"On apprend à développer notre esprit critique" : pourquoi cette spécialité qui mêle histoire et géopolitique cartonne autant chez les futurs bacheliers
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Sous l'acronyme HGGSP pour histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques, se cache un enseignement choisi par un quart des élèves de terminale, qui veulent comprendre les relations internationales et ses crises actuelles.
Heidi a toujours "eu des bonnes notes en histoire-géo". Elle songe à devenir journaliste. Alors, l'année dernière, au moment de choisir ses spécialités pour la classe de première, cette lycéenne du sud de la France n'a pas hésité : ce sera histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques (HGGSP, combiné à l'enseignement d'anglais monde contemporain (AMC) et à humanités, littérature et philosophie (HLP). Ce qui pourrait correspondre au précédent bac L (littéraire) ou ES (économie et social) ou à un bac A ou B avant 1995. "C'est une spécialité à la hauteur de mes espérances. On parle beaucoup, la prof construit pas mal son cours par rapport à nos questions et nos réactions", rapporte Heidi.
Et c'est une certitude : Heidi conservera cette matière l'année prochaine pour passer son baccalauréat. L'épreuve de HGGLP, à laquelle vont se confronter ses camarades de terminale entre mardi 17 et jeudi 19 juin, est évaluée à travers une dissertation et une étude de documents. Ce qui en fait l'une des épreuves les plus ambitieuses du bac actuel. La matière mobilise également six grands thèmes tout au long de l'année de terminale. Bien qu'elle soit exigeante, elle est largement plébiscitée par les élèves depuis 2019, date de la mise en application de la réforme du lycée et de la disparition des filières S, ES et L.
Les statistiques parlent d'elles-mêmes : selon une étude de l'Education nationale, un quart des terminales la choisissent, derrière les matières plus "classiques" que sont les maths, la physique-chimie et les sciences économiques et sociales (SES). C'est aussi la deuxième spécialité la plus prisée par les filles. A noter qu'elle reste davantage choisie par les lycéens issus d'un milieu très favorisé.
"Ma meilleure matière au lycée ! Je me souviens que les élèves étaient tous contents d'assister à ce cours, c'est assez rare pour le souligner", s'amuse Simon, 20 ans, désormais étudiant en deuxième année à Sciences Po Rennes. Parce qu'elle navigue entre plusieurs disciplines, et qu'elle fait des parallèles avec le contexte géopolitique actuel, l'HGGSP est un succès auprès des lycéens comme des profs.
Des ponts entre passé et présent
Depuis que le lycée est "à la carte", le gros du bataillon des élèves qui se dirigeaient auparavant vers la ES et la L s'orientent aujourd'hui en HGGSP. Le programme d'histoire-géo de ces anciennes filières manquait d'une certaine ambition, selon les enseignants. "On réclamait depuis longtemps l'intégration de la géopolitique dans notre matière. On étudiait les relations internationales par le passé, mais assez peu au temps présent", explique Claire Vidallet, professeure au lycée Joliot-Curie de Nanterre (Hauts-de-Seine).
Avec ses terminales, elle a par exemple profité du thème "L'enjeu de la connaissance" pour évoquer l'espionnage industriel chinois et les tentatives de cyberattaques de la Russie dans le monde, en plus de la Guerre froide. Bertrand L., enseignant dans l'académie de Normandie, a aussi accueilli à bras ouverts cette nouvelle discipline. Il juge le cours "stimulant à préparer" en tant que professeur.
"Le programme apporte davantage de thèmes et de réflexion aux élèves, et se détache d'une démarche purement chronologique."
Bertrand L., professeur d'histoire-géo dans un lycée normandà franceinfo
L'actualité et ses enjeux sont donc très présents. Dans le thème "Faire la guerre, faire la paix" au programme de terminale, le rôle de l'ONU est décrypté au passé comme au présent, avec ses réussites comme ses failles. "Il est aussi question des différentes formes de guerre. On peut illustrer le cours avec l'évolution de la situation en Ukraine", détaille le professeur normand.
