Interview "Avec "Entrez en matières", on espère planter des petites graines" : le musée d'Orsay accueille des artisans lors des Journées européennes des métiers d'art

Pendant quatre jours, artisans d'art et collections du musée d'Orsay se côtoient, offrant au public une immersion au cœur des savoir-faire d'excellence dans le cadre des 19e Journées européennes des métiers d'art.

Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 12min
Animation au stand des Manufactures nationales - Sèvres & mobilier national consistant à s'essayer à l'art du tissage et découvrir les formations aux métiers textiles. Décembre 2022. (MAXIME ROUSSILHE)
Animation au stand des Manufactures nationales - Sèvres & mobilier national consistant à s'essayer à l'art du tissage et découvrir les formations aux métiers textiles. Décembre 2022. (MAXIME ROUSSILHE)

À l'occasion des 19e Journées européennes des métiers d'art (Jema), le Comité Colbert présente la quatrième édition d'Entrez en matières. Dans un monde où l'artisanat se confronte aux défis de la transmission et de la modernité, cet événement met en lumière la richesse des savoir-faire des métiers d'art et la vitalité des jeunes générations en formation, à travers un parcours immersif de démonstrations, au cœur des collections du musée d'Orsay du 3 au 6 avril.

Les visiteurs observeront, par exemple, la minutie des artisans du bois en passant par ceux qui travaillent la laque et la peinture en décor mais aussi les subtilités du travail de la matière minérale (céramique et pierre). Les métiers du textile et de la mode se laisseront approcher à travers la broderie, le tissage, le moulage ou la restauration de tapis anciens, sans oublier le travail du cuir et de l'horlogerie.

Portée par des écoles de formation du Campus mode, métiers d'art, design - Manufacture des Gobelins et les professionnels des grandes maisons réunies par le Comité Colbert ainsi que les artisans d'arts sélectionnés par Ateliers d'art de France (syndicat des artisans en France), cette manifestation est soutenue par les Manufactures nationales. Bénédicte Épinay, déléguée générale du Comité Colbert, nous explique comment a été pensée cette immersion rare dans un univers où chaque geste porte la trace d'une longue tradition et d'un apprentissage minutieux, tout en s'inscrivant dans les défis du présent et du renouvellement des générations. Suivez le guide.

Franceinfo Culture : Plus grande manifestation internationale dédiée aux métiers d'art, les Jema (du 31/03 au 06/04) proposent une semaine consacrée aux métiers d'art et aux savoir-faire d'exception. En quoi consiste Entrez en matières ?

Bénédicte Épinay : Le nom de cet événement n'a pas été choisi par hasard puisque les visiteurs vont voir des maisons classées par matières : le textile, le fer, le bois, le cuir... C'est une manière de les inviter à entrer dans les coulisses de nos maisons via la découverte de leurs savoir-faire et, dans le même temps, des écoles professionnelles qui préparent à ces métiers.

Nos sommes dans un contexte de pénurie d'emploi dans les métiers de la main : ils nous manquent [au Comité Colbert] 20 000 artisans en France et si on élargit, ils manquent 50 000 artisans dans les plus petites structures (maroquiniers, joailliers, ébénistes...). On s'active pour leur donner de la visibilité car la pénurie s'explique, très largement, par le fait que ces métiers jusqu'à présent n'étaient pas visibles. On le constate quand on rencontre des collégiens et que l'on leur cite des noms comme maroquinier, joaillier : ils n'ont aucune idée de ce qui se cache derrière, voire ils n'ont jamais entendu parler de ces métiers-là. Il y a une forme d'urgence à les rendre visibles et ce d'une manière sympathique par la pratique, par la démonstration du geste de l'artisan. Avec Entrez en matières, on espère planter des petites graines, allumer la mèche.

Le public visé va des collégiens au grand public. Pour le moment, ceux que l'on arrive à attirer dans nos maisons, ce sont les adultes en reconversion. C'est un public que l'on n'avait pas anticipé. En sortie de Covid, on a vu à quel point nos événements ont été visités par beaucoup d'adultes, de cadres à la recherche de métiers comme ceux de la main qui donnent du sens à la vie.

Les trois premières éditions ont eu lieu à la manufacture des Gobelins, Orsay est le premier musée national à les accueillir ?

Très logiquement les trois premières éditions se sont tenues aux Gobelins car la manufacture est partenaire dans cet événement du Campus mode, métiers d'art et design (une émanation du Mobilier national et du campus des Gobelins).

Quand Sylvain Amic est devenu président du musée d'Orsay, très rapidement, on a discuté d'une édition à Orsay : le musée a aussi des métiers d'art en son sein et il y a une vraie logique à venir nous installer au milieu des œuvres.

C'est une approche plus grand public ?

Très certainement, géographiquement, nous sommes plus central et ce n'est pas neutre. On va attirer des gens venus pour le musée (et pas pour nous) qui vont nous découvrir par surprise, ces visiteurs assisteront gratuitement à notre événement. Habituellement, aux Gobelins, l'événement est gratuit, là, c'était plus compliqué mais il y aura des populations pour lesquelles il sera gratuit. Et puis bien entendu, il y a le public qui suit les Jema car ces journées ont leur fan-club.

Outre les démonstrations des dix maisons du Comité Colbert (Atelier Mériguet-Carrère, Baccarat, Bernardaud, Breguet, Chanel le19M, Christofle, Hermès, Manufactures nationales, Sèvres & mobilier national, Puiforcat et S.T. Dupont), quels autres partenaires présentent leur savoir-faire ?

