Reportage Il y a quarante ans, Christo et Jeanne-Claude emballaient le Pont-Neuf : leur neveu Vladimir Yavachev assure la relève

Une exposition revient sur les différents projets imaginés par le couple de plasticiens pour la capitale où une place à leur nom sera inaugurée le 3 octobre. Un hommage plus spectaculaire, conçu par l'artiste JR, est prévu en 2026.

Article rédigé par Valérie Gaget
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 8min
Vladimir Yavachev présente l'exposition consacrée au couple de plasticiens Christo et Jeanne-Claude, en bord de Seine, à Paris, pour célébrer les 40 ans de l'emballage du Pont-Neuf. (VALERIE GAGET / FRANCEINFO CULTURE)
Vladimir Yavachev présente l'exposition consacrée au couple de plasticiens Christo et Jeanne-Claude, en bord de Seine, à Paris, pour célébrer les 40 ans de l'emballage du Pont-Neuf. (VALERIE GAGET / FRANCEINFO CULTURE)

Le 22 septembre 1985, Christo et sa femme Jeanne-Claude emballaient le Pont-Neuf, à Paris. Cette création, aussi monumentale qu'éphémère, a fait couler des litres d'encre, adversaires et admirateurs du projet s'affrontant à fleurets pas toujours mouchetés. Jusqu'au 30 octobre, une exposition gratuite, en plein air, baptisée Christo et Jeanne-Claude : projets parisiens revient sur les liens particuliers qui unissaient le couple à la capitale. Elle est installée sur le quai de la Mégisserie, en contrebas du Pont-Neuf, à l'endroit même où s'est concrétisé ce rêve complètement fou.

Nous avons rendez-vous sur place avec Vladimir Yavachev, le neveu de Christo. Depuis la mort de son oncle Christo Vladimirov Javacheff, le 31 mai 2020, ce colosse a repris les rênes de la petite mais monumentale entreprise familiale. Entretenir la mémoire des créations du couple de plasticiens via différents types d'hommages lui tient à cœur. Il s'emploie aussi à finaliser certains de leurs projets inaboutis. Les Parisiens lui doivent notamment l'extraordinaire emballage de l'Arc de Triomphe, quinze jours durant, en septembre 2021. Un projet qui datait de 1961. Nous avions accompagné Vladimir Yavachev au sommet du monument pour le déploiement de 25 000 m2 de tissu argenté. Quelque six millions de visiteurs étaient venus l'admirer et les images avaient fait le tour du monde.

Paris, leur ville de cœur

Disons le tout net : la mini-exposition célébrant les 40 ans de l'empaquetage du Pont Neuf nous a un peu déçus. Douze photos seulement, présentées sur quatre trépieds en forme de triangle, sont installées, à proximité de conteneurs de déchets. Des dizaines de joggers et des cyclistes passent devant sans y prêter la moindre attention. Seuls quelques touristes s'arrêtent ce matin-là. On y apprend pourtant que Paris est, dans le monde, la ville où Christo et Jeanne-Claude ont réalisé le plus grand nombre d'œuvres monumentales.

Outre les photos du Pont Neuf et de l'Arc de Triomphe empaquetés, d'autres projets réalisés dans la capitale sont illustrés notamment Mur de barils de pétrole - Le Rideau de fer en 1961-1962 (l'obstruction par un empilement de bidons de la rue Visconti pour dénoncer la construction du Mur de Berlin) et Statue empaquetée sur l'esplanade du Trocadéro en 1964. "Nous aimons ce type d'expositions parce qu'elles se déroulent dans l'espace public et que des gens qui ne s'intéressent pas forcément à l'art peuvent s'arrêter, explique le neveu de Christo et Jeanne-Claude. On est dans le même esprit que leurs œuvres. Vous pouvez aimer ou détester. Pas de problème, tant que cela vous fait réagir.

Christo and Jeanne-Claude, "The Pont Neuf Wrapped", Paris, 1975-85, photo de Wolfgang Volz (1985 CHRISTO AND JEANNE-CLAUDE FOUNDATION)
Christo and Jeanne-Claude, "The Pont Neuf Wrapped", Paris, 1975-85, photo de Wolfgang Volz (1985 CHRISTO AND JEANNE-CLAUDE FOUNDATION)

Pendant quatorze jours, du 22 septembre au 5 octobre 1985, avec l'appui de 12 ingénieurs et de 300 ouvriers spécialisés, le couple avait réussi l'exploit d'envelopper le plus vieux pont de Paris - tout un symbole - dans 41 800 m2 de tissu, sécurisé par 13 kilomètres de cordes et 12 tonnes de câbles d'acier. Initialement, Christo et son épouse avaient choisi le pont Alexandre III. "Pour le tissu, ils ont choisi une teinte champagne pour rappeler celle des murs de Paris", se souvient Vladimir Yavachev. La couleur changeait au fil de la journée en fonction de l'ensoleillement. La circulation sur le pont n'avait pas été interrompue et près de trois millions de curieux s'y sont promenés pour constater par eux-mêmes l'effet produit, au grand bonheur des commerçants du quartier.

