide en or retrouvé à Montans, dans le Tarn.

Un bijou vieux de plus de 2 000 ans, vestige du Second âge du fer, mais surtout une clé pour remonter le fil d'un savoir-faire disparu. Un projet pas comme les autres, qui mêle archéologie, orfèvrerie et joaillerie – des mondes qui, d'ordinaire, ne se parlent pas. Né en 2012, le projet cale, redémarre, puis s'envole en 2022 grâce à une équipe où chaque nom sonne comme un maillon d'or : Barbara Ambuster, chercheuse au CNRS et instigatrice du projet, Emmanuelle Amiot, commissaire d'exposition, Grégory Weinstock, directeur des Métiers de haute joaillerie chez Van Cleef & Arpels, et Antoine Legouy, ciseleur, Meilleur ouvrier de France. Une dream team du geste et du regard.

Ciselure au repoussé d'une couronne sur le boulet recouvert de ciment. (GUILLAUME LEVELU)
Ciselure au repoussé d'une couronne sur le boulet recouvert de ciment. (GUILLAUME LEVELU)

L'idée ? "Comprendre en faisant", tranche Emmanuelle Amiot. Loin de la copie, l'enjeu est de créer une "réplique", une pièce sensible, unique, imparfaite comme l'était sans doute l'original. "Nous tenons au terme "réplique", et c'est la grande différence avec une copie. Chaque réplique est unique, comme elle est faite à la main, elle a ses imperfections, ses formes." Le cœur du projet n'est finalement pas l'objet en lui-même, mais comment on le fait. "Est-ce qu'on montre l'objet ou le processus ? C'est évidemment le processus", insiste la commissaire. Il s'agit de rendre visible la transformation : comment on passe d'une plaque de métal à une dentelle d'or. Comment on cisèle, tord, chauffe, rate, recommence.

Et cette magie n'aurait pas pu opérer sans Antoine Legouy, artisan d'exception, installé dans le Maine-et-Loire, maître dans l'art oublié du ciselage. Son atelier, reconstitué par vidéos et photos, devient un personnage à part entière. Là, on découvre les secrets d'un geste disparu : des fils carrés torsadés trois fois, un équilibre fragile entre force et souplesse. Pendant deux ans, Antoine s'est frotté à ce passé. "Les six premiers mois, on cherche sur le papier, puis viennent les essais validés par les scientifiques. C'est un vrai travail d'équipe", dit-il. Et les échecs ? Il balaie : "Il ne faut pas parler d'échecs, ce sont des tests. Comme toute recherche, qu'elle soit scientifique ou artisanale, on cherche, donc il y a des fausses pistes parfois."

Ciselure au repoussé d'une couronne sur le boulet recouvert de ciment. (BENJAMIN CHELLY)
Ciselure au repoussé d'une couronne sur le boulet recouvert de ciment. (BENJAMIN CHELLY)

Et parfois, ces fausses pistes mènent loin. Jusqu'à un objet étrange, sorti de l'ombre : le "boulet de ciseleur". Une sorte de boule de cire et de ciment, qui sert à maintenir la pièce à ciseler sans la casser. Drôle de machin, mais sans lui, pas de torque recréé.

Ce savoir-faire ne se transmet pas dans les livres, mais par la mémoire des mains. "C'est difficile pour un joaillier ou un orfèvre classique. Il y a dix ans, il y avait ce problème de métal à déformer, tous les artisans n'ont pas la technique du repoussé", confie Antoine. Le ciselage ? Le repoussé ? Il résume : "C'est de la sculpture sans enlever de matière en repoussant le métal, en l'occurrence l'or pour le déformer et obtenir des motifs. Cela nécessite donc des outils spécifiques, souvent faits maison." Une discipline millénaire, qui pense même à la santé de ceux qui la pratiquent : les marteaux sont en bois de cornouiller, souples juste ce qu'il faut pour épargner les tendons.

Détail de la réplique n°1/2, extrémités du torque (tampon, couronne, fermoir). (BENJAMIN CHELLY)
Détail de la réplique n°1/2, extrémités du torque (tampon, couronne, fermoir). (BENJAMIN CHELLY)

Mais les gestes ne suffisent pas : la science entre en scène. Céline Gaslin-Leduc, conseillère scientifique, rappelle que sans l'archéométrie, impossible de comprendre ce torque. Microscope, analyses, datations : les objets parlent autrement. "L'archéométrie peut à la fois permettre de dater et de remettre en cause."

Et des clichés, il y en a à démonter. Comme celui du Gaulois barbare, grossier et sans aucun goût. "Nous avons le récit des Gaulois par les Romains, ce qui a engendré de nombreuses idées reçues sur ce peuple barbare. Mais la science prouve que ce peuple celte – attention, les Gaulois sont des Celtes, mais tous les Celtes ne sont pas des Gaulois – était bien plus raffiné que ce qu'on imaginait", souligne Emmanuelle Amiot.

Essais à l'argent, contreformes en bois de buis et outils réalisés par Antoine Legouy. (BENJAMIN CHELLY)
Essais à l'argent, contreformes en bois de buis et outils réalisés par Antoine Legouy. (BENJAMIN CHELLY)

Un art celte, donc, à part entière, et non une pâle copie des Grecs ou des Romains. "Les Gaulois, contrairement aux Romains et Grecs, s'approprient ce qu'ils voient. Ils ne cherchent pas à copier, ils créent quelque chose", affirme l'artisan. Dans cette salle, entre archives et éclats d'or, le passé reprend forme, devient matière. Aujourd'hui, ils ne sont plus qu'une dizaine en France à pratiquer encore cet art ancestral. Antoine fait partie de ces rares ciseleurs et tient à le transmettre : "Mon métier a 5 000 ans d'histoire, et ça n'a pas tellement changé. Il ne faut pas qu'on tombe dans l'oubli."

Peut-être cette exposition suscitera-t-elle des vocations chez les plus jeunes, auxquels elle accorde une place particulière. "Il y a des endroits où les enfants peuvent toucher les outils, découvrir le boulet de ciseleur, et s'initier à ce dialogue entre passé et présent", souligne Céline Gaslin-Leduc.

Exposition "Le geste retrouvé", L'École des arts joailliers (Paris), hôtel de Mercy-Argenteau, 16 bis boulevard Montmartre, 75009 Paris, jusqu'au 21 septembre 2025, du mardi au dimanche, de 13h30 à 19h, gratuit (sur inscription).

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