Ai Weiwei, l’artiste que la Chine aimerait faire taire
Exposé au Jeu de Paume à Paris, Ai Weiwei a passé plusieurs mois en prison et subit toujours d’innombrables tracasseries administratives dans son pays. Mais qu’est-ce qui hérisse autant le poil des autorités chinoises ?
De ce côté-ci de la planète, on a perdu l’habitude de voir des artistes jetés en prison et molestés à cause de leurs œuvres. Le Chinois Ai Weiwei, exposé au Jeu de Paume, à Paris, du 21 février au 29 avril, a passé plusieurs mois à l’ombre et subit toujours d’innombrables tracasseries administratives. Mais qu’est-ce qui hérisse autant le poil des autorités pékinoises ?
Il suffit de se pencher un peu sur les clichés de ce provocateur de 55 ans pour comprendre. Encore peu connu en France mais célébré en héros par la jeune génération de son pays d’origine, Ai Weiwei ne signe pas seulement des œuvres neuves et gênantes, il sait tirer parti des réseaux sociaux pour les propager.
Politiquement incorrect
Fils d’un poète chinois, Ai Qing, reconnu et longtemps apprécié du Parti, A Weiwei aurait pu vivre une vie paisible d’artiste officiel. Mais très tôt, la dissidence le tente. A 23 ans, il participe à la création d’un collectif d’avant-garde, The Stars, qui rejette le réalisme socialiste et ses créations politiquement correctes.
Entre 1981 et 1993, il s’installe et étudie aux Etats-Unis, où il découvre les œuvres de Marcel Duchamp. Le Français, ses détournements d’objets banals (les ready-made) et sa manière de mêler constamment l’art et la vie l’influencent durablement. Il prend l’habitude d’immortaliser son quotidien (il aurait accumulé plus de 10 000 photos lors de son passage aux Etats-Unis). Misère, brutalité policière… ses clichés n’illustrent pas vraiment le fameux rêve américain.
Il rentre à Pékin en 1993 pour rejoindre son père, tombé malade. Au fil du temps, il se fait un nom dans le milieu du design et de l’architecture, collaborant même en tant que consultant artistique à la création du célèbre "Nid d’oiseau", le stade olympique de la capitale chinoise.
Mais peu à peu, alors même qu’il expose dans les plus prestigieux musées occidentaux, l’artiste tombe en disgrâce auprès des autorités chinoises.
Un provocateur qui brise les tabous
Pourquoi ce revirement ? Parce qu’Ai Weiwei ne respecte rien ! A commencer par l’art traditionnel chinois. Dans cette performance de 1995, on le voit ainsi laisser tomber d’un air débonnaire un authentique vase de la dynastie des Han… vieux de 2 000 ans !
Il y a plus grave… Regardez bien cet autre cliché. Oui, cette jeune femme (qui n’est autre que la compagne de l’artiste, Lu Qing) s’exhibe juste en face du portrait de Mao. Véritable pied de nez aux autorités, la photo a été prise sur la place Tian’anmen, haut lieu de la contestation du pouvoir. Date de la prise de vue ? Juin 1994, soit cinq ans exactement après la répression des manifestations de 1989.
La série la plus forte est peut-être celle des "études de perspective", un travail qu’Ai Weiwei a également entamé sur la place Tian’anmen…
… et qui s’est poursuivi dans de nombreux lieux symboliques. Le "doigt d’honneur" de Weiwei est ainsi venu caresser le socle de la tour Eiffel. On peut difficilement faire plus clair pour remettre en cause l’importance des icônes du pouvoir ou de la culture, qu’elles soient orientales ou occidentales.
Témoin gênant
Dans sa série des "paysages provisoires", réalisée entre 2002 et 2008, l’artiste immortalise ce qui semblent être d’inoffensifs chantiers. Il rend compte, en réalité, de la violence de l’Etat. Propriétaires de toutes les terres du pays, les autorités de Pékin n’ont pas à négocier avec les habitants qu’elles exproprient pour créer de nouveaux équipements ! Grues, terrains vagues, débris… Ai Weiwei montre l’autre visage de la modernité chinoise.
Autres documents gênants, ces clichés qui rendent compte des dégâts catastrophiques causés par le séisme du 12 mai 2008 dans la province du Sichuan, dans le centre de la Chine. En l’espace de quelques minutes, des écoles, des maisons, des villages entiers construits en dépit des normes de sécurité s’effondrent. Ai Weiwei, venu très rapidement sur place, enregistre les preuves de la tragédie. Il va même jusqu’à chercher à comptabiliser le nombre des disparus. C’est cette dernière impertinence qui lui attire les foudres des autorités : placé en garde à vue et passé à tabac par la police en 2009, il doit subir une opération chirurgicale pour enrayer une hémorragie cérébrale.
Habile communicant
Ai Weiwei a vite compris le parti qu’il pouvait tirer des réseaux sociaux dans un pays encore sous l’emprise de la censure. Adepte de Weibo (l’équivalent chinois de Twitter), il s’est caché derrière de nombreux pseudonymes pour publier régulièrement des noms d’enfants morts lors du séisme de 2008. Il a également tenu un blog entre 2005 et 2009 sur lequel il diffusait des photos qui égratignaient le pouvoir, comme celle de cette manifestation.
Sur son blog, Weiwei se met aussi régulièrement en scène. On le voit ici dans un ascenseur, juste avant d’être placé en garde à vue, en 2009.
L’artiste est proche de son public, au point de le mêler à certaines de ses performances. Ce qui peut expliquer sa popularité, notamment auprès des jeunes générations. En proie à des difficultés financières, il a récemment reçu des dons spontanés de près de 30 000 anonymes… Pas mal pour un artiste condamné unanimement par la classe politique et la presse chinoises ! Quel artiste occidental pourrait se vanter d’un tel soutien populaire ?
Infos pratiques :
Le Jeu de paume
1, place de la Concorde
75008 Paris
Tél. : 01 47 03 12 50
11h-19h (sauf lundi), 11h-21h le mardi
5,50 euros / 8,50 euros
A découvrir :
http://freeaiweiwei.org/, un site qui rassemble les derniers articles sur l’artiste dissident et relaie les différentes manifestations de soutien le concernant.
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