La guerre entre Israël et le Hamas est aussi abordée et questionnée. Selon Heidi, l'HGGSP lui a donné des "clés de compréhension" historiques sur ce sujet très éruptif dans la société. Par rapport au cours d'histoire-géo du tronc commun, "on a plus de temps pour approfondir le conflit israélo-palestinien", note Claire Vidallet. En classe, elle a notamment misé sur un gros travail sur carte pour étudier le plan de partage de la Palestine.
"Il y a beaucoup de culture générale dans cette matière, c'est ce qui est vraiment intéressant. On nous apprend aussi à développer notre esprit critique."
Simon, étudiant en deuxième année à Sciences Po Rennesà franceinfo
"Sur l'actualité, il ne faut pas prétendre présenter des vérités absolues", souligne Bertrand L., selon qui "l'objectif de cette spécialité est aussi d'apprendre le sens de la nuance". "C'est une discipline très intellectuelle. En plus du fond, les textes officiels nous encouragent à les faire travailler en autonomie et à élaborer une réflexion", ajoute Claire Vidallet. Seul point noir : le programme est dense et les enseignants peuvent avoir des difficultés à le boucler.
Si la science politique est un peu moins présente que la géopolitique, elle reste tout aussi appréciée par les lycéens. "Il y a un cours sur la démocratie, dans lequel on nous explique comment elle s'instaure. En contre-exemple, on a beaucoup parlé de Vladimir Poutine", relève Heidi. Après le lycée, les élèves ayant suivi l'HGGSP sont nombreux à se diriger vers des filières de science politique ou de droit.
Une bonne préparation pour l'avenir
Dans le supérieur, les professeurs sont unanimes : la spécialité HGGSP a apporté à ses élèves beaucoup de curiosité. Benjamin Boudou, responsable de la première année de licence en science politique à l'université de Rennes, constate chez les étudiants "un goût particulier pour les questions de géopolitique et de science politique". "Ils peuvent développer des passions pour telle ou telle ère géographique, ou pour un conflit en particulier... J'ai compris après coup que cela venait de la spécialité HGGSP."
Pour Gwendal Châton, maître de conférences en science politique dans la même université, le niveau des élèves n'a pas forcément augmenté. "En revanche, on a observé une plus grande demande de spécialisation en science politique, à partir de la L2 et L3. Cela nous a amené à revoir notre capacité d'accueil." Il y voit là les effets de la spécialité HGGSP, mais aussi ce qui caractérise le monde actuel, entre "démocraties vacillantes", "phénomènes populistes très forts" et "autoritarismes conquérants".
En classe préparatoire littéraire, Aline Fryzsman met en avant d'autres bénéfices. "Les étudiants ayant fait HGGSP ont une grande capacité à connecter les connaissances entre elles. Ils dépassent également la simple restitution de connaissances pour problématiser et analyser un sujet", remarque cette enseignante en histoire-géo au lycée Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme).
"Ce qui fait la différence, c’est aussi leur capacité de travail, et un répondant argumenté dans le débat."
Aline Fryzsman, professeure d'histoire-géo à Clermont-Ferrandà franceinfo
"Ils mesurent que l'histoire n'est pas un récit figé, mais une science en constante évolution", complète Joëlle Alazard, présidente de l'Association des professeurs d'histoire-géographie, qui enseigne en classe préparatoire au lycée Louis-le-Grand à Paris.
Selon Gwendal Châton, la matière a surtout le mérite de préparer au-delà des études supérieures. "Cette spécialité est sans doute la plus utile en termes de formation de la conscience citoyenne", juge le maître de conférences. Ce que confirme Simon : "Sur l'actualité, on nous a appris à la replacer dans un contexte. On a aussi beaucoup travaillé sur la justice internationale, donc on porte un regard très juridique sur beaucoup de massacres, à Gaza mais aussi en République démocratique du Congo".
A cause des sujets qu'elle aborde, l'histoire-géographie, la géopolitique et les sciences politiques pourraient provoquer de l'anxiété chez les élèves. Mais Bertrand L. reste frappé par leur capacité de résilience : "Ils ne sont plus de la génération qui avait des idéaux. Mais en dépit de leurs désillusions sur le monde, ils ont une force en eux pour avancer."
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