Coupe du monde 2022 : cachés dans une poubelle, chez l'habitant... Comment les journalistes "craquent les huis clos" pour connaître la composition des Bleus
A chaque match de l'équipe de France, Didier Deschamps souhaite garder secrète sa composition d'équipe le plus longtemps possible. Mais des stratagèmes existent, et presque à chaque fois, son onze de départ finit dans les médias à 24 heures du début du match.
Perchés dans les arbres, cachés sous des tables ou tapis dans l'ombre, les journalistes sont à l'affût. A 24 heures du coup d'envoi d'un match des Bleus, l'équipe de France s'entraîne à huis clos et peaufine sa composition d'équipe du lendemain. Dans le même temps, la presse cherche comment dévoiler le onze titulaire. Ainsi, celui attendu face à la Tunisie pour le match de mercredi 30 novembre devrait, comme d'habitude, fuiter en fin d'après-midi, mardi 29 novembre.
Officiellement, les veilles de match, les journalistes n'ont droit qu'à 15 minutes d'observation dans le stade. Echauffement, footing, étirements... rien n'est souvent très intéressant mais cela suffit à abreuver d'images les chaînes de télévision. Mais au moment de plier bagage, certains médias font du zèle et se préparent, selon l'expression consacrée, à "craquer le huis clos". Pour un habitué de l’équipe de France, la pratique "date de la Coupe du monde 2002, avec l’émergence d’internet". L’instantanéité appelle l’information. La pratique est surtout "très française".
Mode d'emploi
Alors, dans les faits, comment ça marche ? Au Stade de France, à Saint-Denis, c’est assez simple. Les journalistes ont leurs habitudes : une des portes du stade permet de voir le terrain. Des jumelles et le tour est joué. Pour les grandes compétitions, c’est plus compliqué mais pas impossible. "Tu essaies toujours de trouver la faille. Au début, tu tâtonnes", témoigne un journaliste qui souhaite garder l’anonymat, parce que "ce n’est pas quelque chose dont on se vante."
L’objectif est donc de trouver le meilleur endroit pour observer l’entraînement à huis clos. Mais pour cela, il faut échapper à la sécurité du stade et à celle de l’équipe de France. Entre le match de l’Australie et celui du Danemark, cette dernière a d’ailleurs renforcé son dispositif au stade Jassim-bin-Hamad. "C’est un jeu du chat et de la souris. Ça te ramène à gamin, au cache-cache", sourit un journaliste.
Pour ne pas se faire pincer, ce dernier s’est même retrouvé dans une poubelle "vide" lors de la Coupe du monde 2014. Face au grand méchant loup, une forme de solidarité entre journalistes s'impose, même quand ils ne travaillent pas pour le même employeur. "On met parfois en place un stratagème avec certains qui surveillent ceux qui doivent nous surveiller [la sécurité des Bleus], pendant que les autres observent l'entraînement", explique l’un d’entre eux.
Une pratique qui révoltait Roger Lemerre
En 2018, la configuration était différente. Le terrain d’entraînement à Istra, en Russie, était à découvert. Certains journalistes ont alors joué les sentinelles en s’invitant chez des particuliers, dans un grand immeuble situé à 200 mètres, avec vue sur la pelouse. "On n’avait même plus le stress du huis clos. On buvait notre thé en observant l'entraînement grâce à nos jumelles", se souvient, le sourire aux lèvres, l’un des deux journalistes concernés.
La ruse passe une fois, mais pas deux. L’intervention de la sécurité des Bleus et de la police locale dans l’appartement de la famille russe a fait une belle frayeur au duo. "On est restés 30 minutes en bas de l’immeuble, se remémore l’autre. Tu mets en danger la famille qui t’accueille. Et on s’est demandé si notre accréditation pour la compétition n’allait pas sauter." Dans les faits, pas de sanction et les deux journalistes sont encore en contact avec la famille d’accueil.
Les conséquences d’être pris sur le fait sont en effet légères. "Je me suis fait choper plusieurs fois mais la plupart du temps, c’est soft. Parfois, on te demande ton nom, ton média et on t’inscrit sur une liste", témoigne le journaliste d’Istra. "On n’est pas dupe", réagit un membre du staff de l’équipe de France, qui affirme que la sécurité des Bleus se prend également au jeu, "avec le sourire".
Et les sélectionneurs dans tout ça ? "Tous ont été sensibles à ce problème, à tort ou à raison, beaucoup ou pas trop, se souvient un ancien membre de la délégation tricolore. Roger Lemerre était franchement outré que les journalistes ne respectent pas ce qui était décidé. Ça le révoltait." Pour le sélectionneur de 1998 à 2002, ce sont "les intérêts de la patrie française qui sont en jeu", les adversaires des Bleus pouvant en profiter.
Didier Deschamps, "ça le fait rire"
"Nous ne sommes pas des salariés de la Fédération française de football, répond un journaliste. Je pense que les adversaires des Bleus n’ont pas besoin de nous pour savoir comment ils jouent." "Je n’écris pas des papiers pour que l’équipe de France soit championne du monde", rétorque un autre. Didier Deschamps, lui, "ça le fait rire", confie le membre du staff des Bleus.
Lors de la Coupe du monde 2018, il s’en était pourtant agacé. "Notre adversaire connaît toujours notre équipe 48 heures avant", avait-il lancé juste après le soporifique France-Danemark (0-0) de la phase de groupes. Le sélectionneur maîtrise bien l'art de la diversion. Est-il également du genre à induire les journalistes en erreur ? "Non, pas vraiment. Il peut mélanger les équipes lors des huis clos mais pour conserver les joueurs sous tension et concernés", explique le membre du staff.
Dans quelques heures, c’est une composition d’équipe très attendue contre la Tunisie qui devrait fuiter. Le sélectionneur a annoncé vouloir effectuer plusieurs changements. Et au cas où les journalistes ne parviendraient pas à craquer le huis clos, il leur reste un atout dans leur manche : aller à la pêche aux informations auprès des proches des joueurs. Il est probable qu’ils réussissent encore dans leur tâche, confirmant une phrase entendue à la volée dans nos échanges : "Dans la pratique, le huis clos est devenu un mot qui n’existe plus."
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