De nombreux Parisiens, d'abord sceptiques, ont reconnu avoir changé d'avis en découvrant le vieux pont ainsi rhabillé, dans sa robe dorée. Le plasticien n'aimait guère qu'on l'interroge, encore et encore, sur le sens de son travail. "J'ai voulu le transformer, faire d'un objet architectural, d'un objet d'inspiration pour les artistes, un objet d'art tout court. Qu'il devienne pour la première fois une sculpture, mais éphémère comme mon rêve", avait expliqué Christo, un géant du "Land Art", cette pratique artistique qui renouvelle le regard sur les paysages.

Coût de l'opération : 4 millions de dollars financés par le couple grâce à la vente d’œuvres originales de Christo, des dessins ou des collages. Le duo refusait absolument de travailler sur commande et tenait à s’autofinancer, soutenu par des amateurs d’art et des mécènes. Les projets ne devaient rien coûter au contribuable. C'était pour eux l'une des conditions essentielles pour que le public adhère à cet art qui "ne sert à rien" comme Christo le disait lui-même, si ce n'est créer une forme de beauté insolite.

Les artistes Christo et Jeanne-Claude devant le Pont Neuf emballé à Paris, en septembre 1985. Photo: Wolfgang Volz. (CHRISTO AND JEANNE-CLAUDE FOUNDATION)
Les artistes Christo et Jeanne-Claude devant le Pont Neuf emballé à Paris, en septembre 1985. Photo: Wolfgang Volz. (CHRISTO AND JEANNE-CLAUDE FOUNDATION)

Le couple avait tissé un lien unique avec Paris, la ville où ils s'étaient rencontrés. "C'est ici que Christo a choisi sa voie en tant qu'artiste", rappelle son neveu. Il avait fui sa Bulgarie natale en 1956 et pour gagner sa vie, réalisait des portraits dans des familles bourgeoises. C'est en travaillant pour la mère de Jeanne-Claude qu'il a croisé son alter ego.

"Elle était jeune mariée et revenait tout juste de son voyage de noces, raconte Vladimir. Le coup de foudre a été immédiat. Elle a quitté son mari et ils ont commencé à travailler ensemble. Ils étaient nés le même jour, le 13 juin 1935, lui à Gabrovo et elle à Casablanca !". Après sa mort en 2009, Christo n'a jamais pu se résoudre à parler de son grand amour au passé. "Ils faisaient tout ensemble excepté trois choses, raconte leur neveu. Ils ne prenaient jamais le même avion pour que l'un des deux puisse continuer l'œuvre commune en cas d'accident, Jeanne-Claude ne dessinait pas et Christo ne rencontrait jamais les financiers."

Une place de Paris à leur nom 

À l'occasion du 40e anniversaire de l'emballage du Pont Neuf, la maire de Paris, Anne Hidalgo inaugurera le 3 octobre prochain, en présence de Vladimir Yavachev, "la Place du Pont-Neuf Christo et Jeanne-Claude", à deux pas du monument, au pied d'une statue équestre d'Henri IV.

Au début de l'été 2026, avec un an de retard sur la date initialement annoncée, l'artiste français JR réalisera à son tour un projet inspiré par le couple qui transformera à nouveau le pont enjambant l'Île de la Cité. "C'est un ami et on en a beaucoup parlé même s'il reste artistiquement totalement libre, assure Vladimir Yavachev. Je le soutiens de toutes les manières possibles." 

JR, Projet Pont-Neuf (collage préparatoire), collage 2024, découpe papier sur papier, 25.5 x 41 cm, Atelier JR. (2024 JR PHOTO COURTESY ATELIER JR)
JR, Projet Pont-Neuf (collage préparatoire), collage 2024, découpe papier sur papier, 25.5 x 41 cm, Atelier JR. (2024 JR PHOTO COURTESY ATELIER JR)

L'idée de JR est de transformer, pendant deux semaines, le Pont Neuf en grotte. Une installation immersive, selon une formule à la mode. "On pourra passer à l'intérieur en marchant des deux côtés, comme dans une caverne", explique Vladimir. Comme le Pont Neuf en son temps, l'installation est conçue pour être admirée de jour comme de nuit.

Ce gestionnaire d'héritage un peu particulier n'a pas fini de voyager pour continuer à faire vivre l'œuvre du duo. "On a créé la Fondation Christo et Jeanne-Claude et travaillé sur de nombreuses expositions, notamment pour célébrer les 30 ans de l'emballage du Reichstag, le Parlement allemand à Berlin, et les 20 ans de l’installation "The Gates" à New York", raconte-t-il. 

Il conclut en expliquant que dans les prochaines années, il va beaucoup œuvrer pour faire aboutir le difficile dossier du Mastaba, une gigantesque pyramide de bidons qui devrait voir le jour dans le désert au sud d'Abu Dhabi [Emirats Arabes Unis], un projet très important pour son oncle et sa tante, le seul qui laisserait une trace pérenne de leur travail.
"Ce qui me manque, confie Vladimir, c'est de voir Christo assister à la réalisation de l'un de ses projets. Il me manque vraiment." 

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