Les autres partenaires sont les artisans d'Atelier d'art de France et les écoles du Campus mode, métiers d'art et design.

C'est important pour le visiteur qu'il voit les maisons qui recrutent et aussi, en face, les écoles. Quand il ressort de sa visite, il a appréhendé la totalité de cet écosystème très vertueux avec des clefs pour prendre une décision et continuer.

Que verra le public pendant ces quatre jours de démonstration ? Sera-t-il associé à l'événement ?

Les stands sont regroupés par matière – la mode, le métal, le bois, le cuir, la pierre, le verre et le cristal, la céramique – avec l'école liée à côté, soit au total 10 maisons, 3 artisans d'art de France et 19 établissements de formation présents. Chez Hermès, par exemple, le visiteur assistera à l'assemblage d'un sac Kelly ou Constance, tandis que Chanel montrera différents gestes techniques sur une veste – de l'application de la poche, à la pose de galon, en passant par la boutonnière brodée.

Ce sont des démonstrations en continu tout au long de la journée. Sur certains espaces, le visiteur peut faire quelque chose de ses mains, mais il y a des métiers (comme la joaillerie, le cristal et le fer) pour lesquels c'est plus compliqué de faire des démonstrations. C'est important le geste, je pense que l'on ne comprend jamais aussi bien le métier de l'artisan que quand on le pratique.

Le musée propose un hommage aux arts décoratifs de l'Art nouveau ainsi que des échanges avec des guides conférenciers.

Le musée Orsay a mis cela en place pour décrypter leur parcours d'art nouveau puisque les démonstrations de nos maisons sont intégrées dans cette partie du parcours où se tiennent les collections en arts décoratifs de la période Art nouveau. En plus des démonstrations, il y aura donc des interventions de spécialistes pour offrir un éclairage inédit sur les œuvres emblématiques du musée et les savoir-faire qui les ont façonnées.

Ces Jema offrent la possibilité d'une immersion rare dans un univers où chaque geste porte la trace d'une tradition et d'un apprentissage minutieux. Ces métiers manquent-ils d'attractivité ?

En France, depuis toujours, il y a une dévalorisation du métier manuel. Les choses bougent pourtant : dans la cuisine, par exemple, grâce aux programmes de télévision, ces métiers sont en train ou déjà redevenus nobles.

Les métiers manuels ont été depuis toujours dévalorisées, par les enfants qui ne les connaissaient pas et par les parents qui disent mais tu ne vas pas faire un CAP, passe ton bac d'abord ! On doit redonner de la noblesse aux métiers de la main dans nos univers ! Très souvent en plus des parents, ce sont aussi les professeurs principaux ou les conseillers en orientation qui bloquent. C'est surtout par manque de connaissance d'où l'importance de ces événements pour partager ce qu'ils sont réellement et que les artisans les exerçant puissent parler de leur parcours aux visiteurs.

Longtemps nos maisons ont considéré qu'il ne fallait pas montrer les coulisses car cela faisait partie du secret de fabrication donc on ne raconterait pas le travail des artisans. Aujourd'hui, on découvre que les consommateurs aiment, au contraire, savoir et qu'il y a un besoin de transparence. Les maisons ont désormais compris que l'on ne pouvait pas attirer les gens si l'on ne rend pas ces métiers-là visibles !

Aujourd'hui, le défi est le renouvellement des générations. Comment se fait la transmission de ces savoir-faire ?

La transmission s'effectue via les écoles de la voie professionnelle présentes. Mais on a du mal à attirer les jeunes, car être un joaillier ou un maroquinier expert prend dix ans : il y a le temps de la formation du diplôme, puis celui de l'apprentissage dans une maison. C'est un temps long qui fait peur aux jeunes !

Au départ, on offre un Smic amélioré mais les progressions de parcours ensuite sont très intéressantes : aujourd'hui, un chef d'atelier dans l'une de nos grandes maisons (après un parcours de 20/25 ans) touche un salaire correspondant à celui d'un cadre ! On peut donc faire un joli parcours.

Mais les idées reçues ont la vie dure : on le voit à notre autre événement, Les Deuxmains du luxe,où des parents face à un enfant qui veut être couturier sont dépassés et se demandent comment il va en vivre. Il y a un manque énorme d'informations et ces événements-là visent à nourrir ces gens dans l'inconnu.

En quoi consiste l'événement Les Deuxmains du luxe ?

Avec les Jema, on est dans le cadre d'un événement collectif et national, tandis que Les Deuxmains du luxe est un événement propriétaire que le Comité Colbert a créé en 2022.

Pour la première fois, cette 5e édition se déroulera au Grand Palais du 2 au 5 octobre prochain pendant la Paris Fashion Week. On embarquera 40 maisons, et l'objectif pour chacune, c'est que le visiteur s'installe à une table où il y aura une activité. Ce sera le même principe avec des écoles et des conférences pour nourrir le visiteur en informations.

Pourquoi le Projet Coupole est-il installé sur le parvis du musée ?

Installée le temps de l'exposition, c'est la première chose que les visiteurs du musée verront. Cette œuvre monumentale est une incarnation de tous ces métiers. Conçue et réalisée par des élèves et enseignants de plusieurs lycées des métiers membres du Campus mode, métiers d'art et design, cette installation illustre la complémentarité des métiers d'art et la transmission des techniques traditionnelles autour de la mise en œuvre de matériaux emblématiques, comme le bois pour la charpente de la coupole, le métal pour l'assembler et la verrerie pour les vitraux.

Commentaires

Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.